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2 3 Ce que construisent les femmes : les tactiques pour se construire des temps pleins et des « temps qu

Pour toutes, il s’agit de construire des temps qui conviennent. Il peut s’agir de temps partiels, de temps pleins, certaines souhaitant même travailler plus.

Parmi celles qui sont à temps partiel, deux groupes de femmes peuvent être constitués. Le premier comprend des femmes qui souhaiteraient travailler à temps plein, travailler plus donc, et parfois même plus que le temps plein réglementaire, le second des femmes qui ne souhaitent pas travailler plus. Quels registres de pratiques, quelles attentes soutiennent ces attentes ? Il faut tout d’abord ramener ces attentes au travail domestique qui incombe à ces femmes, le travail domestique intégrant à la fois le ménage mais aussi tout ce qui relève des soins apportés aux enfants ainsi qu’aux ascendants (Delphy, 1998; Fougeyrollas, 2005). Qu’elles soient seules ou en famille, ces femmes ont très majoritairement, si ce n’est exclusivement, seules, la charge des enfants (éducation, courses, devoirs, soins, loisirs), de l’entretien de la maison, du conjoint. Le temps de travail domestique qui s’ajoute au temps de travail salarié, constitue alors un frein à un emploi à temps plein. Et si elles peuvent parler de choix, il est important de s’intéresser à quelles réalités renvoie ce terme. De fait, la très grande majorité des femmes de ce groupe indique qu’elles envisagent de travailler plus dès lors que leurs enfants, par exemple, auront grandi. Nous avons d’ailleurs été frappées par l’amplitude de travail de ces femmes. Ce n’est pas une surprise en soi : les enquêtes Emploi du temps de l’Insee ont mesuré le temps passé par l’un et l’autre sexe au travail domestique. Les emplois du temps que nous avons remplis avec les femmes rendent cette réalité visible d’une autre façon et lui donnent un contenu. Nous avons ainsi des femmes qui se lèvent à 6h du matin pour faire du ménage puis partent travailler, rentrent à midi pour le déjeuner du conjoint et/ou des enfants qu’elles partagent avec eux, avant de repartir travailler ; et de rentrer pour préparer le repas, s’occuper du linge, etc. Ce temps de travail domestique assigné aux femmes est également un temps qui peut peser sur le temps de formation.

« Q : Et votre mari, vous pourrez compter sur lui? Non. Il ne fait rien

Q : Mais là, il pourra s’y mettre

Non. Lui, c’est plus son travail. C’est mon travail et toi, tu as ta maison. Si je lui demande d’enlever ses pantoufles, c’est une torture. C’est tout « moi, moi, moi ». J’ai eu le tort de ne pas dire au début. Même son verre, il ne le lavera pas. J’arrive à la maison et je trouve son assiette, que je vais laver. Et moi, j’ai le repassage, la cuisine, la vaisselle. Les courses à faire. Les devoirs. Remplir les papiers, payer les assurances. Tout ça, c’est moi. Et le foot. Tous les samedis, je suis sur les terrains de foot. Mon fils joue. Ca me détend aussi. Je le vois jouer, je suis dehors avec d’autres parents. Ca me fait du bien. »

La question n’est alors pas celle de la motivation mais du temps et des inégalités entre les sexes. Le deuxième registre de discours relevé doit lui aussi interpeller. Il n’est pas nouveau. D. Kergoat, à partir d’une enquête sur le travail à temps partiel chez les ouvrières et les employées (1984) avait analysé ces pratiques. Plus récemment, on a pu le relever chez des femmes occupant des métiers pénibles, en bas de l’échelle des qualifications dans le secteur hôtelier francilien (Ferreira, Lada, Kergoat, 2007). Limiter les heures de travail peut renvoyer à une tactique pour tenir dans le métier, face à ses pénibilités physiques voire mentales. Et ce, alors que cette stratégie pèse directement sur les rémunérations actuelles, mais aussi à venir, en termes de retraite, par exemple. Dans ce cadre, certaines disent envisager une réduction de l’activité pour pouvoir vieillir dans le métier. L’expérience d’une collègue, d’une proche plus âgée et/ou ayant développé des pathologies liées au travail peut alors être convoquée pour rendre compte d’un tel projet. Ce discours peut aussi s’observer chez des jeunes femmes qui, même si elles le mobilisent a posteriori (après avoir reçu une réponse négative de leur encadrement ou être restées sans réponse), convoquent cet argument pour expliquer pourquoi, in fine, ce temps convient.

« Comme dit ma responsable ça ne dépend pas que d’eux, cela dépend aussi des personnes âgées. C’est vrai, ils donnent plus d’heures aux personnes diplômées. Pour mes heures, moi, je suis payée sur 130h par mois. J’ai demandé une fois, on m’a dit non. Maintenant, je ne me complique pas. Moi, je préfère un peu moins d’heures car c’est dur et il faut supporter les personnes âgées et il y a beaucoup de trajet. Je passe mon temps en voiture.

Q : Qu’est ce qui est dur pour vous ?

Certaines personnes âgées maniaques, capricieuses, un peu folles, elles font des crises. Il faut se gérer, et je pense le faire. Parfois ce sont les enfants des personnes âgées qui compliquent les choses. Moi, j’en ai deux très sympas. Les enfants ne sont pas là, mais ils trouvent toujours des choses à dire. Ils téléphonent en disant que l’on ne fait pas (telle ou telle chose), alors que ce n’est pas vrai. Ca va dans tous les sens. Le ménage, les gens pensent que l’on est des femmes de ménages alors que nous n’en sommes pas. Nous on nous a dit de faire ça et ça, le quotidien : aspirateur, laver par terre. Parfois ils veulent que je fasse la chambre des petits-enfants ou que je repasse le linge, leur linge. Moi je m’occupe de la personne, je fais sa chambre et son linge, il y en a qui ne comprennent pas. »

On remarquera ici que ce sont des tactiques individuelles qui sont envisagées et non collectives. De même, cette problématique qui relève du champ de l’employeur (s’atteler à la pénibilité et au vieillissement au travail) est ici appréhendée comme une question qui ne peut trouver des réponses qu’individuellement. Dans ce cadre, les syndicats ne sont pas mobilisés, à l’instar d’autres problématiques

Parmi celles qui souhaitent travailler plus, on trouve des femmes à temps complet et, on le souligne, afin d’éviter toute analyse réductrice selon laquelle les femmes en famille souhaitent travailler à temps partiel, des femmes avec enfants. Ce sont des personnes qui ont pu commencer à travailler avant la modulation et qui, avant ce passage, réussissaient à avoir des temps de travail conséquents. Madame A. figure au nombre de ces femmes qui regrettent de ne pas pouvoir travailler plus, en incriminant les 35 h. En fait, c’est la mensualisation et l’annualisation du temps de travail qui la pénalise car, avant, lorsqu’elle faisait des heures supplémentaires, elles étaient payées tous les mois. Aujourd’hui ce n’est qu’au mois de décembre qu’il y a, le cas échéant, des heures supplémentaires payées, sauf si elles sont prises en congés. En tout état de cause, l’accord de branche de mars 2006 plafonne à 50 heures le nombre d’heures supplémentaires autorisées dans l’année. Cette limite a été posée en contrepartie de l’accord de modulation, qui fixe le maximum hebdomadaire à 40 heures et le minimum à 28 heures, pour les salariées à temps complet. Elle touche ainsi tous les mois 1000 euros nets, pour 35h hebdomadaires annualisées. Elle est classée comme agent à domicile, ce qui correspond au premier niveau (A) de qualification dans la grille de la convention collective de l’aide à domicile.

« Maintenant qu’il y a les 35h, c’est un peu plus strict. A l’époque il n’y avait pas les 35h et on travaillait les WE, les jours fériés

Q. Vous voudriez travailler plus ? À un moment j’ai demandé

Q. Vous le souhaitiez pour avoir plus d’argent ?

Tout à fait. De ce côté-là, oui, parce que j’élève ma fille toute seule et je voulais travailler plus. Travailler plus mais ne pas être hors-la-loi. »

Si l’on essaie maintenant d’avancer quelques pistes pour rendre compte de la façon dont, pour les femmes de notre échantillon, les temps de travail ont été augmentés, au fil du temps, différents éléments doivent être articulés. Nous avons tout d’abord observé que la disponibilité, en termes de lieu de travail (aller partout, dans le cadre du secteur où les femmes travaillent), de tâches à effectuer et d’horaires de travail, constitue un ressort important de l’augmentation des temps de travail. Dans un secteur confronté à un turn-over qualifié d’important, la disponibilité des salariées constitue l’un des ressorts de leur mise en emploi voire constitue un des critères discrets ou invisibles d’une mise en emploi à temps plein. D’un côté, la nécessité de devoir gérer des remplacements et, de l’autre, la possibilité de pouvoir s’appuyer sur des salariées disponibles, permet à l’encadrement de répondre aux demandes des familles. L’analyse des entretiens avec des acteurs associatifs met également en lumière ce qui peut, in fine, être un requis, non dit mais effectif en pratique. Cette attente de disponibilité qui se transforme comme un requis informel, les salariées l’ont saisie.

Un autre élément important est la réputation autour du double enjeu « se faire connaître/être connue ». Elle peut constituer un des ressorts de la mise en emploi sur des temps qui conviennent, en termes de volume horaire mais aussi de distribution du temps de travail dans la journée. Les liens à tisser avec l’encadrement constituent alors un enjeu, tout comme être connues sur le secteur où elles interviennent, ce qui peut être facilité par le fait qu’elles travaillent à proximité de leur domicile. Un entretien avec une salariée qui peine à être connue auprès des personnels stratégiques dans la constitution des temps de travail (dans ce cadre, « le planning ») donne à voir, en creux, l’importance d’être connue. Dans le cas cité ci-dessous, cette réalité prend une connotation particulière dans la réflexion sur la co-construction des discriminations. Cette salariée fait en effet partie des femmes qui ont un faible temps de travail. Elle impute ce point à deux éléments : le premier renvoie à sa réputation de « râleuse » dans

l’association, le second à son origine. Au-delà de son cas, on doit se demander dans quelle mesure l’absence de proximité avec les salariées donne encore plus de prise aux demandes discriminantes des familles quand, par ailleurs, les salariés ne sont pas formés aux problématiques des discriminations et que, de plus, on leur demande de donner satisfaction aux clients afin de se positionner avantageusement face à la concurrence.

Ces deux éléments (le travail domestique, les attentes en termes de disponibilité) pèsent sur la possibilité de travailler pour une autre association. C’est en effet en répondant aux sollicitations de leur encadrement pour des remplacements (y compris lorsque la modulation est mise en œuvre) qu’elles peuvent augmenter leur temps de travail. Dans ce cadre, ce sont des temps de travail courts qui viennent s’ajouter aux autres heures de travail. Il est alors difficile de travailler à côté sachant que l’on peut potentiellement être appelée presque à toute heure.

On notera que les salariées trop discrètes ne figurent pas parmi celles qui arrivent à construire ces arrangements le plus facilement. Il semble même que, face à des charges de travail importantes, ce sont les salariées qui se font entendre qui voient leurs attentes recevoir une fin positive

« Lorsque j’ai eu mon CDI, c’était sur ma demande, j’ai dit que je voulais vraiment travailler chez eux. Cela ne serait pas venu de l’association et il fallait demander. Je voulais savoir s’ils me garderaient et ils m’ont gardée. C’était un CDI à temps partiel 130h.

III. 3. Travail et conditions de travail

Ces analyses appellent à prolonger la discussion sur le travail et les conditions de travail. Le point deux, centré sur les temps de travail et les conditions d’emploi, nous a déjà conduites d’aborder cette question. La discussion sur le « travail à la demi-heure » et « au quart d’heure » a permis, dans ce cadre, de mettre particulièrement en lumière les interrelations entre les conditions d’emploi et les conditions de travail. Pour ce dernier point, nous avons choisi de penser les questions relatives à l’organisation du travail à partir d’une question qui traverse l’ensemble des entretiens : celle de l’isolement au travail.

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