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Cette étude s’est intéressée à explorer les pratiques professionnelles mises en œuvre afin de prodiguer une aide à la jeunesse en situation d’exclusion au plan professionnel, en donnant la parole aux travailleurs du terrain. Ceux-ci étant à même de donner un éclairage de la réalité de leur pratique. Le parcours des agents d’aide à l’emploi chargés d’accompagner les jeunes adultes dans leur processus d’insertion n’est pas le même pour tous. Parfois, des ressemblances sont notées, mais on constate également une multiplicité des pratiques, de par la latitude laissée aux travailleurs et ce, dans une optique d’adaptabilité des services. Ainsi, le point de vue des répondants a permis quelques réflexions au sujet de l’accompagnement en emploi et certains facteurs caractérisant leur pratique ont été identifiés.

Définition de l’accompagnement

De façon générale, l’accompagnement tel qu’effectué par les agents des CLE peut ressembler davantage à de l’application de mesures d’emploi qu’à de l’accompagnement comme tel. Il s’agit dans un premier temps de diriger le client vers une mesure. Pour ce faire, l’agent procède à une évaluation. Ensuite, il doit s’assurer que le jeune respecte les conditions lui permettant de demeurer et de réussir dans cette mesure. Une fois le jeune engagé dans la démarche choisie, l’agent gère ses absences et s’assure qu’il soit entouré de gens et de ressources qui l’accompagneront et le soutiendront dans son processus. Ces personnes sont souvent des intervenants des centres de formation ou de l’organisme dans lequel le jeune est référé. On remarque alors que c’est à cette étape que l’on peut dire que le jeune est accompagné. L’agent d’aide à l’emploi s’assure donc que son jeune client soit accompagné, mais, dans la majorité des cas et selon plusieurs répondants, ce n’est pas l’agent du CLE qui offrira la plus grosse partie du travail d’accompagnement. Finalement, l’agent aura dans ses tâches de constater et d’inscrire le résultat au terme de la démarche, c’est-à-dire s’il y a réussite ou non. Cette description du travail d’accompagnement par les agents, semble correspondre à la conception de l’accompagnement que l’on observe dans les écrits, qui l’envisagent comme un processus comprenant différentes dimensions, soit la prise de contact, le contrat, le projet et le suivi. Ainsi, globalement, les agents d’aide à l’emploi, dans un premier temps, vérifient l’admissibilité du jeune (prise de contact et

contrat), pour ensuite déterminer une mesure ou une démarche qui lui convient (projet). Par la suite, les agents vérifient, en continu, si le jeune peut demeurer dans la mesure en vérifiant s’il respecte les conditions (suivi).

Ingrédients pour l’atteinte des objectifs

Des agents ont exprimé que dans le cadre de leur travail, les résultats attendus avec les programmes d’emploi leur semblent parfois trop ambitieux pour les moyens mis en place. Afin d'obtenir plus de réussites, il serait nécessaire d’apporter plus de personnalisation dans l’accompagnement, soit d’adapter davantage à chaque cas particulier l’intensité et la forme de l’accompagnement qui sont offerts. On constate également que la sécurité que procure le statu quo, c’est-à-dire l’immobilité face au travail en demeurant sur l’assistance sociale, semble peser beaucoup sur l’inaction des jeunes éloignés du marché du travail. C’est pourquoi les agents observent qu’il est plus difficile de convaincre une personne déjà bénéficiaire de l’assistance sociale et qui a déjà reçu un ou des chèques d’allocation de s’engager auprès d’eux dans les démarches d’accompagnement. Les agents considèrent donc important de maintenir des démarches permettant aux nouveaux demandeurs d’assistance sociale d’être rapidement au courant des possibilités qui leur sont offertes pour les inciter à se mettre en action. Ils souhaitent pouvoir s’investir auprès d’eux le plus tôt possible dans leur parcours.

Les agents semblent également préoccupés par le fait de ne pas faire vivre ou revivre des échecs au jeune client au plan scolaire. Cela semble être une zone très à risque et que les agents sentent fortement fragilisée chez leurs clients. Cela laisse aussi croire que ces fréquentes histoires d’échecs multiples, vécues par une bonne partie des jeunes, puissent avoir des conséquences sur leur degré d’implication dans des mesures reliées à l’insertion. Ainsi, il est possible de poser l’hypothèse voulant que leurs difficultés à s’impliquer et leur manque de confiance soient attribuables à leur historique d’échecs. Dans le cadre de leur travail, les agents gardent ces éléments en tête et tentent de relever au jeune chaque réussite dans le parcours. Ils s’assurent également d’amener le jeune, autant que possible, à éviter les comportements et situations pouvant le mener à un échec (par exemple, en gérant les absences ou en le référant à des ressources adaptées en cas de problèmes personnels ou autres).

La relation avec le jeune

L’importance de la relation ressort du discours des agents comme étant un préalable à l’efficience des services qu’ils prodiguent, ce qui correspond aux propos recueillis dans la littérature, décrivant la relation entre l’accompagnant et l’accompagné comme très importante, voire même déterminante dans le processus (Suisse, 2001). Les agents mentionnent quant à eux que la relation de confiance permet d’obtenir des informations complètes et honnêtes sur le jeune et sur sa situation, de combler un éventuel manque de support dans son réseau, de gagner sa confiance et ainsi d’avoir accès à des confidences sur son vécu et ses problèmes qui pourraient entraver le succès de la démarche. L’établissement d’une relation et d’un lien solide donne l’occasion d’aborder ouvertement tous les problèmes et d’y travailler ensemble pour les régler. La relation établie avec le jeune est également une façon privilégiée d’aborder des aspects plus personnels, difficilement accessibles sans la présence d’un lien de confiance réciproque.

Il est remarqué par les agents que, même durant les périodes où le marché de l’emploi est favorable, les jeunes sont peu nombreux à être capables de demeurer en emploi. Cela laisse supposer que la situation est due aux caractéristiques des clients et non au marché de l’emploi. Dans le discours des professionnels interrogés, on retrouve beaucoup d’informations sur les difficultés personnelles des jeunes. Les répondants semblent davantage attribuer les difficultés d’insertion aux caractéristiques des clients qu’à la situation du marché de l’emploi. Ainsi, ils nomment des caractéristiques comme le manque de motivation, ou encore les différentes problématiques présentes chez plusieurs d’entre eux, comme des barrières importantes à l’insertion en emploi. Ainsi, le discours des agents corrobore ce qui est constaté dans les écrits, soit que dans la majorité des cas, l’exclusion socioprofessionnelle est davantage générée par des caractéristiques du client que par le marché de l’emploi lui-même (Frankel, 2005).

Cette hypothèse n’est pas incompatible avec la description des jeunes que nous font certains agents d’aide à l’emploi à l’effet qu’une bonne partie de leur jeune clientèle présente des comportements incompatibles avec le monde du travail. Les jeunes qui éprouvent de la difficulté dans les mesures font partie de la génération qualifiée « d’enfants-rois », qui n’accepte pas l’autorité, refuse de faire des compromis et qui se déresponsabilise beaucoup. Ainsi,

l’établissement de la relation s’avère un canal privilégié afin de toucher ces aspects plus délicats que sont les attitudes et les habiletés personnelles, souvent lacunaires chez ces jeunes. Travailler sur ces aspects personnels de la vie des clients peut sembler éloigné du sujet précis du marché de l’emploi, cependant, cela s’avère omniprésent dans les pratiques des accompagnateurs. Ils affirment que, bien qu’il ne s’agisse pas d’un travail direct sur les compétences en employabilité, il demeure essentiel de s’attarder à toutes les sphères de la vie des clients puisque leurs problématiques influencent grandement leur parcours d’employabilité. Les agents interrogés soulignent par exemple que, pour favoriser l’insertion en emploi, il est important de travailler la responsabilisation des jeunes éloignés du marché du travail. Le développement de l’autonomie et la responsabilisation des jeunes éloignés du marché du travail s’avèrent des éléments essentiels du travail des agents d’aide à l’emploi. La littérature souligne également ce fait en mentionnant l’importance d’évaluer l’autonomie du jeune et de l’accompagner en l’aidant à développer cette autonomie. Il s’agit d’un travail nécessaire si l’on souhaite la réussite de l’insertion en emploi (Defalvard, Brun et Thibault, 2008; Le Guellec, 2001; Speroni, 2001).

Selon les répondants, les jeunes avec qui il est souvent plus difficile de créer une relation sont les jeunes présentant des caractéristiques particulières et des problématiques multiples. Parmi la clientèle des CLE, ce sont pourtant ces jeunes qui auraient le plus grand avantage à créer de forts liens avec les intervenants qui les entourent. Cependant, ces jeunes au parcours très fragilisé sont les plus réticents à s’engager sérieusement dans les démarches d’accompagnement. Ceux avec qui les agents ont le plus de facilité à développer un lien significatif sont souvent ceux qui ont déjà du soutien, étant donné qu’ils ne sont pas méfiants devant quelqu’un voulant les supporter, qu’ils sont sécures et qu’ils n’ont pas peur de s’ouvrir et de faire confiance. Le réseau pauvre d’une bonne partie des jeunes inscrits dans les mesures soulève donc l’importance de placer des personnes supportantes autour d’eux (en l’occurrence, un intervenant du milieu de formation ouœuvrant dans les CJE ou d’autres organismes, ou encore, un agent d’aide à l’emploi du CLE). Bref, les agents cherchent à s’assurer que chaque jeune (en particulier les plus vulnérables) puisse avoir accès à une ou des personnes qui seront une source minimale d’encouragement et de support en cas de besoin.

Différences entre les agents

Il a été soulevé dans la littérature sur le travail des agents, que les pratiques spécifiques de ceux- ci sont très variables (Brodkin, 1997) et le discours des agents interviewés vient corroborer cette affirmation. Ceux-ci semblent bénéficier d’une grande marge de manœuvre dans leur travail, tant en ce qui concerne les décisions qu’ils prennent que les interventions qu’ils effectuent auprès de leurs clients. Cette grande liberté d’action qui leur est laissée explique les différences notées dans le discours des personnes interrogées. Par exemple, certains agents tiennent à faire signer un contrat au jeune dès que ce dernier décide de s’impliquer dans une mesure de formation, tandis que d’autres agents préfèrent attendre que l’inscription du jeune soit acceptée par le milieu de formation. Certains affirment être stricts, ne pas accorder de délais ni tolérer beaucoup d’absences, etc. D’autres stipulent au contraire qu’il est primordial d’être plus tolérant en ce qui concerne les règles avec les jeunes les plus problématiques. Donc, pour certains agents, ces jeunes qui sont les plus vulnérables et qui ont le plus besoin des services, sont ceux auprès de qui ils sont les plus tolérants en ce qui concerne les absences et les prolongations. Cela peut sembler insensé, mais il appert que certains agents croient qu’il faut être moins exigeant envers eux afin de les garder dans les mesures. Dans ces cas, il semble donc s’installer davantage une dynamique où l’on s’adapte à ce que le jeune a à offrir, plutôt qu’une logique où sont instaurées des balises strictes qu’il importe de respecter pour demeurer dans les services. Quoi qu’il en soit, cette marge de manœuvre permet des nuances dans le travail des agents, ce qui est compatible avec un désir d’adaptabilité et de personnalisation des services.

Le message qui est véhiculé aux jeunes par les agents est également très variable et prend souvent les couleurs de l’agent, selon les positions que ce dernier adopte. Un des agents interrogés, par exemple, axe fortement son discours sur l’importance de la formation. Il tente donc généralement de convaincre ses jeunes clients éloignés du marché du travail qu’ils doivent posséder une formation minimale pour une insertion durable. Cet agent considère que l’éducation ouvre toutes les portes. Donc, les valeurs, dispositions et opinions de l’agent vont influencer ce vers quoi le client sera dirigé, car il transmettra ses aprioris dans son discours. Cette disposition envers la formation à tout prix n’est cependant pas remarquée chez toutes les personnes interrogées. En effet, certains vont avant tout vérifier si le marché du travail est une option valable pour la personne et s’assurent que celle-ci soit réellement dans l’impossibilité de décrocher un emploi

avec sa situation et son bagage actuel. Les agents ne semblent donc pas tous avoir la même vision de leur rôle ou des façons d’effectuer leur mandat. Certains considèrent qu’il est primordial de tenter autant que possible de diriger les clients vers l’emploi et d’autres stipulent que pour une insertion durable, la formation dès le départ est l’avenue à privilégier. Cependant, comme la clientèle en question est constituée de jeunes vulnérables, une clientèle difficile à mobiliser et à garder sur le marché du travail, on peut penser qu’il serait encore plus difficile de les garder si le travail qu’ils décrochent ne leur plaît pas ou n’offre pas des conditions de travail et des conditions salariales décentes. Ainsi, il est de mise de s’interroger à savoir si le fait de privilégier la mise en emploi directe plutôt que la formation ne revient pas à retarder leur retour éventuel sur l’assistance sociale.

Dans la littérature, il est possible de constater qu’il existe différents modèles d’État-Providence (Esping-Anderson, 1990). Des auteurs distinguent donc différents types de régimes d’assistance, selon qu’ils axent davantage sur l’attachement rapide en emploi ou sur la formation et l’éducation (Boismenu et Noël, 1995). Parallèlement, dans le discours des agents interrogés, il est également possible de distinguer la présence de deux visions différentes, axées soit sur la mise en emploi rapide ou sur la formation. Cependant, dans le cadre du travail des agents d’aide à l’emploi des CLE, dans les cas où l’on favorise la mise en emploi rapide, c’est après avoir évalué la situation du client et avoir constaté qu’il a suffisamment de bagage pour une insertion durable. On note donc une différence notable d’avec le modèle du Work-first tel que présenté par Boismenu et Noël (1995). En effet, bien que ce modèle mise sur la mise en emploi rapide, il ne s’appuie pas sur une évaluation en profondeur de la situation du client, laissant croire que le but premier est de répondre aux aléas du marché de l’emploi. Avec ce modèle, on ne semble pas viser la sortie de la pauvreté ou l’autosuffisance, mais plutôt la réduction à court terme des dépenses de l’État. Le discours de la plupart des agents sur le fonctionnement des mesures d’emploi, laisse quant à lui transparaître une plus grande attention aux besoins du client et à la durabilité potentielle de son insertion. La mise en emploi rapide est donc privilégiée dans les cas où le client possède un bagage lui permettant une insertion durable en emploi. Dans le cas contraire, la formation est privilégiée, à condition que cette formation soit suffisamment en demande pour assurer un placement en emploi à son terme. On constate donc que l’aide en emploi au Québec est davantage inspiré d’un modèle dit mixte, alliant à la fois la mise en emploi rapide pour certain et la formation pour d’autres. L’aide offerte semble donc avoir comme but premier la durabilité de

l’insertion et l’optimisation des chances d’intégration professionnelle. Cependant, il ne s’agit pas d’une façon de penser unanime. En effet, les entrevues ont laissé voir que pour la majorité des répondants, l’aide en emploi privilégie effectivement une plus grande attention aux besoins du client, mais que certains autres insistent sur l’importance de se baser sur les besoins du marché du travail en premier lieu. Il demeure donc important de garder à l’esprit que la grande diversité qui est observée dans les façons de faire d’un CLE à l’autre (et même d’un agent à l’autre), peut engendrer des différences dans les visions prédominantes.

Des positions différentes dans le discours des agents sont aussi perceptibles en ce qui concerne la vision qu’ils ont de leur mandat. Plusieurs réponses ont été offertes quant aux buts et rôles que doit remplir un agent d’aide à l’emploi. Certains décrivent leur travail et leurs objectifs en regard de l’établissement, tandis que d'autres le font plutôt en regard de la clientèle. Pour ceux qui ont tendance à décrire leur rôle en fonction de la clientèle, ils disent que le travail de l’agent consiste à aider le jeune à réussir les objectifs qu’il s’est fixés, à être à l’écoute par rapport à son vécu et à poser des actions si un problème survient. Ils affirment également que leur rôle est de mettre le jeune en mouvement, de s’assurer qu’il soit en action. Les agents qui présentent cette vision stipulent que le but n’est pas qu’il soit en emploi au plus vite, mais qu’il avance vers l’emploi. Ils considèrent aussi que leurs tâches consistent à s’assurer que le jeune emprunte le meilleur chemin pour lui, qu’il soit à la place qui lui convienne personnellement, qu’il ait un plan de vie adéquat, qu’il reçoive l’aide nécessaire et développe l’espoir d’atteindre ses buts. Finalement, toujours chez les agents décrivant leur rôle en fonction du jeune, plusieurs ont mentionné que l’objectif principal est de favoriser la réussite du jeune et de lui éviter de vivre des échecs. Ceci leur semble d’autant plus important du fait que ces jeunes ont souvent vécu des échecs répétitifs par le passé, il importe donc de ne pas répéter ce cycle. Cette vision axée sur le client est soulevée dans la littérature et correspond bien à celle des auteurs MacDonald et Marston (2005) qui soulignent que pour certains agents, le rôle n’est pas de trouver un emploi au jeune, mais de l’aider à développer les habiletés requises.

Les agents qui, pour leur part, expliquent plutôt leur rôle en regard de l’établissement, diront qu’il importe d’avoir le plus d’inscriptions possible dans les différentes mesures et d’éviter que des jeunes s’inscrivent à des mesures d’assistance sociale. Le but de leur travail consiste à s’assurer que chaque client respecte les règles, le temps alloué et les budgets et finalement, que le client

finisse en emploi pour pouvoir fermer le dossier et cocher « oui » à la case demandant si le client est en emploi. Un des agents interrogés semblait, de lui-même, distinguer ces deux types de mandat qu’il est possible de retrouver dans le cadre de leur travail. Ainsi, lorsqu’il doit élaborer sur ses objectifs en tant qu’agent d’aide à l’emploi, il nomme l’impression d’un double discours en provenance de l’institution et des politiques. En effet, les politiques demandent à ce que les services soient de qualité et tournent autour du client. Cependant, dans les faits, certains agents ont l’impression que les objectifs visent davantage la réduction des coûts. Ainsi, lorsqu’ils sont questionnés sur leurs buts, plusieurs agents se questionnent à savoir s’ils doivent envisager leurs objectifs de travail en fonction des clients ou en fonction de l’établissement qui dessert ces clients. La littérature rapporte d’ailleurs le même genre de discours sur le rôle des chargés