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4 3 Agir sur les conditions matérielles de travail

Les salariées des associations interviennent au domicile des particuliers en tant que prestataires. En droit, l'entreprise prestataire affecte les moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation du travail défini, contractuellement, en réponse à un cahier des charges établi par le « donneur d’ordres ». La situation de l’aide à domicile lorsqu’elle correspond à des prestations exercées en réponse à des besoins financés par l’aide sociale, ce qui est le plus souvent le cas, ou par des organismes divers, est tout à fait particulière. Le « donneur d’ordre » est en effet, a priori, l’organisme financeur, mais dès lors que le bénéficiaire contribue, pour partie, au coût du service et, dans le cas où ses revenus sont élevés, sa contribution peut être majoritaire, quelles sont ses prérogatives dans la définition de ce service ? La question n’est pas anodine parce qu’il nous semble que beaucoup de choses se jouent autour de la contribution financière des bénéficiaires, en tout cas en ce qui concerne l’APA, qui représente souvent une part majoritaire de l’activité des associations.

Nous ne réglerons pas cette question ici, mais nous voulions néanmoins souligner l’originalité de la situation et la nécessité d’une réflexion pour définir les termes contractuels de « l’échange », lors de la prestation de service, avec des appuis légaux plus solides. Quoiqu’il en soit, cette situation n’exonère pas l’employeur de sa responsabilité en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail de ses salariés et il reste redevable de leur fournir les moyens de travail nécessaires à l’exercice de leur activité. Le « cadre » de cette activité est identique à celui d’une entreprise de nettoyage de bureaux qui fournit à ses salariés les vêtements, les produits, les matériels… nécessaires à l’entretien des locaux. Dans les faits, les moyens mis à la disposition des salariées dans l’aide à domicile se résument au plus à leur fournir des blouses et des gants et la prestation n’est jamais mise en regard des spécificités du logement de la personne, en lien avec son état, c’est-à-dire son niveau d’autonomie physique et mentale, à l’exception d’un équipement médico-social (lit médicalisé, lève-personne…) qui peut être prescrit (mais non systématiquement) par un médecin. Or, le travail chez une personne vivant avec des animaux dans une maison avec un jardin ou vivant seule dans un appartement n’aura pas les mêmes exigences. La nature des sols, l’encombrement de la maison (comme le dit l’une des salariées, les personnes âgées ont beaucoup de bibelots et, dans ces conditions, « faire les poussières » prend beaucoup de temps), la présence ou non d’escaliers… sont également des variables qui vont déterminer des exigences plus ou moins fortes du travail, tout en pouvant influer sur les temps de travail. Face à cela, il nous semble que les employeurs ont la responsabilité de vérifier que les salariés disposent des moyens, matériels et temporels, d’effectuer leurs tâches sans préjudice pour leur santé. Dans les faits, aujourd’hui, pour ce qui est des aspects matériels et pour une bonne part temporels, tout fonctionne comme si les bénéficiaires étaient les employeurs des salariées, car ce sont eux qui mettent les moyens de travail à leur disposition et ce sont eux qui, bien souvent, prescrivent les manières d’exécuter le travail, en tout cas en ce qui concerne les tâches d’entretien domestique, alors même qu’ils ne les exécutent plus eux-mêmes. Les salariées sont protégées par certaines limites énoncées dans le livret remis au bénéficiaire, qu’il signe pour manifester

qu’il en a pris connaissance et qu’il en accepte les règles. Ce point est très important même si, dans certains cas, nous avons vu qu’elles pouvaient avoir du mal à résister à des demandes pourtant explicitement hors de leur champ d’intervention. Mais ces limites n’épuisent pas la question des moyens de travail et nous insistons sur l’importance de la traiter car l’expression de la fatigue qu’engendre ce métier et les risques d’interruption précoce ou de réduction de l’activité, pour des questions de santé, qu’elle fait naître, traversent la quasi totalité des entretiens, rejoignant en cela les résultats de toutes les enquêtes sur les liens entre les conditions de travail et la santé50 (Doniol-Shaw, 2000). Face à ce constat, il nous semble que deux voies peuvent être prises simultanément.

La première concerne la prise en compte dans la définition de la prestation de la réalité des conditions d’exercice du travail, c’est-à-dire de l’environnement de la personne en sus de l’état de la personne elle-même. Dans le cadre de l’APA, cela s’inscrit dès l’élaboration du plan d’aide. Pour cette prestation, qui engage généralement le service pour une longue durée, les données montrent qu’il est très rare que le montant alloué à un bénéficiaire diminue, le montant de l’allocation pour une première demande devrait être délivré pour une première durée provisoire de trois mois et non pas d’un an comme aujourd’hui, afin de s’assurer rapidement de l’adéquation du plan d’aide aux besoins du bénéficiaire et aux exigences du travail. La fonction de coordonnatrice d’équipe, si elle était créée, servirait d’intermédiaire entre les salariées concernées et les responsables de secteur pour faire remonter les questions auprès des interlocuteurs au conseil général et faciliter une action rapide sur les situations problématiques. La seconde voie concerne directement les moyens matériels. Une part importante de l'usure au travail est liée aux manipulations des personnes et si des progrès sont apparus dans la mise en place de moyens d’aide pour les personnes les plus dépendantes (lits médicalisés, lève malades, fauteuils adaptés…) il y a encore des efforts à faire pour faciliter ce travail et surtout ne pas oublier que l’une des voies les plus sûres est encore celle du temps. En effet, et en ergonomie on ne le sait que trop, quand il faut aller vite, que le temps presse, on n'a d’abord pas le temps de mettre en oeuvre les savoir-faire de prudence et les règles de métier qui visent à préserver sa santé. Il importe aussi de le dire ici car les salariées sont nombreuses à exprimer les risques liés à la fragmentation du temps de travail et à l’accroissement de la pression temporelle qu’ils sous-tendent. Si cela a des effets sur la qualité du travail, ce dont elles souffrent, cela a aussi des effets sur leur santé51 (Doniol-Shaw, 2000 ; Derriennic, Touranchet, Volkoff, 1996) ce dont elles n’ont pas nécessairement conscience dans l’immédiat, mais cela contribue inévitablement à la fatigue et à l’usure prématurée par le travail et rend vaines les volontés de professionnalisation et de carrière.

50 L'enquête ESTEV montre ainsi pour les femmes déclarant des contraintes de pénibilité physique un

accroissement du risque de souffrir de douleurs physiques mais aussi de présenter des troubles du tonus (manque d'énergie) et de souffrir d'isolement social ainsi que de présenter des réactions émotionnelles, tous ces risques augmentant avec l'âge et demeurant même lorsque les salariés ont cessé d'être exposés. L'enquête PREST (Précarité, santé, travail) conduit à des résultats similaires sans faire apparaître le risque de souffrir d'isolement social et en faisant apparaître un risque accru de troubles du sommeil.

51 Les données de l’enquête ESTEV montrent, par exemple, un effet particulier des contraintes de temps chez les

personnels soignants. Ainsi, chez ces personnels, le fait de devoir souvent se dépêcher, associé à un vécu négatif de cette contrainte, accroît le risque de souffrir de douleurs ostéo-articulaires et cela d'autant plus que les salariées sont plus âgées. Cette même contrainte toujours associée à un vécu négatif accroît par ailleurs, chez les femmes concernées, le risque de présenter des troubles dans plusieurs dimensions de la santé perçue : le risque de déclarer des douleurs, de présenter des troubles du tonus, d'avoir des réactions émotionnelles importantes ou de souffrir d'isolement social est ainsi augmenté et il s'accroît encore avec l'âge surtout pour les douleurs et le tonus. L'enquête ESTEV fait également apparaître des liens importants avec la souffrance psychique. Le travail sous contrainte de temps accroît ainsi le sentiment de solitude et d'agressivité comme le travail monotone qui accroît en plus le sentiment de lassitude.

Mais il ne faudrait pas oublier non plus les exigences et les risques du travail d’entretien et force est de constater à travers les récits des pratiques des salariées que bien peu de réflexion sur des moyens appropriés à ce travail a été conduit jusqu’alors. Si chacun s’accorde pour dire qu’on ne fait pas le ménage chez les autres comme on le fait chez soi, il faudrait également considérer que de faire de cette activité un travail, même partiel, suppose des moyens moins artisanaux que ceux dont chacun peut disposer pour son usage purement personnel et donc fort limité quantitativement. Ces salariées interviennent professionnellement, vont de maison en maison, elles ont au minimum trois à quatre interventions par jour et, comme elles le disent, il leur être aussi vaillantes le dernier jour de la semaine que le premier et la dernière heure de la journée que la première : « Le vendredi, la personne, elle attend la même chose que celle du lundi matin ! » Au-delà des gants et des blouses, qui ne sont que des moyens de protection, surtout en ce qui concerne les gants, il s’agit de prévoir des moyens de travail adaptés à ces efforts répétés, limitant les risques de lombalgies ou de troubles musculo- squelettiques (TMS), qui comptent parmi les premiers problèmes de santé rencontrés par ces salariées. On pense à la généralisation de l’usage de pelles à manches, de porte seaux en hauteur et sur roulettes, de serpillières faciles à essorer, d’aspirateurs légers et qui aspirent vraiment, de produits de nettoyage qui ne nécessitent pas de multiples rinçages… L’APA permet de financer des aides techniques ou des aménagements du domicile52, elle pourrait, dans ce même esprit, contribuer aux aménagements qui facilitent l'entretien du logement par les salariées. En fin 2005, on observait que seul 6% de l’APA est consacré à ces aménagements, par ailleurs exclusivement centrés sur les bénéficiaires53. En affecter une partie pour améliorer les conditions du travail des salariées, sur des outils et des techniques qui n’ont rien de sophistiqué, ne déplacerait guère le curseur des dépenses d’aménagement, tout en allégeant significativement une partie du travail des salariées, au bénéfice de leur santé et, ainsi, de leur stabilisation dans l’emploi.

Pour des prestations temporaires, l’employeur (l’association) peut fournir aux salariées les moyens appropriés (nous voyons qu’il ne s’agit pas d’investissements « lourds »), qui seront stockés au domicile le temps de la prestation, dans le coût de laquelle ils seront inclus, comme une « location », sauf à ce que le bénéficiaire ne souhaite fournir lui-même les moyens satisfaisants aux exigences du travail, s’il ne les a pas déjà.

On rappelle ici que la responsabilité de l’entreprise employeuse, en matière de santé et de sécurité des salariées, s’applique à tout employeur, c’est-à-dire naturellement aussi au particulier. Ce n’est pas l’objet de cette recherche, mais on ne peut manquer de souligner qu’aucun cadre légal ne permet de vérifier, pour un employeur particulier, que ces obligations sont effectivement remplies. De plus, la multiplicité des employeurs, caractéristique des conditions d’emploi des personnes en emploi direct, rend impossible le recours contre l’un ou l’autre employeur, en cas de maladie professionnelle avérée. Pour assurer également des conditions de travail soutenables pour les salariées, l’emploi direct par des particuliers supposerait pourtant que les mêmes exigences lui soient appliquées.

52 « L’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), entrée en vigueur le 1er janvier 20021, permet ainsi la prise

en charge partielle des aides humaines, des aides techniques ou des aménagements du logement. » (Petite, Weber, 2006)

53 Personnes âgées dépendantes : bâtir le scénario du libre choix. Second rapport de la mission « Prospective

des équipements et services pour les personnes âgées dépendantes » conduite par Stéphane Le Bouler. Centre d’analyse stratégique. Juin 2006

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