• Aucun résultat trouvé

2 3 Défendre sa position d’Auxiliaire de Vie Sociale

Pour les femmes diplômées et classées en C comme « Auxiliaire de Vie Sociale », le problème est donc double et paradoxal. D’une part, il leur faut éviter de voir leur tâche d’aide ravalée au rang de « simple ménage » alors même que, pour elles, on vient de le voir, il est impossible de séparer les tâches ménagères des tâches d’aide à la personne. D’autre part, elles doivent défendre leur position d’AVS et, pour cela, elles en arrivent parfois à refuser d’effectuer certaines tâches d’entretien.

Convaincues de la nécessité de mieux faire connaître leur métier, certaines d’entre elles s’efforcent de rendre visibles les tâches qu’elles effectuent au-delà du ménage, en essayant de

les distinguer des tâches effectuées par de « simples femmes de ménage ». C’est d’abord auprès des personnes aidées qu’elles tentent de mieux définir leur tâche afin de la distinguer de celles des « femmes de ménage » :

« Je ne suis pas une femme de ménage, je suis votre aide à domicile, votre auxiliaire de vie. Je suis là pour vous aider à faire le ménage que vous ne pouvez pas faire, je suis là pour autre chose aussi. Je crois qu’ils comprennent la différence, je le ressens dans la manière dont ils agissent. Il y en a qui me disent : non, ça ce n’est pas ton travail. Il y a ça à faire mais ce n’est pas ton travail, tu n’es pas une femme de ménage. D’un autre côté, quand il y a des amis qui viennent, c’est la femme de ménage « qui vient pour m’aider ». Ils l’assimilent, mais ils n’arrivent pas à le nommer autrement. Je crois aussi que c’est parce que ce n’est pas encore bien rentré dans les mœurs d’avoir une aide à domicile, même si on en parle de plus en plus. Les gens quand on leur dit : auxiliaire de vie, ils disent : c’est quoi ? » (23 ans, C, 3 ans d’ancienneté)

C’est une attitude que nous avons rencontrée à de nombreuses reprises au cours de cette enquête : pour mieux faire comprendre leur travail, les AVS tout particulièrement s’emploient à démontrer la spécificité de leur intervention, en montrant ce qu’une femme de ménage, une « bonne » ne ferait pas et qu’elles, elles prennent en charge :

« Ah, on m’a mis la bonne ! On l’entend ça, je l’ai entendu : j’ai la « femme » qui est là. Moi, j’ai une autre attitude quand j’entends ça. Comme elles relèvent de l’APA, je leur dis : je ne crois pas que le conseil général vous paie des bonnes à la maison. Ce n’est pas ça, alors c’est quoi ? Je dis : la bonne, elle vient, elle fait le ménage, elle refait votre lit, au revoir Madame, à demain. Éventuellement, elle va préparer un repas, mais remplir des déclarations d’impôts… En tant qu’Assistante de Vie je le faisais déjà, parce qu’elles sont tellement toutes seules, que j’estime que c’est une aide qu’on doit leur apporter. Là, ça les amène à réfléchir parce que, attendez, la bonne, elle ne va pas vérifier votre courrier que vous n’avez pas compris. « Ah, c’est vrai, vous avez raison », mais on travaille sur d’anciennes mentalités, il faudra longtemps avant que ça n’évolue » (46 ans, C, 9 ans d’ancienneté)

Cette AVS, déjà ancienne dans le métier, elle travaille dans l’association depuis 9 ans, n’a guère d’illusion sur l’efficacité à court terme de ce type de démonstration, mais étant par ailleurs déléguée du personnel, elle est particulièrement convaincue de l’importance de défendre les caractéristiques d’un métier qu’elle aime. Beaucoup de femmes très investies dans leur mission d’aide souhaiteraient que celle-ci soit mieux reconnue, en particulier par les personnes qui bénéficient de leurs services. Mais à de multiples occasions dans les entretiens, elles ont laissé poindre leur déception à cet égard :

« Quand j’ai passé mon Cafad, on m’a dit : quand vous allez chez les personnes âgées, ne faites pas le ménage. Passez un petit coup de balai, la serpillière et c’est tout. C’est principalement de parler avec les gens, les accompagner chez le docteur, remplir les papiers administratifs s’ils en ont besoin, mais surtout ne faites pas de ménage. Quand je suis arrivée là-bas, la première personne avec qui j’étais, je faisais les courses avec elle et la deuxième, on m’a dit : vous savez ce que vous avez à faire. C’est-à-dire ? Vous faites le ménage. Alors, je n’ai pas trop compris pourquoi, parce que moi, on m’avait dit : surtout vous ne faites pas le ménage. (…) Je n’ai pas voulu trop dire quoique ce soit, parce que c’était mon premier boulot et j’ai donc fait du ménage pendant 2 heures, mais je me suis dit : je ne comprends pas, on nous a formés à beaucoup de choses mais pas à ça. » (34 ans, C, 9 ans d’ancienneté) Mais certaines déplorent aussi le positionnement de leurs collègues qui leur paraissent trahir le métier en employant et en acceptant une définition d’elles-mêmes et de leur tâche qui porte à confusion :

« Chez ce Monsieur, il n’y a guère de communication avec lui, car il déprime un peu et c’est donc uniquement du travail de ménage sous les ordres de sa femme en quelque sorte, ce qui ne correspond pas à la mission de départ. C’est du travail partagé avec une collègue et on s’est présenté ensemble, c’est elle qui a parlé et elle s’est présenté comme « la femme de ménage » ! La dame a demandé : qu’est-ce que vous faites ailleurs ? Et elle a répondu : on fait du ménage ! Ça me faisait bouillir, je n’ai pas osé dire devant la personne et je n’ai pas osé non plus lui dire après. J’en ai parlé avec ma stagiaire, à propos de la présentation et elle m’a dit : tu as bien fait de ne pas lui dire, parce qu’elle l’aurait peut-être mal pris. Mais qu’elle se soit présentée comme femme de ménage, mon sang n’a fait qu’un tour. Du coup, j’y suis allée à reculons chez cette dame, parce qu’elle nous a présentées comme des femmes de ménage. C’est fou ça ! Je lui ai dit à mon mari, je ne suis pas une femme de ménage, elle nous a présentées comme des femmes de ménage, mais on ne fait pas que ça ! Elle va tous les midis donner à manger à cette dame ! Quand je lui dis que je peux rester assise deux heures à discuter avec un monsieur, elle me dit qu’elle ne pourrait pas. C’est vrai, qu’au départ, l’association n’embauchait que pour ça, c’étaient des aides ménagères et c’est vrai que, dans les médias, c’est encore beaucoup ça. Elle dit donc qu’on est des aides ménagères et je n’ai pas encore eu le culot de lui dire : non, on est des aides à domicile, déjà. Aide ménagère, c’était avant, pour aider la ménagère à la maison, comme on l’appelait dans les années 50. (…) Ça m’a emportée : on fait du ménage partout, on est des aides ménagères ! Comment voulez-vous engager une relation avec quelqu’un quand vous lui dites que vous faites du ménage. J’ai dit : on peut vous emmener faire des courses, chez le médecin. Là, elle a dit : c’est mon fils qui m’emmène. De toute façon, c’était foutu, on est là pour faire du ménage… Enfin, j’ai appris à faire les carreaux avec du papier journal ! » (47 ans, C, 5 ans d’ancienneté)

Il est sans doute significatif que, dans la perception des femmes rencontrées, la terminologie occupe une aussi large place : c’est bien avec des mots qu’elles se battent pour affirmer la réalité de travail et le caractère performatif de ce combat apparaît clairement.

« Moi je m’en défends, on ne fait pas que du ménage, il y a beaucoup de soutien moral. Parfois c’est dur car les gens pleurent et il y a des moments de joie aussi. Sur ma fiche de paie c’est indiqué « aide à domicile » ou « agent à domicile » alors qu’avant c’était « aide ménagère ». C’est aussi à nous de faire passer le mot. Beaucoup de collègues pensent comme moi, alors nous n’avons plus qu’à travailler dans une entreprise de ménage. Parfois ce sont des gens qui nous le disent et ça fait de la peine. Par contre, d’autres disent c’est un métier super intéressant, tu es courageuse de faire ça car cela n’a rien à voir avec ton métier, ce sont les gens qui me connaissent. Ceux qui ne me connaissent pas me disent que je suis une femme de ménage. Lorsque je parle de mon métier, je ne montre que le côté positif et pas trop le négatif. Je veux véhiculer un truc positif. Je suis contente lorsqu’on me demande d’aller à la pharmacie. Parfois les bénéficiaires ne savent pas qu’ils peuvent me demander ce genre de service. » (41 ans, A, 4 ans d’ancienneté)

Les salariées de l’aide à domicile ont effet affaire à une représentation sociale forte qui assimile toute personne effectuant des tâches ménagères à une « femme de ménage ». Cette image dévalorisante leur est renvoyée par l’ensemble des personnes qu’elles côtoient :

« On nous fait comprendre que nous sommes des femmes de ménage. Q. Qui ?

Les bénéficiaires, les enfants et puis nos proches. Lorsqu’on en parle et que les gens ne connaissent pas ce métier, les gens nous disent : « Tu es femme de ménage quoi !» Peut-être que nous ne mettons pas assez en valeur ce métier, lorsqu’on en parle. C’est vrai qu’il y a du

ménage, mais normalement il y a un plus, ce n’est pas que ça, il y a aussi le contact avec les personnes âgées et il n’y a pas que des personnes âgées. Ce n’est pas assez considéré. » (41 ans, A, 4 ans d’ancienneté)

Et ce sont aussi les mots que les personnes aidées utilisent qui trahissent leur manque de considération pour ces salariées. La plupart des salariées rencontrées témoignent de situations où elles ont été blessées par les termes utilisés à leur égard.

« Oui, ça atteint, mais c’est un con, hein, excusez- moi ! Mais après, on voit comment on est cataloguée, on est perçu, pas comme des moins que rien, mais on n’est considéré que bonnes à faire du ménage. Ce n’est faire que ça, alors qu’on a d’autres capacités ou compétences, tout ce que vous voulez. » (34 ans, C, 9 ans d’ancienneté)

« Je n’ai pas très bien accepté parce que là on nous considérait comme des femmes de ménage et puis c’est tout. D’ailleurs, quand elle recevait quelqu’un ou qu’elle parlait au téléphone, elle disait : « J’ai ma femme de ménage qui est là. » Ce n’était pas très agréable à entendre. (…) Moi j’étais là pour parler avec les personnes, leur remonter le moral. Il y en a une qui m’a dit : « Je ne vous veux plus, carrément ». Il faut dire que ça n’avait pas du tout accroché. Je lui avais dit pourquoi j’étais là et elle m’avait dit que ça ne l’intéressait pas du tout, que c’était le ménage qu’elle voulait. J’avais commencé à faire le ménage et là elle m’a demandé de lui laver un peignoir à la main. Je lui ai dit : non, ça je ne le fais pas, vous avez une machine à laver. Elle m’a dit : « Je vous aurais payé en plus. » Mais je lui ai dit qu’on n’avait pas le droit d’accepter quoi que ce soit et là elle a dit que ça allait être vite fait. Elle a appelé la direction et je suis partie. » (34 ans, C, 9 ans d’ancienneté)

On peut relever dans ce témoignage le fait que la personne aidée non seulement demande à l’AVS une tâche bien particulière appartenant au domaine de l’entretien, laver un vêtement, mais qu’elle entend aussi définir la manière dont cette tâche doit être réalisée, « à la main ». On peut y voir, et c’est bien ainsi que l’interprète cette salariée, une manière de « prendre le pouvoir », de se placer en situation de diriger le travail effectué, en même temps que de nier la compétence de l’intervenante. On retrouvera plus loin cette même attitude qui semble caractéristique des rapports entretenus à l’occasion du ménage.

Les femmes rencontrées apparaissent en majorité très accommodantes, répondant la plupart du temps positivement aux demandes adressées par les personnes aidées. Mais pour certaines, défendre le métier peut aussi consister à refuser de faire du ménage en considérant que leur tâche est ailleurs, et, de manière plus générale, à refuser de se laisser imposer une définition de leur mission d’aide :

« Ca va dans tous les sens le ménage, les gens pensent que l’on est des femmes de ménage alors que nous n’en sommes pas. Nous, on nous a dit de faire ça et ça, le quotidien : aspirateur, laver par terre. Parfois ils veulent que je fasse la chambre des petits-enfants ou que je repasse le linge, leur linge. Moi, je m’occupe de la personne, je fais sa chambre et son linge, il y en a qui ne comprennent pas. » (23 ans, A, 3 ans d’ancienneté)

Mais au-delà du rapport aux utilisateurs, plusieurs femmes rencontrées perçoivent bien comment la définition de leur travail est encadrée par les décisions prises à un autre niveau que celui de l’organisation qui les emploie, comment les orientations des politiques de maintien à domicile en particulier se traduisent de façon concrète par des répercussions sur leur travail. Le développement du mandataire par exemple est ainsi dénoncé par cette AVS :

« Ça, moi je peux vous dire que je suis auxiliaire de vie et je fais plus de ménage que de soins aux personnes âgées, de toilettes. Comment voulez-vous qu’ils fassent ? C’est le système du mandataire qui a changé toute la donne. » (60 ans, C, 26 ans d’ancienneté)

Elle indique en particulier comment elle a refusé de faire du ménage, pour une personne dont elle fait par ailleurs la toilette et le repas. C’est une autre collègue qui « a pris l’heure que je ne voulais pas faire en ménage. Je suis auxiliaire de vie, j’en ai marre du ménage ».

La gestion de l’APA par les services du Conseil Général est aussi critiquée comme un dévoiement de la mission des AVS :

« Une mission où je ne fais que du ménage ne m’intéresse pas. Lorsque ce genre de mission est mis en place c’est à mon avis de la faute du Conseil général, il n’étudie pas assez les dossiers. Je ne suis pas contre le ménage, par exemple la dame qui a la maladie d’Alzheimer, hier, elle a fait du repassage avec moi, si vous saviez comme elle était contente. C’est ça mon travail, préserver ce qui reste. Le problème est qu’une auxiliaire de vie est mieux payée qu’une aide à domicile et lorsqu’il n’y a que du ménage, ce n’est pas intéressant. » (48 ans, C, 3 ans d’ancienneté)

Outline

Documents relatifs