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1 3 Une diversité non souhaitée par certaines salariées

En contrepoint de la satisfaction énoncée par les salariées qui font valoir une certaine diversité des publics auprès de qui elles interviennent, certaines salariées sont au contraire désireuses de n’intervenir qu’auprès des personnes âgées, ou plutôt ne souhaitent pas intervenir en tout premier lieu auprès des enfants et de façon plus rare auprès des adultes handicapés. Cela rejoint ce que nous avons dit précédemment de la cohérence assez forte entre l’aide aux personnes âgées et l’aide aux personnes gravement malades voire en fin de vie. Les salariées ne se déclarent d’ailleurs réticentes à prendre en charge ces personnes que lorsqu’elles estiment qu’elles n’ont pas la formation nécessaire pour le faire et, dans ce cas, c’est plutôt une demande de formation pour pouvoir intervenir dans ces circonstances qui est exprimée, la formation à l’accompagnement des fins de vie étant celle la plus fréquemment souhaitée.

1. 3. 1 Un refus qui touche le plus souvent le travail auprès des enfants

Sur l’ensemble des publics auprès de qui les aides à domicile ne souhaitent pas intervenir, les enfants arrivent largement en première position. Les expressions employées sont en général sans appel et il n’est de plus jamais question d’envisager une formation quelconque pour le faire. Les raisons évoquées sont assez similaires. Elles sont le plus souvent en lien avec ses capacités que l’on estime n’être pas ou plus adaptées à ce travail et plus rarement en relation avec l’intérêt ressenti pour ce travail.

Une salariée évoque la même raison pour ne pas souhaiter intervenir auprès d’handicapés ni d’enfants : le manque de patience.

« (Les handicapés), c’est bizarre, mais je n’y arrive pas. Par exemple, des enfants et des adultes trisomiques, je n’ai pas la patience. Je l’ai pour des personnes âgées, mais là non. (Les enfants), je n’aurais pas la patience non plus. Déjà, avec mon fils, j’en aurais deux comme ça, je ne sais pas si je survivrais ! À partir de 5h du soir, il est démonté ! » (27 ans) Une autre jeune femme invoque exactement la même raison, mais uniquement à propos des enfants : « En halte-garderie, j’ai su que je ne voulais pas ce métier ! J’ai découvert. Je n’aime pas, je ne le ferai pas. (…) Je me suis dit : un jour, j’aurai les miens et ça suffit. L’enfant, c’est enrichissant, mais je n’aurais pas pu être tous les jours avec un enfant.

J’aurais été impatiente. Non, ce n’est pas un public qui m’attire. Non, c’est les personnes âgées. » (21 ans)

Dans ces propos, c’est clairement leur compétence pour travailler avec les enfants que ces salariées questionnent, c’est de leur capacité personnelle à réaliser cette activité qu’elles doutent. Il nous semble important de l’entendre car les témoignages précédents sont ceux de jeunes femmes, qui ont pour certaines des enfants, mais qui parlent clairement en termes de métier et de compétences. C’est en tout cas ce qu’il faut entendre sous le terme de « patience » ou sous le joli terme « pétillant » employé par cette salariée : « Je sais très bien que les enfants, j’adore ça, mais je ne sais pas si j’aurai autant de pétillant, je ne pense pas. » (29 ans)

Il est aussi remarquable d’observer que les salariées plus âgées ayant une expérience professionnelle auprès des enfants ne peuvent plus envisager de reprendre une activité dans ce sens, certaines s’exprimant de façon très vive. Le cas de l’une d’entre elles est particulièrement intéressant parce qu’elle a commencé son activité professionnelle en gardant, pendant 6 ans, des enfants à domicile, dans une famille de 3 enfants, avant de travailler 11 ans comme ASH dans un centre de cancérologie, emploi qu’elle quitte pour des questions de mobilité géographique. Elle retrouve une activité dans une école maternelle où elle travaillera le temps d’une année scolaire et c’est ensuite qu’elle rentre dans l’association où elle exerce aujourd’hui. Ce retour vers une activité auprès des enfants l’a convaincu de ne plus jamais le faire !

« J’étais avec la maîtresse. Mais les enfants et moi, non, vraiment, il n’y a pas d’atomes crochus ! Ça parle de trop, ça pleure, non ! non ! Plus jamais ! Vraiment, plus jamais ! » Et le terme de « patience » revient là encore pour expliquer la distance mise avec cette activité qui l’avait pourtant occupée les six premières années de sa vie professionnelle : « Aujourd’hui, je ne le ferai plus. Je suis moins patiente que 30 ans en arrière. Non franchement ! » (44 ans)

Certaines peuvent tenir des propos encore plus radicaux : « Les enfants, je n’ai pas envie. C’est bon pour les plus jeunes. Moi, je ne les supporte pas. » (54 ans) D’autres propos peuvent être plus mesurés, mais tout aussi explicites : « Je pense qu’en ce qui me concerne, les enfants en bas âge, j’ai fait mon temps, place aux autres. » (38 ans)

Le cas d’une salariée qui a travaillé, avec beaucoup de plaisir, 18 ans en tant qu’auxiliaire des écoles et qui est rentrée dans l’association suite à son licenciement à cause de la fermeture d’une classe, est encore plus explicite du décalage perçu entre le travail avec des enfants et le travail avec des personnes âgées.

« C’est vrai qu’avec les enfants, quand on vieillit, on supporte moins les petits. Je me rends compte que j’ai moins de patience, ou en tout cas ce n’est plus pareil. Quand je vois des petits maintenant, je me dis : mais comment j’ai pu faire ? Des fois, j’avais 15, 20 enfants et je me demande : comment j’ai pu faire des trucs pareils ! C’est plus tranquille avec les personnes âgées. C’est sûr qu’avec les enfants, c’est bruyant. Quand on va chez les personnes âgées c’est très calme, à part la télé. » (44 ans)

Lorsque c’est le manque d’intérêt ressenti pour le travail avec les enfants qui est évoqué, c’est toujours en comparaison de ce que l’on trouve en intervenant auprès des personnes âgées, et qui relève de l’échange :

- « Avec les personnes âgées, on peut discuter, il y a un échange, on donne quelque chose et elles apportent quelque chose. Avec les enfants, sauf les siens, on ne parle pas. » (42 ans)

- « Les enfants, quand ils ont mangé et qu’ils sont propres, il n’y a rien, enfin, les petits, je veux dire, il n’y a pas beaucoup de contacts. (…) La personne âgée, elle apporte beaucoup plus. Elle a toujours plein de choses à raconter. » (29 ans)

1. 3. 2 Les adultes handicapés : un ressenti très personnel

Les raisons évoquées pour ne pas souhaiter travailler avec les handicapés sont généralement assez différentes. Elles sont en lien avec la souffrance de l’autre, avec l’injustice ressentie vis- à-vis de ce qui frappe les personnes handicapées, surtout lorsqu’elles sont jeunes, et très certainement aussi avec les fragilités et l’histoire des salariées elles-mêmes que nous n’avons naturellement pas explorées dans ces entretiens. Elles sont aussi fortement corrélées avec la nature de l’expérience du handicap que l’on a dans sa vie ou son environnement personnels. - « Je n’aurais jamais pu… Il y a une maison pour enfants handicapés, et je n’ai jamais pensé à faire une demande d’emploi. Ce n’est pas mon truc. » (44 ans)

- « J’ai fait un stage chez les handicapés. J’avais choisi un secteur différent, exprès, pour voir autre chose. C’était dur, mais je connais le monde des handicapés, par ma nièce. C’était intéressant, apprendre autre chose. C’est triste.

Q. Vous ne l’avez pas envisagé comme orientation future ?

Non, non. Il n’y a pas d’échanges, tandis qu’avec les personnes âgées, la plupart, sauf avec celles qui ont la maladie d’Alzheimer avec qui on ne peut pas trop discuter, les autres personnes, en général, s’ils ont encore toute leur tête, il y a des discussions. Avec les handicapés, c’est des cris… C’est dur. Là c’était un foyer où il y avait des jeunes qui faisaient pipi par terre, caca, des couches à longueur de temps. » (42 ans)

- « J’avais fait une demande que j’ai enlevée après parce que là, j’ai peur de la souffrance des gens. Je vais voir des personnes handicapées, ça va me faire mal. Comme j’aurais tendance à être un peu sensible, de les voir diminuées comme ça, ça me fait peur. J’ai peur qu’ils me fassent souffrir. (…) Je connaissais une fille qui disait : moi je préfère travailler avec les personnes handicapées, mais elles sont dures envers vous, elles sont très exigeantes, parce qu’effectivement elles sont très dépendantes. Alors je pense que si vous êtes sensible, vous n’arrivez pas à recevoir tout ce qu’elles vous donnent. Et pleurer devant les gens, ça ne sert à rien ! » (32 ans)

- « J’aurais bien aimé les handicapés, mais je pense que je pleurerais toute la journée, j’en ai parlé avec ma belle sœur. Une fois, elle est venue chez moi avec une personne handicapée et ça m’a fait bizarre, trop triste. Il me faudrait vraiment une formation. » (26 ans)

Il faut remarquer que, dans notre échantillon, peu de personnes peuvent se sentir concernées par le travail auprès d’adultes handicapés. Il s’agit là en effet d’un secteur particulier où toutes les associations n’ont pas choisi d’intervenir. On peut dire que c’est dans le concret des possibilités offertes que les salariées peuvent réellement se prononcer. Et il est certain que c’est bien plus le manque de diversité de l’offre qui contraint les salariées dans une activité unique que leur refus de la diversité.

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