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Chapitre 2 : Etude du rôle des tiques molles ornithodores dans l’épidémiologie de la

4. Discussion

Notre étude a confirmé la présence d'O. porcinus spp dans une porcherie malgache et l’infection naturelle de certains spécimens de tiques par le virus de la PPA. Cette espèce a été trouvée dans la même porcherie du village de Mahitsy à 8 ans d’intervalle alors qu'elle était absente des fermes voisines. Ceci illustre la stabilité des populations d’O. porcinus spp et leur faible capacité de dispersion. De telles caractéristiques ont d’ailleurs été mentionnées pour de nombreuses espèces de tiques molles ornithodores et semblent être apparentées à leur type de vie endophile et à leur faible durée de gorgement sur leur hôte vertébré (30 minutes à 1 heure)

(Morel, 1969 ; Vial, 2009). A Madagascar, la plupart les tiques ont été trouvées dans les

fentes des murs en enduits que nous avons parfois explorées manuellement sur 10 ou 15 cm de profondeur et jusqu’à plus de deux mètres de hauteur, En revanche, très peu ont été retrouvées dans la poussière du sol, sol qui ne présentait pas d’anfractuosités ou de crevasses visibles.

La détection du virus de la PPA dans des tiques collectées en 2000 et en 2007-2008 dans ce même bâtiment d’élevage alors qu’aucune introduction de porcs potentiellement infectés n’a été mentionnée au cours des 4 ans précédant la deuxième collecte, suggère la capacité de persistance du virus dans O. porcinus spp de Madagascar. Une telle persistance du virus pendant 5-10 ans dans les mêmes individus, ou au sein de populations de tiques molles ornithodores via la transmission transovarienne et sexuelle, a déjà été rapportée pour des spécimens d’O. moubata et O. porcinus d’Afrique (Plowright 1970, 1974 ; Rennie 2001) mais ce constat n’avait jamais été vérifié pour Madagascar. Ces résultats suggèrent qu’à Madagascar O.porcinus spp pourrait être un vecteur compétent et un réservoir naturel pour le virus de la PPA.

Cependant trouver une tique infectée dans une porcherie ne veut pas forcément dire qu’elle est vecteur ou réservoir. Pour déterminer son rôle exact dans l’épidémiologie de la PPA à Madagascar, des infections expérimentales de tiques malgaches par le virus de la PPA seront réalisées prochainement par Laurence Vial au CIRAD.

D’après nos investigations dans différentes zones géographiques de Madagascar et bien que ces dernières ne se soient pas étendues à tout le territoire, la distribution d’O. porcinus spp semble être restreinte. La tique n’a en effet été trouvée que dans le village de Mahitsy situé

dans les maisons traditionnelles en rapport avec la fièvre récurrente humaine dans la partie nord-ouest et ouest du pays puis sa quasi-extinction de ces sites à partir des années 1960-1980

(Lamoureux, 1913 ; Suldey 1916 ; Poisson 1930 ; Néel, 1949 ; Uilenberg, 1963 ; Fontenille 1988 ; Roger et al, 2001 ; F. Rodhaim, 1989). Concernant la zone

d’Ambatondrazaka, il n’existe jusqu’à présent aucun écrit sur la présence ou l’absence de la tique molle O. porcinus spp.

Dans notre protocole, l’échantillonnage aléatoire aurait pu ne pas permettre de détecter la présence d’O. porcinus spp si la proportion de porcheries infestées avait été inférieure au seuil de 30% choisi pour l'étude. Toutefois, l’échantillonnage ciblé aurait dû augmenter le niveau de détection, ce qui est le cas pour le village de Mahitsy où la présence de tiques avait été rapportée en 2000 et a été confirmée en 2007-2008. Par contre, aucune tique n'a été trouvée dans les fermes hébergeant des porcs dont les sérums ont été trouvés positifs en ELISA anti-tique. Ce constat pourrait s’expliquer par le délai (deux années) entre le prélèvement de sang chez les porcs et la recherche de tiques dans les élevages, ces derniers ayant pu être désinfectés depuis. En outre, les anticorps anti-tique étant détectables chez les porcs pendant environ 3 mois (Canals et al, 1990), l'endroit où était le porc au moment de la détection peut ne pas correspondre à celui où il se trouvait au moment de la piqûre de tiques. C’est particulièrement le cas après la célébration de la fête nationale malgache, quand de nombreux mouvements de porcs sur pieds sont à noter, et qui a eu lieu en juin 2006, juste avant la campagne de prélèvement des porcs. Enfin, cette incohérence des résultats peut être due aux problèmes intrinsèques du test ELISA anti-tique. Développé à l’origine pour O. erraticus en Espagne (Canals, 1990), ce test pourrait être moins sensible pour O. moubata puisque la salive de ce complexe d’espèces est moins antigénique que celle d'O. erraticus pour laquelle on pourrait ainsi discriminer plus difficilement les échantillons négatifs et positifs (Baranda

1997). Une confusion additionnelle peut résulter de l'utilisation de SGE-2 comme antigène au

lieu de sa partie déglycosylée (SGE-2-P) puisque la plupart des sérums de porc semblent avoir des anticorps qui reconnaissent les épitopes localisés sur les chaînes d'hydrate de carbone de SGE-2 tandis que ceux sur des chaînes de polypeptide utilisées dans l'antigène de SGE-2P sont considérés comme plus spécifiques (Oleaga-Pérez et al, 1994).

En considérant tous ces éléments ensemble, il semble raisonnable de conclure sur la présence d'O. porcinus spp dans la région des Hautes Terres de Madagascar et de supposer que sa distribution spatiale est limitée à cette zone ou à quelques autres non encore identifiées. Seules d'autres investigations de terrain pourront permettre de confirmer ce résultat.

La répartition géographique restreinte d’O. porcinus spp à Madagascar pourrait être multifactorielle. Certaines causes d’extinction de la tique dans les zones nord et nord-ouest du pays avaient été proposées par F. Rodhain : (i) les variations démographiques avec une population qui n’a cessé d’augmenter, en particulier la population musulmane chez laquelle l’élevage de porc est interdit ; (ii) les améliorations des habitations humaines ; et (iii) l’augmentation du niveau d’hygiène avec l’utilisation plus courante de produits insecticides et acaricides pour lutter contre les poux, les puces vecteurs de la peste ou les moustiques vecteurs du paludisme (F. Rodhain, 1989).

L’étude de la typologie des bâtiments d’élevage porcins a montré que certains types de bâtiments pouvaient être plus ou moins appropriés à la présence de tiques molles. Les porcheries traditionnelles des zones de Marovoay et d'Ambatondrazaka (Figure 32) sont essentiellement des structures ouvertes peu compatibles au mode de vie endophile et photophobe d'O. porcinus spp bien que le climat externe semble favorable au développement de cette tique, du moins dans la zone de Marovoay (Walton, 1962 ; Morel, 1969 ; Vial,

2009). A l’inverse, les conditions climatiques froides des Hautes Terres dans la zone

d'Antananarivo semblent moins appropriées à cette tique mais les bâtiments traditionnellement utilisés pour l'élevage des porcs possèdent des murs en briques ou en terre battue et un sol en terre ou en sable pouvant protéger des variations climatiques extrêmes et maintenant ainsi un microclimat intérieur stable, propice au développement des tiques

(Walton, 1962). Ces habitats ne présentent aucune ouverture à l’exception de la porte (Figure

29), et maintiennent ainsi l'obscurité nécessaire aux tiques molles endophiles. Toutefois, dans la même zone, aucune tique n'a été trouvée dans les porcheries quasi-similaires mais néanmoins plus modernes d’Arivonimamo. Des désinfections plus fréquentes à base de Crésyl sont effectuées et pourraient empêcher l’installation des tiques dans ces bâtiments. Les effets anthropiques comme l'utilisation croissante ces dernières décennies d’insecticides pour la prévention de la peste humaine et de la malaria, ou lors de l’introduction de PPA dans l’île, ont en effet été rapportés. Enfin, dans le futur, il serait intéressant d’étudier l’historique du climat à Madagascar, afin d'identifier les changements climatiques potentiels qui pourraient avoir mené à des modifications de la distribution d’O. porcinus spp.

Cette étude faite en collaboration avec le CIRAD a permis de clarifier le statut phylogénétique d’O. porcinus spp colonisant les porcheries à Madagascar. Comme suggéré précédemment par

caractéristiques proches de la sous-espèce O. porcinus porcinus. Elles sont phylogénétiquement très proches des tiques molles tanzaniennes qui transmettent Borrelia duttonii, l'agent étiologique de la fièvre récurrente à tiques chez l’homme (Fukugana, 2001 ;

Mitani 2004). Ce dernier résultat suggère que les mêmes tiques puissent maintenir et

transmettre à la fois un microbe pathogène humain et un microbe pathogène animal selon les hôtes qu’elles rencontrent et leur disponibilité dans leur habitat. Ce caractère est typique des tiques molles endophiles qui, comme stratégie adaptative, choisissent de se nourrir sans discrimination sur tel ou tel hôte vertébré (Vial, 2009). Ce résultat est également cohérent avec des similitudes télomériques notées dans le génome du virus de la PPA et celui de Borrelia, ces deux pathogènes pouvant être considérés comme deux agents primaires de tiques (Hinnebusch et Barbour, 1991). Ainsi, la tique décrite depuis le XVIIIème siècle par Drury en 1720 et transmettant la fièvre récurrente malgache dans l’ouest du pays pourrait être la même que celle découverte plus tard dans les porcheries malgaches des Hauts Plateaux et au nord-ouest de l’île par Uilenberg en 1963, Fontenille en 1988 et Roger en 2000.

Figure 32 : Types de porcheries traditionnelles