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2 1 Des temps de travail mensuels en forte augmentation

Les temps de travail des salariées rencontrées ont considérablement augmenté au fil de leurs années passées dans les associations enquêtées. Quand on compare les temps de travail au moment de leur embauche dans l’association à ceux qui sont les leurs au moment de l’enquête, force est de constater qu’ils se sont accrus. Cette augmentation repose sur des rythmes d’une part, très individualisés et d’autre part, fluctuants, y compris au sein d’une même association. Dans ce cadre, la palette des possibles est large : des salariées indiquent ainsi avoir commencé à travailler sous contrat à durée indéterminée avec des temps de travail de trois heures par jour, alors que d’autres se sont vues proposer des volumes horaires plus conséquents, sans toutefois atteindre les temps pleins.

- « J’y allais de 7h30 à 8h30. Tous les jours. Après, je repartais chez moi. Après, je faisais deux heures l’après midi. Et après, on vous met des heures dans les trous qu’on a. Pendant 4 ou 5 mois, je suis restée avec trois ou 4 heures par jour. » (en C, 29 ans, 9 ans d’ancienneté dans l’aide à domicile et l’association)

- « J’ai eu au début un CDI de 75 heures et ensuite on peut faire plus d’heures, une centaine d’heures. J’ai eu 1 mois d’essai. » (en A, 41 ans, 4 ans ancienneté)

On voit ensuite les volumes horaires augmenter, au gré des « dossiers » qu’on leur propose, sans que l’on puisse cependant définir la régularité des rythmes. On peut en revanche relever que les aléas biographiques des personnes chez qui elles se rendent, la capacité de l’association à proposer un autre « dossier », jouent sur les temps de travail.

« Je fais presque tout sur X (son lieu de résidence), sauf une personne. J’ai 35 heures par semaine. Pas depuis longtemps, parce que je faisais trop d’heures. Longtemps, ils m’ont dit : tu fais trop d’heures, mais ils ne me les enlevaient pas ! Maintenant, je fais 35 heures, mais quand j’ai une personne qui est hospitalisée, je n’ai plus assez d’heures. Mais comme je suis aux 35 heures, je suis payée. Si on a des heures supplémentaires, on les fait, mais je ne peux pas travailler la nuit quand même ! Là, j’ai un monsieur qui a une prise en charge et qui a en plus un dossier privé, c’est-à-dire qu’il a des heures qu’il paye. Des fois, je fais 70 heures chez lui. Il a son fils qui est là, mais il travaille et certaines fois c’est moi qui y vais. Au bout du mois, ça fait beaucoup. C’est tout du prestataire. (Du mandataire) je n’en ai plus. J’avais une dame. » Ce sont en fait les besoins des associations qui vont façonner ces rythmes, y compris ceux qui se définissent dans l’urgence d’une demande à traiter. Il est de ce fait impossible et peu pertinent d’élaborer une typologie des modalités d’augmentation des temps de travail. Toutefois, La tendance générale est celle d’un accroissement pour toutes, sur le principe du puzzle, serait-on tenté d’avancer : de « dossiers » en « dossiers », selon les disponibilités horaires laissées par leur emploi du temps construit chemin faisant. Ce mouvement peut-être très rapide ou au contraire plus long. Dans ce contexte, on relèvera que le passage en CDI peut s’accompagner d’une diminution des temps de travail. En effet, pour les salariées qui sont entrées dans l’association via un CDD, pour un remplacement, le nombre d’heures mensuelles varie selon l’emploi du temps de la personne ou des personnes à remplacer :

« Je sais que les remplacements, c’est ce qui tourne le mieux. Après, le temps de se faire une place… Là, je suis en gros entre 100 et 120h en ce moment mais je me souviens plus, je crois que c’était même plus. » (En B, 21 ans, 4 ans d’ancienneté dans le métier, 3 ans dans l’association)

Une majorité d’entre-elles a alors vu son nombre d’heures diminuer en quittant le statut de remplaçante et le CDD qui l’accompagnait, pour des domiciles « à soi » et un CDI. Le parcours de Madame C. est à ce titre significatif. Elle est recrutée pour faire des remplacements : «J’ai fait des remplacements des congés d’été des personnels de l’association ». Elle a un CDD jusqu’à la fin août : « Je devais être à mi-temps. Je faisais peut-être vingt heures par semaine, à peu près ». Ensuite, la responsable de secteur a trouvé des « dossiers pour moi. À la suite, ça s’est transformé en dossiers pour moi ». Son contrat de travail est transformé en CDI « mais après, ce n’était pas avec beaucoup d’heures de travail. Parce que je n’avais pas beaucoup de dossiers à moi. C’est le problème de l’aide à domicile. Le temps de trouver des dossiers, on est souvent à mi-temps, on n’a pas de plein temps. »

Cette remarque en appelle une autre : l’entrée dans le secteur associatif passe le plus souvent (notamment pour celles ayant le moins d’ancienneté, ce qui laisse entendre qu’il peut s’agir là d’une évolution des pratiques de recrutement) par une embauche en CDD. De fait, n’oublions

pas que si le secteur a la réputation d’embaucher et de recruter vite, dans les faits, on observe des pratiques de pré-recrutement. Cette pratique du pré-recrutement semble s’étendre envers les personnels les plus jeunes. Les responsables associatifs ont en effet pointé comment les stages que doivent réaliser les élèves de la filière professionnelle constituent des viviers de recrutement. « Au début j’ai eu un CDD de 2 mois à temps partiel, ensuite j’ai trouvé un appartement et j’ai demandé une embauche en CDI. En fait j’avais signé mon contrat, mais c’était un CDD. J’ai encore travaillé un mois et après, les mois se sont enchaînés. Le premier mois, je travaillais le 1er mois 120h. » (En A, 26 ans)

Les modes d’entrée dans le secteur associatif de l’aide à domicile des salariées qui ont le moins d’ancienneté dans les associations ont profité des transformations des politiques de gestion du personnel et des accords signés. Ces salariées ont ainsi pu commencer leur activité professionnelle sur des trois-quarts temps voire des temps pleins ou voir augmenter leur temps de travail plus rapidement que leurs collègues ayant plus d’ancienneté dans les associations.

On notera toutefois que ce mouvement n’a pas tout à fait éliminé la norme de l’entrée dans l’emploi via des temps partiels réduits, comme peut en témoigner l’extrait d’entretien suivant : « Toutes nos salariées sont en temps partiels mais ce sont des temps partiels importants. On est sur des temps partiels de 130/140 heures par mois. Début janvier, on a revu les emplois du temps avec une augmentation du nombre de contrats signés. (…) Donc, si on n’a pas de temps complets, on s’en approche. C’est important, sinon on n’a pas de personnel motivé et les gens ne restent pas. Pour les personnes, l’objectif, c’est d’avoir un temps plein. Vous savez, avec le salaire qui est proposé, si on n’a pas de temps plein… Pour les gens qui démarrent, on essaie de proposer des 30 heures par semaine. Mais ce n’est pas systématique parce que nous, en fait, il faut répondre à l’urgence. On est toujours dans l’urgence. Hier matin, j’ai fait un entretien avec une femme. Elle avait 10 heures dans son emploi du temps. Alors, c’est sûr qu’elle a eu un peu peur. Ca fait peur d’avoir 10 heures sur son planning. Mais je lui ai dit qu’on augmenterait très vite les heures. Et ce matin, son emploi du temps était rempli. (…) Nous, notre objectif, c’est de proposer des emplois du temps corrects, dans un secteur géographique qui se respecte »

Au moment de l’enquête, les salariées rencontrées ont toutes un temps de travail supérieur au temps moyen des aides à domiciles qui s’élève à 23,7 heures par semaine, soit un temps de l'ordre de 100h par mois. Sachant qu’un quart des salariées du secteur souhaiterait travailler plus41. Parmi les salariées rencontrées, 53% sont à temps plein et 11% travaillent sur des trois- quarts temps ou plus. Il est difficile, dans le cadre de cette recherche, de mesurer dans quelle mesure ces temps de travail correspondent à ceux des autres salariées des associations enquêtées : comme nous l’avons précédemment signifié, nous n’avons pu travailler sur les fichiers du personnel, il est donc difficile de mettre en perspective nos résultats avec l’ensemble des salariées. Toutefois, compte tenu des formes de mise en emploi, il n’est pas étonnant que les salariées que nous avons rencontrées, qui figurent parmi les anciennes, aient des temps de travail plus élevés que ceux que connaissent habituellement les salariées de ce secteur.

Si l’on remonte quelque peu le temps, les associations ont pu s’appuyer sur différents outils pour tenter d’augmenter les temps de travail. Avec les recompositions des politiques de maintien à domicile, le service mandataire a parfois été appréhendé comme un outil pour augmenter voire stabiliser en partie les temps de travail.

« Les premiers services mandataires, c’était en 96, je crois. Et nous, dans notre région, on a été dans les tous premiers. Certaines n’avaient pas trop d’heures en heures à domicile, donc on leur a proposé du mandataire. Mais depuis la majoration de salaire, à chaque fois qu’elles ont un décès chez une personne chez qui elles sont employées, on les met en prestataire. Disons qu’elles restent attachées à la personne chez qui elles vont depuis 10 ans, 15 ans. Mais nous, dès qu’elles perdent un dossier en mandataire, on leur octroie un complément de contrat en prestataire. »

Aujourd’hui, il s’agit cependant d’une stratégie qui n’a plus cours, conformément aux orientations de la fédération. Les conditions générales de rémunération moins favorables ont limité cette stratégie, comme cela apparaît dans l’extrait qui suit.

« Il y a une distinction entre quand vous êtes toute une journée chez une personne en prestataire, vous payez le taux CNAF. Tandis que, quand vous êtes en mandataire, un quart des heures au taux plein et trois-quarts au 2/3. Donc, ça coûte quand même moins cher. Mais, là, c’est de la présence. Vous êtes assise et vous regarder la TV avec la personne âgée. Il n’y a pas de tâches effectives. Mais je me suis rendu compte que les personnes âgées n’aimaient pas avoir quelqu’un d’assis à côté d’elle. Donc, on en est venu à dire qu’à partir du moment où il y a des tâches, c’est à taux plein. Quand ils voient la facture après, ils déchantent, mais… On a des employées de maison qui ont entre 40 et 50 ans qui ont toujours été femmes de ménage. Elles avaient leurs maisons. Tandis qu’une aide à domicile court de maison en maison. Et nous, on leur propose, quand elles sont comme ça, en fin de carrière, des maisons où il n’y a pas trop de charges à faire, mais où il faut une présence (Alzheimer...). »

L’ouverture à de nouvelles offres de service peut-être vue aujourd’hui comme une possibilité d’augmenter les temps de travail. Deux remarques préalables doivent être ici soulevées. La première pose la question de la circulation des salariées d’un service à un autre. Si l’on considère en effet que c’est la personne qui est au centre et non le domicile, alors, il faut penser la circulation des femmes à un moment T (on ne raisonne pas, ici, en termes de parcours professionnel) entre différents services, en lien avec des dispositifs de formation et d’accompagnement, pour celles qui souhaiteraient de telles circulations. Par ailleurs, il importe de mesurer que les savoirs et savoir-faire engagés auprès d’une personne âgée vieillissante et celles auprès d’un enfant, par exemple, ne sont pas du tout les mêmes. Enfin, on peut se demander si cette circulation serait/sera offerte à toutes ou à quelques-unes. Dans ce cas, la diversification des services ne peut être appréhendée comme un outil permettant de proposer des temps pleins. La deuxième limite porte plus particulièrement sur ce que l’on pourrait appeler « la fausse bonne idée » du ménage. Le chapitre suivant sur le travail de ménage expose ce que signifierait pour les femmes, faire du ménage en plus. On se contentera ici de souligner que l’on prend le risque d’alimenter, ce faisant, un processus de déqualification du travail et par le travail. Enfin, nous souhaiterions souligner que cette réflexion doit s’accompagner d’une attention aux modes d’attribution des heures, et pas seulement dans l’optique de réduire les coûts liés à la modulation. A ce titre, des expérimentations sont menées ici et là, qui s’articulent avec des arrangements locaux mettant au centre les responsables/cadres de secteur ou les personnels de plannings :

- « Les responsables de secteur, elles sont toutes ici. Elles ont des secteurs pour les dossiers. Mais pas pour la planification. Elles font les plannings de toutes les aides à domicile, quel que soit le secteur, sans distinction. Déjà parce que dans le cadre de la modulation, il faut gérer les horaires des salariés. Donc, si vous avez des secteurs trop fermés, vous pouvez avoir une aide à domicile qui a trop d’heures sur un secteur, tandis qu’une sur le secteur à côté n’a pas d’heures. Donc, s’il n’y a pas de liens entre les secteurs, vous versez des heures

complémentaires à l’une et l’autre, c’est de votre poche. Donc en fait, c’est uniquement les dossiers des personnes âgées qui sont traités par secteur. Le reste est traité en global. » - « Avec X, on n’a pas toujours le même point de vue. Parce que je viens du terrain. Et elle,

elle est un peu…, elle est objective. Moi, je m’imprègne d’un sentiment, j’essaie d’avoir une oreille un peu attentive. Moi, je dis : Je vois bien cette personne. Et elle, elle me dit : OK, mais on ne va pas mettre cette personne qui a déjà 40 heures. On va mettre celle-là qui a des heures en moins. »

Dans ce cadre, il faut introduire comme hypothèse la question des effets de l’origine perçue sur la construction des temps de travail et l’anticipation, par certains acteurs, d’un éventuel refus de recevoir une salariée de couleur. Si, comme nous l’avons exposé dans le chapitre sur les migrantes et leurs descendantes, des encadrantes et des associations indiquent, dans leur discours, refuser catégoriquement de telles demandes, ailleurs et dans les faits, le traitement de telles demandes pourrait être plus flou.

« Et puis ici, ils ne donnent pas aux noirs. On le voit avec les autres. On a moins d’heures de travail. Il y en a, ici, elles arrivent à faire des temps pleins ou elles ont beaucoup d’heures. Nous, on n’y arrive pas. On dit qu’on est libre, qu’on peut aller partout et non, on ne nous appelle pas. Je ne suis pas la seule, comme ça ! (…) On le voit entre nous. Sinon, il faut qu’on court. On doit aller une fois par là, une fois ailleurs. »

Du côté des salariées, les temps de travail salarié ont pu être augmentés par du « travail à côté », chez des particuliers. Cela étant, elles sont peu nombreuses à cumuler les heures et les employeurs et, quand elles l’ont fait, c’est pour des volumes horaires hebdomadaires peu importants et sur des temps courts. Leur objectif reste de majorer le temps de travail en tant que prestataire, pour mettre fin à la précarité de l’emploi et bénéficier des conditions statutaires plus favorables que représente l’emploi dans une entreprise associative.

Pour résumer, si l’on se situe du côté des pratiques associatives, plusieurs dynamiques ont concouru (et concourent encore) à augmenter les temps de travail et, parfois en parallèle, la fragmentation des temps. On notera d’ailleurs que ce sont les mêmes processus qui, à l’inverse, fragilisent les temps de travail des femmes. On ne peut s’empêcher de poser la question d’une organisation structurelle des temps de travail qui freinerait les temps pleins : les temps partiels permettent en effet de jongler avec les remplacements à faire dans l’urgence si aucune équipe roulante n’existe.

En ce sens, il importe de comprendre ce que construisent et bousculent les pratiques associatives et les pouvoirs publics, en termes d’organisation des temps de travail. Il faut aussi noter un ressort qui, lui, ne relève pas des pratiques associatives et qui de fait, donne d’autant plus d’effets aux politiques publiques, telles qu’elles se mettent en œuvre (localement). Nous faisons ici référence à la structure sociodémographique de l’aire géographique où les associations déploient leur activité ainsi que les caractéristiques économiques de ses habitants. L’analyse des emplois du temps hebdomadaires des salariées (établis avec elles, pendant l’entretien) ou les échanges avec les responsables associatifs ont ainsi permis de constater que la présence de personnes disposant de revenus suffisants pour prendre à leur charge des heures en plus de celles allouées par l’APA ou par d’autres financements (CRAM, mutuelles…) permettait des temps d’intervention plus longs. On gardera toutefois en mémoire que, même sur ces lieux, ces profils de famille ne constituent pas la norme. À l’inverse, dans des zones particulièrement paupérisées, les personnes aidées peuvent être plus dépendantes des plans d’aide et ne peuvent ainsi assurer des heures en plus, en dépit de leurs besoins. Certaines personnes peuvent aussi, lorsqu’elles estiment que la part financière qui leur revient est trop élevée, ne pas utiliser l’ensemble des

heures allouées, tout en cherchant à ce que le service rendu soit identique. Les entretiens menés avec les acteurs associatifs confortent cette grille de lecture.

III. 2. 2 Régularité et stabilisation des temps de travail : un

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