• Aucun résultat trouvé

6. Discussion / Conclusion

6.1 Discussion des résultats

Avant de conclure, nous allons discuter nos résultats par rapport à nos hypothèses de départ et revenir sur les résultats annexes survenus au cours des analyses et des réflexions. Pour les deux études, nous postulions un lien entre l’empathie et la régulation des émotions avec un lien privilégié entre stratégies de régulation des émotions plus adaptées et l’empathie cognitive. Rappelons que nous utilisions la définition de Gladstein (Gladstein, 1983) qui distingue la capacité de prendre le rôle ou la perspective d’une autre personne de manière intellectuelle (empathie cognitive) de celle qui consisterait à répondre aux émotions de l’autre avec la même émotion (empathie affective). Cette hypothèse est confirmée pour la première étude car nous trouvons un lien entre l’empathie cognitive et les stratégies de régulation des émotions plus adaptées. A l’inverse, l’empathie affective est liée aux stratégies moins adaptées. De manière plus large, nous avons trouvé que l’empathie cognitive est liée de manière positive à différentes caractéristiques de la personnalité comme l’extraversion, l’agréabilité, l’ouverture, l’optimisme, l’affirmation de la colère ainsi qu’avec l’accomplissement personnel. L’empathie affective est quant à elle liée positivement à des difficultés de régulation des émotions, à du névrosisme, de l’anxiété et de la colère et négativement à de l’accomplissement personnel. Dans la deuxième étude, le lien entre l’empathie cognitive et les stratégies adaptées de régulation des émotions n’a pas été confirmé par contre les liens entre l’empathie affective et les stratégies moins adaptées ainsi qu’avec les difficultés de régulation des émotions ont été confirmés. Pour cette premiè re hypothèse nous avons donc trouvé des liens différents entre l’empathie cognitive et l’empathie affective avec la régulation des émotions, les caractéristiques de la personne et l’épuisement professionnel. Il semble donc que cela ne soit pas anodin d’avoir une empathie plus marquée affective ou cognitive. Au vu des liens de l’empathie affective avec des problèmes d’anxiété, de difficultés de régulation des émotions et de manque d’accomplissement personnel, nous pensons que les personnes qui ont une empathie de type plutôt affectif doivent être plus vigilantes pour ne pas se laisser submerger par les émotions et s’épuiser dans ce type de travail. Bien que l’empathie de l’aidant puisse aider la personne qu’il a en face à s’ouvrir à ses émotions et à les réguler (Paivio & Laurent, 2001), elle peut engendrer des risques pour l’aidant si lui- même ne peut pas réguler ses émotions.

140 Dans la deuxième hypothèse nous allions plus loin que la première en postulant une différence de groupe entre le groupe d’empathie à prédominance affective et celui d’empathie à prédominance cognitive. Pour la première étude nous avions utilisé des groupes extrêmes pour bien contraster nos groupes. Les résultats montrent effectivement une différence de groupe. En effet, le groupe d’empathie affective plus marquée a un score plus élevé en ce qui concerne les difficultés de régulation des émotions (difficultés au niveau de l’acceptation des réponses émotionnelles, difficultés au niveau de la prise de conscience émotionnelle, difficultés au niveau de l’accès aux stratégies de régulation des émotions, manque de clarté émotionnelle), le trait de névrosisme et le questionnaire sur l’anxiété mesuré par le Looming Scale alors que le groupe d’empathie cognitive plus marquée a un score plus élevé sur le score d’optimisme, d’affirmation de la colère et d’accomplissement personnel dans son travail de bénévole. Toutefois, les résultats de la première hypothèse en ce qui concerne les stratégies de régulation adaptées ou moins adaptées des émotions ne sont pas confirmés dans la deuxième par une différence de groupe. On peut donc dire que dans l’ensemble cette hypothèse est partiellement confirmée pour la première étude. En ce qui concerne la deuxième étude, nous n’avons pas pu contraster nos groupes et nous avons dû nous limiter à comparer le groupe d’empathie cognitive haute avec celui d’empathie cognitive basse et de même pour l’empathie affective. Pour la deuxième étude, nous n’avons pas trouvé de grandes différences entre nos groupes que cela soit au niveau verbal ou non verbal. Notons toutefois des difficultés plus marquées pour le groupe d’empathie affective haut en ce qui concerne l’acceptation des émotions et le manque de clarté ce qui va dans le sens des résultats trouvés dans la première étude. Les résultats montrent que les personnes d’empathie affective plus marquée ont plus de difficultés au niveau de la régulation des émotions et sont plus facilement en proie à l’anxiété.

Selon nous, elles sont plus à risque de se retrouver dans des situations de détresse émotionnelle que les personnes avec une empathie cognitive plus marquée.

Notre troisième hypothèse portait sur les différences entre les scénarios puisque nous en avions quatre pour la première étude : anxiété soi, anxiété autre, colère soi, colère autre et que la satisfaction a été rajoutée dans la deuxième étude. Nous avons trouvé des différences importantes entre les scénarios. Nous n’allons pas toutes les reprendre ici mais il est intéressant de noter que l’intensité ainsi que la durée de l’émotion et la capacité à faire face ont été jugées de manière plus importante pour les émotions d’autrui que pour les siennes.

L’envie d’agir différemment est par contre plus présente en ce qui concerne notre propre émotion.

141 Il semble donc qu’avec nos émotions à l’écoute, nous ayons envie de faire différemment et qu’avec les émotions des autres nous nous sentions plus aptes à faire face même si elles sont jugées plus intenses et ayant un impact plus long que les nôtres. En ce qui concerne la deuxième étude, nous avons trouvé des différences entre scénarios mais qui ne sont pas très nombreuses. Notons au niveau non verbal, l’expression au niveau facial de l’AU 12 qui est présente dans les scénarios satisfaction et colère plutôt que dans ceux de l’anxiété. Ce ré sultat de l’AU 12 plus présent est confirmé au niveau de l’amusement ressenti également plus présent dans le cas de la colère de l’autre que dans l’anxiété. Ce résultat nous a questionné.

Nous avons émis tout d’abord l’hypothèse que l’induction de l’émotio n par le compère avait été exagérée et que cela avait provoqué de l’amusement chez nos bénévoles. Cependant, les résultats de la roue émotionnelle ainsi que d’autres résultats étonnants sur la colère nous ont fait penser à une possible prise de distance pa r rapport à une émotion difficile à gérer. En effet dans la première étude nous avions constaté que même si les bénévoles pensaient que l’appelant devait exprimer sa colère sans inhibition, lorsque nous lui demandions si dans la situation évoquée l’appelant avait le droit d’être en colère, ils répondaient que non. Chose qui n’était répondue pour aucun des autres scénarios. De plus, dans la deuxième étude, la roue émotionnelle n’indiquait pas uniquement de l’amusement mais également de l’irritation. Ce qui montre que l’induction n’était pas totalement à côté sinon nous n’aurions eu que de l’amusement. La retranscription décrite pour ce scénario montre également que cette émotion n’a pas été facile à gérer et nous avons eu l’impression que la participante avait été envahie par la colère du compère et qu’elle s’était protégée en coupant court au téléphone d’une manière qui lui a permis de mettre de la distance par rapport à l’émotion mais qui a été à l’encontre du bien-être de l’appelant qui n’a pu ni s’exprimer ni laisser libre cours à son émotion. La question de la bonne distance ainsi que celle de se protéger tout en étant dans son rôle d’écoutant se pose alors. Au vu de nos résultats, nous pensons que l’amusement ou le sourire face à la colère pourrait alors être une parade pour prendre de la distance et donc être en quelque sorte une stratégie de régulation des émotions.

Pour notre dernière hypothèse, nous postulions sur la base de la littérature que les gestes extracommunicatifs pouvaient être des indicateurs de régulation des émotions. Nous avons trouvé une série d’observations qui vont dans ce sens. Tout d’abord, nous avons trouvé un lien entre la dimension de régulation des émotions offerte et les gestes extracommunicatifs.

142 Ensuite, nous constatons à travers nos cas décrits que les participantes qui ont eu une note élevée sur l’adéquation du téléphone et sur le sentiment du compère d’être compris ou soutenu font plus de gestes extracommunicatifs que de gestes communicatifs.

Leur score de régulation des émotions de l’ouverture émotionnelle est également plus haut.

Au vu de ses résultats, nous pensons que les gestes extracommunicatifs peuvent être considérés comme des gestes de régulation des émotions même si ces résultats devront être confirmés par d’autres études.

Notre mesure d’adéquation du téléphone a montré des liens importants avec le sentiment du compère d’être compris ou soutenu ce qui nous donne une mesure consistante. Nous avons cherché les liens entre l’adéquation du téléphone et les éléments verbaux et non verbaux de notre recherche. Nous avons mis en évidence des liens avec le verbiage du bénévole ainsi qu’avec le fait de faire des reformulations. Le non verbal semble ne pas avoir eu d’impact sur le fait que le téléphone ait été jugé comme ré ussi ou pas. Par contre le fait que le compère se soit senti compris à travers les reformulations du bénévole et le verbiage semble avoir eu un impact. Dans notre pratique nous avons constaté à de nombreuses reprises l’importance d’un

« hum hum » ou d’un « oui » ou « je vous écoute » lorsque l’on est au téléphone. En effet, sans la vision, les signaux non verbaux habituels ne sont plus présents et l’appelant a besoin d’une autre manière de se sentir toujours en contact et compris par le répondant. Il semble donc que le verbiage et les reformulations sont des éléments importants pour la réussite du téléphone.

Nous avons également mis en évidence un certain nombre de résultats complémentaires notamment au niveau de l’ouverture émotionnelle. Premièrement nous a vons trouvé que lorsque le compère estime que le bénévole a communiqué sur ses émotions et a tenté de les réguler, il s’est senti compris et soutenu. On voit, à travers ce résultat, l’importance qu’il y a à ce que le bénévole soit ouvert aux émotions de l’appelant car cela est lié au sentiment de celui-ci d’être compris et soutenu. Nous avons également trouvé un lien entre le fait que le bénévole a cherché à aider le compère au niveau de la régulation de ses émotions et les gestes extracommunicatifs. Nous avons également trouvé des liens entre le fait que le bénévole a communiqué sur les émotions du compère et les gestes communicatifs du bénévole. Nous avons l’impression que le comportement du bénévole a été en adéquation avec ses intentions et que cela s’est ressenti au niveau du compère.

143 Il se peut que lorsque le bénévole souhaite aider le compère à réguler ses émotions, il commence par réguler les siennes à l’aide des gestes extracommunicatifs qui sont, selon notre hypothèse des indicateurs de régulation des émotions et cela a un impact sur le compère. En effet, il dit également avoir reçu cette volonté de régulation des émotions de la part du bénévole. De manière plus générale, il nous paraît primordial que le bénévole prenne soin de lui, en s’aidant à réguler ses propres émotions, car cela va être bénéfique pour lui mais également pour l’appelant. Il en est de même au niveau des gestes communicatifs qui sont liés à la dimension communication des émotions offerte et reçue. Pour certains auteurs (Kendon, 2000, 2004; McNeill, 1992; Nobe, 2000), les gestes sont liés de manière inextricable à la structure linguistique. Les gestes accompagnant le discours seraient là pour enlever les ambigüités possibles et rendre le discours plus clair et précis. Ces gestes contribueraient à amener du matériel à l’interlocuteur pour « penser pour parler » (thinking for speaking) (McNeill & Duncan, 2000; Rauscher & Krauss, 1996; Rimé, Schiaratura, Hupet, &

Ghysselinckx, 1984). Ces gestes aidant la parole seraient donc faits par les bénévoles et favoriseraient la communication du bénévole sur les émotions d u compère. Nous pensons qu’il y a effectivement des gestes qui accompagnent et qui facilitent le discours mais qu’il ne faut pas pour autant mettre les autres types de gestes de côté. Car comme nous l’avons vu ils peuvent être tout aussi importants pour les bénévoles car ils les aident dans leur régulation des émotions. Ces gestes sont très importants lors d’entretien de face à face mais également au téléphone. On pourrait s’étonner d’avoir des gestes communicatifs au téléphone car l’interlocuteur n’est pas visible. La présence de ces gestes va dans le sens des auteurs qui estiment que les gestes aident à la cognition. En ce qui concerne la catégorie des gestes extracommunicatifs, ils sont également très présents dans notre contexte et on a vu leur importance dans la régulation des émotions de l’aidant mais aussi son possible impact sur l’aidé. Etant donné que ces gestes font partie de la catégorie des activités de déplacement et qu’ils sont relativement peu conscients, on peut s’attendre à les retrouver aussi bien en face à face que par téléphone.

Un autre résultat sur lequel nous aimerions revenir est le fait que les téléphones n’ont pas tous été du même type comme on pouvait s’y attendre car tous les bénévoles ont été formés à l’écoute active et nous pouvions imaginer qu’ils pratiqueraient cette écoute tout au long des scénarios. Nous avons pu constater que selon les scénarios, la recherche de solution ou le conseil ont pu être préféré à l’écoute active pure. Nous avons observé que cela était très pertinent notamment dans le scénario du jeune qui pense à se suicider.

144 Nous avons constaté que lorsque le bénévole reste purement dans l’écoute, le jeune reste dans son sentiment de mal être et ne voit pas d’issue. Lorsque les bénévoles ont pratiqué l’écoute au début et ensuite ont aidé à chercher une solution, voire ont donné des pistes au jeune, et bien il est redevenu actif et conclut le téléphone avec des projets. Nous pensions que l’écoute était la stratégie idéale dans tout type de situations mais nous nous rendons compte qu’elle ne suffit pas et qu’il est impératif de renforcer le côté actif de cette écoute grâce à un ensemble d’interventions ciblées (Reicherts, 2011). Ceci va dans le sens de la réflexion de Sachse et Elliot (Sachse & Elliott, 2001) qui indiquaient que la compréhension empathique n’est pas toujours aussi importante pour tous les patients, certains demandant quelque chose de plus actif, en sortant un peu de l’approche non directive et en prenant part plus activement dans le changement ce qui va leur permettre de plonger plus profondément dans l’exploration personnelle.