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Section théorique

1. Discrimination du mouvement

Une série d’études très influentes sur la réorganisation des processus attentionnels chez les sourds et les signeurs (sourds et entendants) sont les études de Neville et Lawson (1987a, 1987b, 1987c) portant sur la discrimination du mouvement dans le CVP. Dans cette étude, le participant devait garder son regard fixe sur le point de fixation centrale tout en portant attention soit à l’espace visuel central (0.6 d’excentricité visuelle), gauche (18°) ou droit (18°). L’indication de l’espace visuel dans lequel porter son attention permettait d’engager l’attention sélective focalisée du participant. Dans 80% des essais (essais standards) un carré blanc apparaissait pendant 33 ms à dans cet espace précis. Dans les 20% restant (essais déviants) le carré blanc apparaissait toujours pendant 33 ms, mais un second carré apparaissait juste après pendant 33 ms à dans une position adjacente au premier carré donnant ainsi l’illusion de mouvement. La tâche du participant consistait à indiquer le plus rapidement possible dans laquelle des 8 directions possibles la cible s’était déplacée. En plus du temps de réponse et du calcul d’un score d’ pour les essais déviants, l’activité électrophysiologique du participant était enregistrée. En plus d’un groupe de sourds signeurs et d’entendants non-signeurs, les auteurs ont également testé un groupe de CODAs.

Dans le CV central, les 3 groupes avaient des performances comportementales et des activations cérébrales similaires suggérant que ni la surdité ni la pratique de la langue des signes n’influençaient les performances dans le CV central. Dans le CV périphérique, les sourds étaient globalement plus rapides que les entendants (signeurs ou non-signeurs) pour discriminer la direction du mouvement malgré un indice de sensibilité similaire chez les 3

groupes. Les auteurs ont néanmoins observé un biais de latéralité dans l’indice de sensibilité entre signeurs (sourds et entendants) et non-signeurs. Les entendants non-signeurs possédaient une plus grande sensibilité dans le champ visuel gauche pour discriminer les mouvements alors que les signeurs présentaient le pattern opposé avec une plus grande sensibilité dans le champ visuel droit. Ces différences comportementales étaient associées à une plus grande amplitude de l’onde N1 chez les sourds quand la cible était présentée en périphérie par rapport aux entendants et à une latéralisation atypique de l’onde N1 chez les signeurs avec une amplitude plus importante dans l’hémisphère droit. Le pattern inverse était observé chez les entendants non-signeurs avec une plus grande amplitude dans l’hémisphère gauche. Les auteurs concluent alors que surdité précoce et pratique de la langue des signes pourraient avoir des effets additifs sur les mécanismes d’attention sélective dans le CV périphérique ainsi que sur les dynamiques cérébrales du traitement visuel.

Bosworth et Dobkins (1999, 2002a, 2002b) se sont par la suite intéressées aux capacités de discrimination des patterns de mouvement. Dans ces trois études les auteurs ont déterminé les seuils de détection de mouvement sous différentes conditions de présentation et sous différentes pressions attentionnelles en utilisant la présentation stochastique de mouvement. Ce paradigme consiste à présenter un nuage de points en mouvement (à vitesse constante) au participant qui devait indiquer si le mouvement suivait une trajectoire de gauche à droite ou de droite à gauche. À l’intérieur de ce nuage une proportion de points se déplace dans la même direction (i.e., signal) et la proportion de points restant se déplace dans des directions aléatoires (i.e., bruit). Le seuil de détection du mouvement va alors se définir comme étant la proportion minimum de cohérence de mouvement nécessaire à 75% de discrimination correcte de direction du mouvement (figure 2.18). Les patterns de points pouvaient être présentés dans le CV central, dans le CV gauche (15.4°) ou dans le CV droit (15.4°).

Dans les 3 études, les auteurs n’ont pas observé de meilleures capacités de discrimination de mouvement chez les sourds ou chez les signeurs par rapport à une population contrôle que la tâche se déroule dans le CV central ou périphérique avec ou sans charge attentionnelle. Les sourds signeurs étaient simplement plus efficaces pour orienter leur attention vers une cible indicée en périphérie que les entendants non-signeurs

(Bosworth & Dobkins, 2002a) et également plus rapides et plus précis quand la tâche était réalisée en périphérie (Bosworth & Dobkins, 2002b).

Figure 2.18 : À : Exemples des patterns de points en mouvement avec différents niveaux de cohérence présentés au participant dans les études de Bosworth et Dobkins (1999, 2002a, 2002b). Les points blancs représentent des mouvements aléatoires (i.e., bruit) alors que les points gris représentent des mouvements cohérents (i.e., signal). Le graphique B représente la courbe psychophysique permettant d’établir le seuil de cohérence pour 75% de discrimination correcte.

Néanmoins et comme observé dans l’étude de Neville et Lawson (1987) les signeurs (sourds ou entendants) présentaient une sensibilité supérieure au mouvement dans le CV droit alors que le pattern inverse était observé chez les entendants non-signeurs avec une sensibilité supérieure dans le CV gauche. Les auteurs interprètent cette modulation comme une spécialisation du traitement du mouvement dans l’hémisphère gauche dévoué principalement au langage afin d’avoir un traitement optimal de la langue des signes (i.e., langue visuo-spatiale où le traitement du mouvement est indispensable). Enfin, les performances des sourds signeurs étaient meilleures que celles des entendants (signeurs et non-signeurs) quand les patterns de points étaient présentés dans le CV inférieur.

Les études de Neville et Lawson (1987) et de Bosworth et Dobkins (1999, 2002a, 2002b, voir aussi Bosworth, Petrich, & Dobkins, 2013) permettent alors d’avancer 4 conclusions sur les capacités de discriminations du mouvement chez les sourds signeurs : 1) la surdité entraine une plus grande réactivité à la discrimination de mouvement dans l’espace visuel périphérique, 2) cette hausse de réactivité n’est pas associée à de meilleures capacités de

discrimination du mouvement, 3) la pratique de la langue des signes entraine un avantage pour le champ visuel droit pour le traitement du mouvement, 4) cette latéralisation atypique semble plus sensorielle qu’attentionnelle puisque les modulations attentionnelles expérimentales n’ont pas d’effet sur les performances.

Le premier point de cette conclusion serait toutefois à prendre avec précaution puisque deux études plus récentes ont observé de meilleures performances chez les sourds signeurs pour discriminer des différences fines dans la direction du mouvement d’un pattern de points à 6.25° (Hauthal, Sandmann, Debener, & Thorne, 2013) ou détecter du mouvement à 10° d’excentricité visuelle (Shiell, Champoux, & Zatorre, 2014).