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Le discours des agents sur les caractéristiques de la clientèle

4- Présentation Des Résultats

4.3. Facteurs qui limitent le travail d’accompagnement

4.3.4. Le discours des agents sur les caractéristiques de la clientèle

Tel que mentionné précédemment, les agents interrogés disent avoir l’impression que pour certains jeunes adultes, il est dans la normalité de s’inscrire à l’assistance sociale dès que possible. Les agents remarquent que pour cette catégorie de jeunes, il s’agit d’une situation normale, d’un mode de vie, car souvent, leurs parents bénéficient de ce mode d’assistance depuis toujours. En effet, au cours des entrevues, il a été mentionné qu’une partie de la clientèle que composent les jeunes considérés comme éloignés du marché du travail est constituée de personnes dont les parents sont prestataires de l’aide sociale depuis longtemps. Cette situation devient pour eux une normalité.

Ainsi, le fait de réussir à impliquer ces jeunes adultes dans un programme de formation pour éventuellement trouver un emploi est un défi de taille et risque de briser un phénomène de reproduction intergénérationnelle. C’est aussi pour briser ce cycle que les allocations jeunesse sont remises aux deux semaines. On souhaite de cette façon que le jeune ait l’impression de ne plus bénéficier de l’assistance sociale et la quitte définitivement.

« C’est vraiment une allocation jeunesse. Et c’est versé aux deux semaines pour justement, casser le rythme du chèque qui arrive une fois par mois. Donc pour qu’ils prennent l’habitude d’avoir un revenu qui rentre à toutes les deux semaines » (PN30.4/D/1).

Un réseau peu soutenant

Les agents qui accompagnent les jeunes éloignés du marché du travail, soulignent que chez cette clientèle, le réseau social qui les entoure est parfois peu soutenant. Par exemple, beaucoup d’entre eux ont un réseau d’aide pauvre, en ce sens qu’il est soit inexistant, soit déficient. Parfois, un mode de vie peu favorable à la réussite est ancré chez ces jeunes et leur entourage. Par exemple, une situation où les amis et la famille d’un jeune ne travaillent pas et n’encouragent pas le travail sera fort probablement nuisible à la réussite du jeune. Un des agents d’aide à l’emploi stipule que dans sa clientèle, deux catégories de jeunes sont distinguables, soit ceux qui n’ont jamais bénéficié d’un soutien familial adéquat et ceux qui, au contraire, en ont eu. D’ailleurs, l’agent mentionne que ces derniers sont avantagés et présentent souvent moins de difficultés. L’accompagnement offert en est alors facilité. Il importe ici de noter que le soutien familial concerne essentiellement le soutien moral, le développement de l’estime de soi et la transmission de valeurs, et non un soutien financier. Effectivement, même dans les cas où le jeune et sa famille sont en situation financière précaire, s’il est soutenu dans sa démarche, l’accompagnement et son cheminement en seront facilités malgré tout. L’agent explique cela par le fait que si un problème survient, la personne a un réseau à qui se référer et ainsi, ne laissera pas des situations problématiques dégénérer et entraver son cheminement.

« Ils vont avoir des frères et sœurs qui vont être là en soutien. Ils vont avoir de bons amis qui vont être là depuis longtemps. Ils ont un entourage qui est là et ils sont capables de se débrouiller. Ils vont avoir une facilité à dire : ok j’ai un problème, j’ai besoin d’aide. Ils n’attendront pas. Si t’attends et que le problème est devenu tellement gros qu’ils ne savent plus comment s’en sortir… Ils vont être capables d’aller chercher de l’aide avant » (PN28/B/2).

Les agents interrogés soulignent que les jeunes adultes qui proviennent du réseau des centres jeunesse constituent eux aussi une clientèle distinctive. Les agents considèrent en effet que, de façon générale, la clientèle qui provient des centres jeunesse bénéficie d’encore moins de soutien dans leur entourage, présentent une histoire de vie encore plus problématique et difficile, ont un parcours scolaire fragilisé, ont vécu peu de succès et ont souvent des problèmes d’estime et des difficultés à faire confiance aux intervenants. Toutes ces caractéristiques, que l’on retrouve fréquemment chez les autres jeunes desservis par les services d’aide à l’emploi, semblent exacerbées chez les jeunes en provenance des centres jeunesse. Ils ont souvent des problèmes

plus importants et ayant eu plusieurs intervenants dans leur vie, sont rébarbatifs à collaborer avec les agents et autres intervenants impliqués, ce qui ne facilite en rien la tâche d’accompagnement.

Un historique d’échec

Selon les professionnels, les jeunes qui vivent des difficultés d’insertion et qui sont inscrits dans les mesures présentent très souvent une histoire parsemée d’échecs (du moins au plan scolaire). Ainsi, ils ont souvent peu d’estime d’eux-mêmes et il devient donc important de leur faire vivre des réussites, ce que tentent de faire les agents en encourageant leurs jeunes clients à viser des objectifs à court terme et en les aidant à remarquer la moindre petite réussite.

« C’est juste que si jamais personne ne t’a aidé, si tout le monde t’a toujours dit que t’étais pourri à l’école ou que tu étais le rejet […] il y en a que ça les a touchés vraiment et qui n’ont pas été capables de passer par-dessus ça. Fais-leur vivre des petites réussites […] on encourage, on continu. Tu sais, petite étape par petite étape, des fois y’en a qu’on est capable de réaliser leurs rêves, pi crime y’en a que je l’ai vu ça! » (PN30.2/B/4).

Les agents remarquent qu’en plus du manque d’estime, ces jeunes ont de la difficulté à faire confiance et plusieurs d’entre eux sont démunis matériellement. Certains vivent en situation financière très précaire et cela n’aide en rien la réussite des démarches.

Une autre difficulté que présentent ces jeunes adultes et qui est susceptible d’influencer les démarches d’accompagnement en emploi concerne le manque de constance et de motivation des jeunes clients. La motivation à l’école semble constituer un problème, mais également la motivation à quitter l’assistance sociale. Des agents rencontrés mentionnent que ces jeunes n’ont généralement jamais démontré de motivation face à l’école en raison de leurs échecs passés et du peu de soutien qu’ils ont reçu dans ce domaine. Il devient donc difficile pour eux d’avoir confiance en leurs capacités et de se motiver à la réussite.

Les agents d’aide à l’emploi interrogés soulignent un autre aspect qui peut nuire au bon déroulement des démarches, soit la présence, pour une partie des jeunes, de problèmes de santé mentale non diagnostiqués. Puisque cela nuit énormément au processus, il est important que l’intervenant soit alerte afin de détecter ces problèmes éventuels et de référer le jeune au bon endroit pour qu’il puisse recevoir des services et être suivi à ce sujet.

Certaines situations font en sorte que les agents se voient dans l’obligation de retirer un jeune des services et de fermer son dossier. Par exemple, ceux qui cumulent un nombre trop important d’absences, sans changer la situation après convocations. Dans d’autres cas, certains jeunes quittent et demeurent introuvables, car leurs coordonnées ne sont plus valides. Ce sont des cas où les agents ferment le dossier sans avoir d’autres possibilités. Selon l’avis des agents d’aide à l’emploi, ce manque de constance et l’absentéisme chez la clientèle 18-24 ans, sont très présents, très difficiles à contrôler et constituent un obstacle majeur à la réussite.

« Il y a beaucoup beaucoup de taux d’absentéisme. Les taux d’absentéisme sont élevés pis tu te demande pourquoi. Parfois c’est juste : Je ne me suis pas levé. Il n’y a pas de raison ou des fois c’est : j’ai un problème avec mon conjoint, des problèmes familiaux. Juste des habitudes de vie qui sont prises depuis tellement d’années » (SN19/E/1).

« Surtout au niveau des jeunes, il y a une problématique qui est l’absentéisme. Que ce soit en formation, que ce soit à Jeunes en action, que ce soit dans n'importe quelle autre chose, c’est difficile d’avoir une constance » (PN27/B/5).

Des problématiques fréquentes

Ce qui ressort du discours des agents à propos de la clientèle éloignée du marché du travail, c’est que pour cette dernière, la difficulté n’est pas nécessairement de trouver un emploi, mais plutôt de savoir le garder. Ceci fait en sorte que les agents doivent aider les jeunes éloignés du marché du travail à développer des compétences et habiletés personnelles qui les aideront à s’insérer durablement dans le monde de l’emploi.

« Oui être capable de se trouver une job, mais après ça, il y a l’insertion et le maintien en emploi. Comment fais-tu pour garder une job, arrives-tu à l’heure? Parce que de la trouver, ce n’est pas là qu’est le problème, on est dans un temps où les employeurs ont besoin de monde, ce n’est pas compliqué, ils ont besoin. […] il y en a de la job, mais l’employeur ne gardera pas quelqu’un qui n’arrive jamais à l’heure, il ne gardera pas quelqu’un qui n’est pas capable de gérer son comportement, de gérer ses attitudes » (PN30.1/B/2).

Ainsi, selon les observations et l’avis des agents interrogés, les principales lacunes de leurs jeunes clients 18-24 ans sont les suivantes : ce sont majoritairement des jeunes qui cumulent beaucoup d’absences, qui font preuve de procrastination, qui ont de la difficulté à être à l’heure ainsi qu’à gérer leurs comportements et leurs attitudes. Un agent explique entre autres que, selon

lui, beaucoup de jeunes adultes constituant la clientèle des CLE ne respectent pas les règles qui s’appliquent dans le contexte d’un emploi, car bon nombre d’entre eux ont de la difficulté à accepter l’autorité. Des lacunes au plan du savoir-être constituent ainsi, selon les agents, une barrière importante à l’obtention et au maintien d’un emploi. De ce fait, les agents qui travaillent auprès des jeunes 18-24 ans affirment souvent devoir aider ceux-ci à adopter de bonnes attitudes leur permettant de réussir leur projet. De plus, les agents sont d’avis qu’il est essentiel pour eux de travailler sur la responsabilisation des jeunes. En effet, selon les agents, plusieurs d’entre eux n’ont pas eu à faire face à beaucoup d’autorité à la maison et, en conséquence, ils présentent une tendance à se déresponsabiliser de toute faute. Les agents considèrent donc important de les aider à développer le respect de l’autorité et la responsabilisation, ce qui, à leur avis, demande beaucoup de patience, de négociation et de répétition. Ainsi, le discours des agents met de l’avant le caractère particulier de cette clientèle en abordant le manque de contacts positifs et le peu de stabilité dans leur quotidien ainsi que les difficultés vécues par un bon nombre de ces jeunes adultes considérés très éloignés du marché du travail.

« Si il y a trop d’affaires dans ta vie qui ne sont pas réglées, qui ne sont pas stables…Tu sais, ils ont une volonté, un désir, ils ont l’idée de : je veux faire mon secondaire 5. C’est une idée, mais dans la réalité ce n’est pas facile. Tous les matins, se lever, aller à l’école, être attentif, faire ses devoirs, faire ses travaux, faire les examens, réussir, pocher les examens, recommencer…Quand tu as 20 ans et que ça fait 3-4 ans que tu n’es pas allé à l’école, tu sors de l’adolescence, tu es encore tout croche. C’est comme des…c’est des post-ados » (SN16/E2).

Les entrevues effectuées avec les agents ont permis de mettre en lumière d’autres éléments du discours sur les caractéristiques de la clientèle liées à des difficultés psychologiques. En effet, les agents parlent de problèmes d’anxiété, de troubles mentaux, de problèmes de consommation, un vécu et une histoire de vie souvent difficile, etc. Un agent souligne toutefois que les clients ayant des problèmes de santé mentale posent une difficulté particulière puisqu’il s’agit de difficultés qui ne sont pas toujours flagrantes. En effet, selon lui, il demeure difficile de détecter certains troubles et dans plusieurs cas, ce ne sera pas nécessairement apparent à la première rencontre, mais plutôt au fil du temps.

Ainsi, le discours des agents permet de faire ressortir que les caractéristiques de la clientèle limitent souvent l’efficacité et le travail d’accompagnement ou encore la réussite des démarches. L’enlisement dans un certain mode de vie très éloigné du monde du travail ainsi qu’une certaine

transmission intergénérationnelle d’inactivité professionnelle, sont soulignés. On note également le réseau peu soutenant et parfois nuisible d’un bon nombre de jeunes ainsi que la présence de nombreuses difficultés personnelles telles que le manque d’estime, des problèmes de santé mentale, de consommation, la pauvreté, ou encore des histoires de vie difficiles. Ce sont tous des aspects qui complexifient le travail des agents d’aide à l’emploi responsables d’offrir un accompagnement personnalisé à ces jeunes. Les caractéristiques et problématiques des jeunes clients semblent donc constituer un facteur très important qui peut venir compliquer le travail d’accompagnement ou la réussite des démarches.

4.4. Facteurs qui favorisent le travail d’accompagnement