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De singulières représentations des compétences

V. 3 2 Exclusion renforcée pour les salariées dont l’expérience de l’aide aux personnes s’est construite hors

V. 6. De singulières représentations des compétences

La question de la nécessaire revalorisation des métiers de l’aide aux personnes et plus spécifiquement de l’aide à domicile, afin de les rendre plus attractifs pour des personnes dont le niveau scolaire ne cesse de croître, apparaît de façon récurrente dans les textes et rapports publics traitant de cette question.

La note d’information de juillet 2004 du Conseil Economique et Social (CES) concernant « Le recrutement, la formation et la professionnalisation des salariés du secteur sanitaire et social » pointait les problèmes propres aux métiers de l’aide aux personnes âgées et les enjeux de leur revalorisation pour assurer la pérennité des emplois dans ce secteur : « Le secteur sanitaire et social, placé tout à la fois devant d'importantes difficultés de recrutement, des carrières relativement courtes pour certaines d'entre elles et de fortes rotations d'effectifs concernant des emplois sensibles, se trouve également confronté avec acuité à la pénibilité des conditions de travail, à la faiblesse des conditions d'emploi, de rémunérations et de perspectives de carrière, et plus généralement à la question de l'attractivité de ces métiers. Certaines branches d'activité, telles l'aide au maintien à domicile ou les établissements et services pour personnes âgées, souffrent plus particulièrement d'un fort déficit d'image. Dans une société valorisant la performance, la beauté et la jeunesse, il apparaît louable mais peu gratifiant de s'occuper de personnes en situation de dépendance ou d'infirmité. » La note concluait : « Au regard de l'importance des enjeux d'avenir, il apparaît donc essentiel d'oeuvrer à ce que le secteur sanitaire et social retrouve son attractivité et à ce que les personnels soient préparés au mieux à la prise en charge des populations bénéficiaires, d'où la nécessité de s'attacher à recruter des personnels qualifiés, mais également de revisiter les formations initiales et continues et d'oeuvrer à la professionnalisation de l'ensemble des personnels salariés. »67

L’important rapport de la cour des comptes sur les personnes âgées dépendantes de 2005 reprécise les enjeux de recrutement dans le secteur de l’aide à domicile : « L’enjeu pour les services d’aide à domicile est désormais de recruter puis de conserver un personnel motivé. »68 La conclusion du rapport du CES de janvier 2007, sur le développement des services à la personne en fait l’un de ses points centraux : « Or, une des clefs du succès de la réforme repose sur l'attractivité des métiers de ce secteur. Il faut parvenir à combiner le développement rapide d’un domaine créateur d’emploi et l’exigence d’une grande qualité, à la fois des services rendus et des conditions d’emploi de ceux qui les réalisent. Non seulement il convient de revaloriser ces métiers pour les ouvrir à de nouveaux publics, mais il faut également engager d'ambitieuses actions de professionnalisation. »69

Face aux enjeux d’un développement de l’attractivité de ces métiers, rappelés avec force dans ces textes, nous avons été surprises de constater, dans un autre rapport, datant de 2006, « Personnes âgées dépendantes : bâtir le scénario du libre choix »70, les bases sur lesquelles pouvait s’inscrire la professionnalisation des salariées. Les propos que nous avons relevés font en effet peser un doute majeur sur la volonté et le sens de la revalorisation affichée, de

67 Pinaud M., Le recrutement, la formation et la professionnalisation des salariés du secteur sanitaire et social,

Notes d’Iéna, Informations du Conseil Economique et Social, Juillet 2004.

68 Les personnes âgées dépendantes, Rapport de la cour des comptes, Novembre 2005, p. 54

69 Verollet Y. (rapporteur), Le développement des services à la personne, Rapport du Conseil économique et

sopcaile, janvier 2007, p. 123.

70 Second rapport de la mission « Prospective des équipements et services pour les personnes âgées

même qu’ils interrogent profondément les connaissances qui sous-tendent la définition des référentiels-métiers et des référentiels de formation pour les emplois dans le secteur de l’aide à la personne. Ce rapport précise ainsi :

« Malgré le gros effort fait en matière de qualification des aides à domicile, le recrutement des professionnelles de l’aide à domicile reste un enjeu déterminant de la qualité de la prise en charge. Il doit s’effectuer en reconnaissant d’autres compétences que celles validées par un diplôme, ce qui suppose de dépasser les représentations sur les compétences innées et naturelles des femmes ; de repérer la capacité de la personne recrutée à discerner la différence entre les façons de faire chez soi et des pratiques professionnelles ; d’identifier les compétences génériques transférables dans des situations de travail précises (par exemple : éprouver du plaisir à effectuer des tâches répétitives, savoir travailler sous pression), les compétences acquises par l’expérience, les compétences rares qui n’ont pas à voir avec le métier comme les compétences linguistiques ; d’identifier pour les personnes d’autres cultures leurs capacités à s’adapter aux habitudes des clients.71 »

S’il n’y a rien à dire sur le début de cet argumentaire, les précisions apportées quand il s’agit d’expliciter ce que peuvent être les compétences génériques requises pour exercer le métier d’aide à domicile résonnent avec violence et comme un déni absolu des effets profondément délétères de telles conditions d’exercice du travail. Toutes les enquêtes sur le travail et la santé montrent en effet que les risques d’atteinte à la santé physique et mentale des salariés sont multipliés pour les salariés déclarant faire « un travail répétitif sous contrainte de temps » (Doniol-Shaw, 2000). Imaginer qu’il pourrait y avoir du plaisir à faire un travail répétitif est déjà interloquent, exprimer ensuite qu’il s’agirait là d’une compétence, de même lorsqu’il s’agit de « savoir travailler sous pression », c’est-à-dire que l’on saurait identifier de telles compétences chez les personnes, est proprement sidérant.

Au-delà de cette violence posée sur les personnes, de tels propos interrogent les représentations du métier qu’ils sous-tendent et le sens de la qualification nécessaire. Si le travail d’aide à domicile est un travail répétitif, comment les enjeux de qualification peuvent- ils être à la hauteur de ce qui est affiché ? C’est en fait précisément parce que ce travail est tout sauf répétitif, ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas fatigant ou parfois lassant, que les besoins d’expérience et de qualification sont essentiels.

La fin de la citation n’est pas plus heureuse car, d’une part, on voit poindre ici tous les effets possibles d’une approche culturaliste des femmes migrantes et de la thèse, réductrice, de la distance culturelle qui les sépareraient immanquablement des personnes aidées et, d’autre part, on observe que, dans ce cas, les personnes aidées deviennent des « clients » alors que, dans l’ensemble du rapport, les termes employés sont « personnes aidées », « personnes âgées », « patients » ou « usagers ».

Ces différents propos apparaissent dans un rapport qui définit des orientations pour les politiques à venir. Il a de plus été construit avec l’ensemble des acteurs politiques et institutionnels ainsi qu’avec de multiples « experts » de la question, les uns ayant été auditionnés, d’autres ayant participé à des ateliers, à des conférences ou à des tables rondes… Que de tels propos aient pu résister aux débats et relectures des textes qui n’ont certainement pas manqué d’avoir lieu, marque le chemin qui reste à accomplir pour construire une réelle filière de qualification dans les métiers de l’aide à la personne et en améliorer les conditions de travail.

71 C’est nous qui soulignons. Rapport op.cit, p. 28. Il est précisé que cette partie reprend une intervention en

VI. LA DIVERSIFICATION DES PUBLICS ET DES

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