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2 2 Le choix de l’aide aux personnes âgées à domicile : un choix construit par opposition aux conditions

de retraite

Pour une part très importante des salariées rencontrées, le travail à domicile auprès des personnes âgées est très loin d’être un choix par défaut de trouver une insertion dans une structure collective, c’est-à-dire dans une maison de retraite. Il est au contraire, très fréquemment, fait par opposition aux conditions de l’organisation du travail dans les maisons de retraite dont elles estiment qu’elles ne satisfont pas aux objectifs de bien-être des personnes qui animent leur désir de travailler auprès des personnes âgées. Ce choix repose par ailleurs sur leur expérience, celle-ci ayant pu être acquise à l’occasion des stages ayant accompagné leur formation (BEP sanitaire et social, avec ou sans la mention complémentaire aide à domicile, BEPA Services aux personnes, CAFAD ou DEAVS), ce qui concerne 15 salariées, ou d’une expérience professionnelle en secteur hospitalier ou en maison de retraite, situation propre à 10 salariées.

La question d’une possibilité d’un futur travail en maison de retraite ne se pose plus pour les plus âgées, mais il est manifeste que celles qui ont des perspectives de carrière encore

importantes, et qui ont construit leur parcours dans l’aide à domicile en opposition au travail en maison de retraite, aucun retour n’est possible.

Les propos de certaines peuvent être radicaux et sans appel : « Les maisons de retraite ? J’y suis allée faire un tour et je suis revenue vite parce qu’on traite mieux les chiens que les personnes âgées. »

Mais l’expérience vécue peut également être rapportée dans des récits minutieux, qui disent aussi leurs exigences vis-à-vis du travail que les conditions rencontrées sont venues heurter plutôt brutalement :

« La maison de retraite, moi, j’ai ressenti ça comme ça : On a ça à leur faire. Vous sentez que c’est plus une obligation de leur faire. (…) À domicile, les gens, sont plus réticents, ils osent moins demander. S’ils veulent quelque chose de particulier, ils osent moins demander. Alors qu’en maison de retraite, on vient, donc c’est normal de leur faire. »

Q : Vous avez plus senti être au service des personnes ?

« Oui. Et puis, à domicile, on a plus de temps. Parce que, en maison de retraite, quand vous avez 5 heures pour faire 20 toilettes ou plus… Bon, c’est vrai qu’à domicile, on a des heures à respecter aussi mais on a plus le temps de respecter la personne. C’est très important de ne pas faire pour eux, mais de leur demander aussi. Même encore maintenant, je leur demande s’il y a quelque chose à leur faire. Parce qu’on est quand même chez eux. C’est quand même une priorité. C’est leur environnement. (...)

Le stage a duré un mois, de 7h à 15 h environ. Il s’agissait de distribuer et servir le petit- déjeuner. Après, quand on avait fait le tour, on passait une deuxième fois, cette fois pour les toilettes, avec réfection du lit et tout ça. Après, c’est les amener au salon pour le déjeuner. On les sert, on leur coupe la viande, on leur donne à manger pour ceux qui ne peuvent pas. Moi, les stages se finissaient après le repas du midi ». Pendant ce stage, « souvent on était avec quelqu’un de la maison de retraite (en fait, une aide-soignante) pour ne pas arriver et que la personne ne vous connaisse pas. Mais ça, c’était pour les soins. Après, pour le petit déjeuner, le lit ou le déjeuner, on était seul. (…) C’était une maison de retraite où il y avait plusieurs étages et il y avait 20 personnes par étages. (…) En règle générale, ils étaient trois ou quatre. Donc, on n’a pas le temps de reprendre… Moi, par exemple, ce qui m’a choqué, c’est les pieds, un jour sur deux. Ou le dos, un jour sur deux, tellement elles n’ont pas le temps. C’est pour les personnes qui ne sont pas valides, qui ne peuvent pas prendre de douche. Ils n’ont pas le temps de faire tout le monde à fond, tous les jours. Après, c’est vrai que, quand on voit le rythme de travail qu’ils ont, ils ne peuvent pas faire tout à fond. Bon, je m’entends ».

Q. Qu’est-ce que vous avez pensé de ce stage finalement ?

« Je l’ai trouvé très instructif. J’ai appris plein de choses quand même. Les personnes étaient très gentilles, mais le milieu ne me plaisait pas. Le milieu des maisons de retraites ne me plaisait pas. Dire aux personnes : Maintenant, vous vous levez à telle heure, le midi, vous mangerez à telle heure. C’est ça qui, en maison de retraite, ne me plait pas. Dire aux personnes, bon, vous vous levez, dire à des personnes de 85 ans, vous vous levez à 7h 30, moi, je dis : ils ont travaillé toute leur vie, ils se sont levés à telle heure, on ne va pas leur imposer l’heure de déjeuner. C’est vrai qu’ils sont obligés aussi, parce qu’ils sont obligés de tenir un rythme mais c’est ça qui ne m’a pas plu, de leur imposer un rythme. »

C’est le même souci de pouvoir respecter les rythmes de chacun qui anime cet autre salariée : « Je trouve que malheureusement, c’est l’usine, alors que là c’est de l’écoute, c’est vraiment… C’est ce qui m’a déçu dans les structures et j’aimerais vraiment faire évoluer ça, qu’on prenne le temps de s’occuper des gens. (…) C’est ce problème de rythme qu’on impose

à tout le monde, on oublie le cas par cas. (…) Si on arrive à garder au maximum les gens chez eux, je pense que c’est un plus, on fait du meilleur travail. »

Une autre salariée témoigne de son refus de la proposition d’embauche qui lui a été faite à l’occasion de sa formation au DEAVS : « Rentrer en maison de retraite, je ne pourrais pas le faire. J’ai fait un stage de 15 jours, j’ai eu une proposition d’embauche, et j’ai dit : non. Excusez l’expression, mais pour moi, c’est l’usine, la maison de retraite. De 7h 30 le matin jusqu’à 13h vous avez un couloir, et allez, le défilé pour les toilettes ! Ça, je ne peux pas, les gens ne sont pas des robots, les personnes âgées sont là pour qu’on les écoute, qu’on s’occupe d’elles. Beaucoup n’ont pas ou plus de famille, ou les enfants ne s’en occupent pas correctement, et j’estime que le relationnel…, tout rentre en jeu, c’est crucial. C’est : Qu’est- ce que c’est qui ne va pas ? Vous avez passé un bon WE ? Beaucoup de questions, c’est partager, se soucier, savoir si les enfants sont passés, les neveux, savoir s’il n’y a pas eu de problème entre temps… Il y a beaucoup à faire dans 1h ou 1h30. Moi, je ne m’ennuie pas, c’est comme partager les repas : je partage aussi les repas avec les personnes. »

Ce dernier récit vient aussi montrer que les représentations acquises dans l’expérience ne manquent pas d’occasions d’être réactivées au contact, non plus du travail, mais des personnes de son entourage qui se trouvent dans la situation d’être hébergées dans une maison de retraite : « Je ne travaillerai jamais en maison de retraite ! Ce n’est pas du tout mon univers. Il n’y a pas assez de personnel, donc on ne s’occupe pas assez des personnes. Quand j’y allais, on me disait : puisque vous êtes là, est-ce que vous pouvez sortir untel ou untel, dehors, faire un tour avec lui… Ils n’ont pas le temps. Cette relation éloignée, pour moi, ce n’était pas ça. Et encore, j’ai travaillé un peu avec tout le monde : les aides-soignantes, les ASH et j’ai travaillé en cuisine aussi, 15 jours chaque fois. Et là j’ai dit : je n’y travaillerai jamais, à moins que je n’y sois obligée, que je ne trouve pas d’autre travail. Il y a quand même de la demande en maison de retraite, et s’il le fallait, je le ferais. Mais moi, c’est d’abord travailler à domicile. (…) Quand on leur donne à manger, c’est du « vite fait mal fait ». Moi, quand j’ai des personnes à qui je donne à manger le midi, j’y passe l’heure, tandis qu’en maison de retraite… Ce n’est pas la faute du personnel, c’est celle du manque de personnel. Une fois par mois, je vais à la maison de retraite à Nemours, voir une dame chez qui j’allais avant et elle a la maladie d’Alzheimer et son mari ne pouvait plus gérer. La famille m’a demandé d’aller la voir une ou deux fois par mois et, même si elle ne me reconnaît pas, je lui fais une visite. C’est pareil, là, c’est manque de personnel, des fois j’arrive, elle a la robe ouverte, mal coiffée, tout ça… Moi, je la ramène dans la chambre, je la coiffe, je la rhabille… Il y a une dame qui est arrivée récemment, elle se promène toute la journée et elle chaparde, ça dérange tout le monde, le personnel, les personnes râlent, mais… Et aussi, les infirmières, je ne les voyais pas. Elles étaient là pour les médicaments, éventuellement certains soins, s’il y avait des escarres. Même les aides-soignantes, je trouvais que c’était… Il y avait un temps donné, une heure par exemple et il fallait qu’elles aient fait le plus de toilettes possible. Je trouvais ça presque abominable parce que c’était : tchi, tchi, tchi, C’était rapide, ça m’avait choquée, c’était de l’abattage. C’est pareil, c’est un manque de temps, alors le relationnel ? Et qu’est-ce que je vous mets aujourd’hui ? Tiens on va prendre ça, ça et ça… Moi j’aime bien avec les personnes dire : tiens, qu’est-ce qu’on prend aujourd’hui ? J’ai travaillé avec une personne non voyante, qui avait perdu la vue 10 ans auparavant, et je lui disais : aujourd’hui on va mettre ça, je lui décrivais la couleur du pull, du pantalon, des chaussettes, je décrivais tout, c’était plaisant, moi j’aimais bien. Les médicaments, on lui mettait dans la main et on lui disait : le petit rond, le petit ovale, c’est ça et ça… »

Ces témoignages disent ainsi on ne peut plus clairement que le travail en maison de retraite ne se présente pas comme une voie possible pour une grande partie des aides à domicile qui en ont déjà une expérience. Nous rappelons aussi que les salariées qui ont le projet d’évoluer vers le métier d’aide-soignante souhaitent soit l’exercer dans le contexte de l’aide à domicile, soit en milieu hospitalier, certaines, parmi les plus âgées notamment, le considérant même uniquement en complémentarité du métier d’auxiliaire de vie.

2. 2. 1 Les exceptions au constat précédent

Quatre salariées ont évoqué, au cours des entretiens, la possibilité de travailler en maison de retraite. Ces cas ne sont pas réellement comparables et nous les présentons successivement. - La maison de retraite pour rattraper une erreur d’aiguillage

Pour l’une d’entre elles, cela correspond à l’évidence à une difficulté dans son travail actuel et il serait souhaitable que ce souhait puisse aboutir rapidement, car elle est apparue très fragilisée au cours de l’entretien. Son parcours montre que ses projets ont subi une succession de réorientations à l’issue desquelles elle ne retrouve pas ce qui l’avait portée vers cette formation. Son souhait initial est de travailler auprès des enfants et elle entame une formation d’auxiliaire puéricultrice. Pour des raisons qu’elle ne développe pas, elle l’abandonne et s’engage dans un BEP sanitaire et social qui lui donne une nouvelle possibilité de concrétiser son désir de faire un métier en lien avec les enfants :

« On a d’abord fait auprès des enfants, la 1e année et ensuite avec les personnes âgées pour voir si on aime mieux avec les enfants ou les personnes âgées. »

Q. Et alors, vous ?

« Ca a été les deux. Mais j’aurais aimé travailler à la crèche, mais c’était bouché. Alors, je suis partie travailler avec les personnes âgées. Mais je ne le regrette pas ! »

Le travail auprès des personnes âgées est donc déjà un « deuxième choix », même si elle a apprécié l’année de formation qui lui a donné la mention complémentaire Aide à domicile. Elle est embauchée immédiatement après sa formation par l’association où elle a fait son stage d’aide à domicile. Mais ses propos disent son impuissance à résister aux demandes des personnes âgées : « Elles sont fortes à demander, de tout, et même des choses que je n’ai pas le droit de faire, mais que je fais quand même parce qu’elles sont exigeantes. C’est pour ça que j’aurais aimé travailler en maison de retraite parce que là, je fais mon travail et c’est tout. Tandis que là, c’est autre chose. (…) Il faut dire amen. Et puis il y a la famille. Dès qu’il y a quelque chose, tac ! Elles s’en prennent à l’association. Oui, il y a ça qui ne va pas. » Le travail en maison de retraite lui offrirait le cadre protecteur qu’elle-même ne sait pas instaurer et que, semble t-il, l’association en lui offre pas : « Maison de retraite, c’est réuni, le change, les toilettes. Il y a toujours quelque chose à respecter alors que le domicile, c’est la liberté. C’est entre nous et la personne âgée alors qu’en maison de retraite, c’est un ensemble. Il y a des temps pour le café, pour la réfection du lit à faire, pour le repas. Tandis que le domicile, non. » L’erreur d’aiguillage est manifeste pour cette jeune femme, mais on peut remarquer aussi que cela fait maintenant presque 10 ans qu’elle est dans cette activité, avec la parenthèse d’un congé parental récent et que, dans sa région plutôt rurale, pas plus les maisons de retraite que précédemment les crèches ne semblent être des lieux où elle puisse être embauchée avec sa qualification d’auxiliaire de vie sociale.

- La maison de retraite mais pour exercer un autre métier : Aide Médico-Psychologique En ce qui concerne les trois autres salariées qui pensent à s’orienter vers un emploi en maison de retraite, pour l’une d’entre elles il s’agit d’un emploi en tant qu’AMP. Elle est actuellement en A et si elle envisage de présenter le titre d’assistante de vie par la VAE, elle ne veut pas continuer dans ce métier au delà de 5 ou 10 ans et surtout elle aimerait ne pas avoir à faire de toilettes. Dans le même temps, ses projets restent manifestement flous car elle parle aussi d’ouvrir un commerce.

- La maison de retraite pour la régularité du travail

Pour une salariée, c’est la régularité du travail et le lieu unique d’intervention qui sont à l’origine de son souhait, formulé plutôt comme une hypothèse, de travail en maison de retraite. Elle en a l’expérience pour y avoir fait des stages pendant ses études, elle a le BEP sanitaire et social, mais son expérience professionnelle a d’abord été pendant 18 ans auprès d’enfants avant de se réorienter vers l’aide à domicile aux personnes âgées.

« Des fois, je me dis qu’en maison de retraite ce serait bien ! Là, comme aujourd’hui je suis en panne avec ma voiture et ça fait des heures en moins. (…) C’est vrai que le travail à domicile, c’est plus plaisant parce que, dans une maison de retraite, ça bouge beaucoup, il y a les collègues, au niveau relationnel, ça bouge beaucoup, tandis qu’à domicile, on se retrouve seule avec la personne. Il y a l’infirmière, les enfants qui viennent, mais on est tranquille. Quand je me retrouve avec une personne, j’ai l’impression que je suis tranquille, qu’il n’y a qu’elle, que je m’occupe d’elle, quoi, simplement et qu’on est tranquille. »

Formulé ainsi son projet semble encore indécis, mais à la fin de l’entretien, lorsque la question des projets revient, l’objectif de travailler en maison de retraite est toujours là et la probabilité que cela se fasse est réelle : « (Continuer) dans ce métier, mais peut-être pas toujours comme aide à domicile. En maison de retraite plutôt. »

- La maison de retraite pour préserver sa santé et avoir plus de temps pour les personnes La quatrième salariée qui énonce un projet de travail en maison de retraite a 50 ans et était au moment de l’entretien sur le point d’interrompre son activité d’aide à domicile, pour retourner dans sa région d’origine, avec son mari qui venait de prendre sa retraite. Elle n’a aucune expérience directe du travail en maison de retraite. Il lui restait deux modules à valider pour avoir le DEAVS.

« Je pense que si j’ai les deux modules qui me manquent, je me verrai plus postuler pour aller travailler dans une maison de retraite, toujours pour m’occuper des personnes âgées. (…) Peut-être les horaires, plus fixes. Je ne sais pas, en vieillissant, on aime bien que ce soit plus stable, moins de trajets, moins de parcours, parce que mine de rien, des allers et retours comme ça, c’est quand même assez dur. Dans une maison de retraite, j’ai plus l’impression que je pourrai mieux m’occuper, plus de temps pour faire des activités, c’est des choses qu’on n’a pas le temps de faire. »

On remarque que sa représentation de ce qu’elle pourrait faire en maison de retraite ne correspond pas à ce que décrivent les salariées qui ont l’expérience du travail dans ce type de structure. Cela dit, cette salariée a un emploi du temps marqué par des durées de travail très fragmentées. Elle a plusieurs interventions d’un quart d’heure (2), d’une demi-heure (4) ou de trois quarts d’heure (2) au cours de la journée, et son activité n’est pas continue sur la journée. Elle a une coupure entre 16h et 18h, puis reprend des interventions successivement auprès de deux personnes pour finir tous les jours à 19h45. Cette organisation de son temps de travail est une source de fatigue, physique et mentale, car il faut gérer cette multiplicité de micro interventions, et la perspective de reprendre une activité plutôt en maison de retraite est

profondément en lien avec le souhait de ne plus gérer un emploi du temps aussi contraignant et qui ne laisse guère de temps pour « prendre du temps » avec les personnes.

Pour conclure sur la question des mobilités professionnelles entre aide aux personnes âgées à domicile et en maison de retraite, l’idée selon laquelle il pourrait y avoir des allers-retours entre ces deux modalités d’exercice de l’activité, à différents moments de la vie professionnelle, ne correspond guère aux trajectoires comme aux projets des salariées rentrées dans l’aide à domicile. Nous insistons sur le fait que nous ne considérons ici que les possibilités d’alterner avec le travail en maison de retraite, mais il faut aussi considérer que, compte tenu de la réalité sociale, il s’agit là des mobilités potentielles les plus fortes.

Pour que ces mobilités entre secteurs se développent, ou du moins pour attirer les aides à domicile vers les maisons de retraite, c’est le seul point de vue que notre recherche permet d’explorer, il semble nécessaire que le travail dans ces structures change et, au risque de paraître iconoclastes, nous proposons que la réflexion sur les orientations de ce changement examine attentivement ce qui fait le « succès » du travail à domicile.

VI. 2. 3 Les autres structures collectives présentes dans les

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