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Méthode

Matériel et procédure

Pour ne pas interférer sur les résultats de la tâche de détection simple, la tâche de discrimination était réalisée juste après la tâche de détection. La tâche avait le même design expérimental que la tâche de détection, mais au lieu d’une cible unique, le participant devait décider le plus rapidement et le plus précisément possible si la cible présentée était un rond ou une étoile. De plus, il était demandé au participant d’essayer de répondre à chaque essai même si il pensait répondre au hasard. Pour la moitié des participants, le bouton gauche de la SRBox correspondait à l’étoile et le droit au rond et inversement pour la seconde moitié des participants.

Analyse des données

L’analyse des temps de réponse était similaire à celle effectuée dans la tâche de détection, mais uniquement sur les bonnes réponses. Pour l’analyse de la précision des réponses des participants, les données ont subies une transformation angulaire (𝑥= 2 𝐴𝑟𝑐𝑆𝑖𝑛√𝑥), transformation particulièrement adaptée pour des scores compris entre 0 et 1. Les scores ont été comparés par une ANOVA à mesures répétées similaires à celle utilisée pour l’analyse des temps de réponse.

Résultats

Un participant du groupe des entendants non- signeurs a été exclu des analyses, car considéré comme déviant sur les TR selon la méthode des Résidus Supprimés Studentisés (RSS>3 dans 9 des 18 conditions expérimentales intra-sujets) (Belsley, Kuh, & Welsch, 2005).

L’analyse a donc été réalisée sur 18 entendants non-signeurs, 20 sourds signeurs et 16 entendants signeurs.

ANOVA à mesures répétées

Précision des réponses. L’ANOVA révèle un effet principal de l’excentricité visuelle, F(8,408) = 25.77, p < 0.0001, η²p = 0.82. Plus précisément, plus l’excentricité était importante, plus les participants faisaient des erreurs de discrimination. À 53°, entendants signeurs et entendants non-signeurs avaient un taux de bonne réponse non différent du hasard (48.4% pour les entendants signeurs t(15) = -0.58, p = 0.15 et, 53.9% pour les entendants non-signeurs t(17) = 1.88, p = 0.077). Les sourds signeurs avaient un taux de bonnes réponses légèrement supérieur au hasard avec 54.6 %, t(19) = 2.18, p = 0.042. L’ANOVA ne relève pas d’effet principal du groupe, F(2,51) = 1.41, p = 0.25, η²p = 0.052 ni d’effet principal du CV, F(1,51) < 1. Enfin, aucun effet d’interaction significatif entre les différentes variables n’est observé (figure 2.37). Comme seule l’excentricité visuelle a un effet sur la proportion de réponses correctes dans la tâche de discrimination, nous n’avons pas jugé pertinent de faire d’autres analyses statistiques sur les données telles que l’approche par comparaisons de modèles.

Figure 2.37 : Proportion de bonnes réponses selon l’excentricité visuelle et le groupe (graphique A) ou le champ visuel (graphique B). La ligne horizontale représente le niveau du hasard et les barres d’erreurs représentent les erreurs standard à la moyenne.

Temps de réponse correcte. Étant donné que deux groupes sur trois répondaient au niveau du hasard à 53° d’excentricité, nous avons décidé de ne pas inclure cette excentricité visuelle dans l’analyse des temps de réponse.

L’ANOVA révèle un effet principal du groupe, F(2,51) = 4.8, p =0.012, η²p = 0.16. Plus précisément, les sourds signeurs étaient plus rapides que les entendants (signeurs et non) pour discriminer correctement la cible, F(1,51) = 6.16, p = 0.016, η²p = 0.11, de plus la pratique de la langue des signes ne semble pas affecter les temps de réponse correctes, F(1,51) < 1.

Figure 2.38: Temps de réponse moyens (en ms) selon l’excentricité visuelle et le groupe (graphique A) ou le champ visuel (graphique B). Les barres d’erreurs représentent les erreurs standard à la moyenne.

Une comparaison post-hoc des trois groupes avec ajustement et correction de Bonferroni révèle que l’effet du groupe est dû à une différence entre les sourds signeurs et entendants signeurs (p = 0.010) et que les entendants non-signeurs ne diffèrent pas des sourds signeurs (p = 0.78) ni des entendants signeurs (p = 0.18). Voir figure 2.38 A. L’analyse révèle également un effet principal du CV, F(1,51) = 11.0, p = 0.002, η²p = 0.18, avec des temps de réponse plus courts dans le CV inférieur et un effet principal de l’excentricité visuelle, F(7,357) =96.9, p < 0.0001, η²p = 0.66, avec une augmentation des temps de réponse

avec l’augmentation de l’excentricité visuelle. On observe également un effet d’interaction entre l’effet du CV et l’effet de l’excentricité, F(7,357) =3.7, p < 0.001, η²p = 0.07, la différence des temps de réponse entre le CV supérieur et inférieur augmente avec l’excentricité visuelle. Plus précisément l’asymétrie du CV s’observe à partir de 35° d’excentricité visuelle, t(51)= -3.098, p = 0.003, η²p = 0. 16 au-delà (tous les p < 0.05), figure 2.38 B.

Enfin, nous observons un effet d’interaction entre le CV et le groupe, F(2,51) = 4.6, p = 0.015, η²p = 0.15. Plus précisément, seuls les entendants signeurs présentent une asymétrie significative de CV avec un avantage pour le CV inférieur (∆moyen = 21.67 ms), F(1,51) = 16.68, p = 0.0001, η²p = 0.25. Les entendants non-signeurs (∆moyen = 8.54 ms), F(1,51) = 1.85, p = 0.18, η²p = 0.035, et les sourds signeurs (∆moyen = 3.10 ms) ne présentent pas une telle asymétrie, F(1,51) <1, figure 2.39.

Comparaison de modèles mixtes linéaires

Le logiciel R et le package lme4 (Bates, Maechler & Bolker, 2012) ont été utilisés pour faire une analyse mixte et linéaire des relations entre le CV, l’excentricité visuelle et le groupe. Le groupe et le CV ont été codé comme variables à effet fixe, l’excentricité comme variable continue et enfin les participants comme variable à effet aléatoire. Ainsi comme suggéré par la littérature sur la surdité et les asymétries visuelles, notre « modèle nul » est constitué d’un effet du groupe, du CV, de l’excentricité ainsi que d’un effet d’interaction entre le CV et l’excentricité. Tout comme pour la tâche de détection de cible, l’hypothèse principale que nous désirons tester dans l’approche par comparaison de modèle est l’existence d’une interaction entre les variables groupes et CV, et plus particulièrement si la pratique de la langue des signes peut moduler l’asymétrie entre le CV supérieur et inférieur. Nous avons donc, une nouvelle fois, comparé notre modèle nul à un modèle alternatif dans lequel nous avons ajouté un effet d’interaction entre les variables CV et groupes.

La comparaison statistique des modèles montre que le modèle alternatif explique mieux les données que le modèle nul, X²(2) = 10.98, p = 0.004. Le tableau détaillé de l’analyse statistique est reporté en annexe V. L’effet d’interaction peut se constater sur les graphiques de la figure 2.39, où les droites de régressions linéaires estimées par le modèle ont été

tracées. Comme suggéré par l’ANOVA à mesures répétées, les entendants signeurs présentent une asymétrie de CV alors que les deux autres groupes ne présentent pas de différence entre les TR dans le CV supérieur et inférieur.

Figure 2.39 : Estimation de l’évolution des temps de réponse (en ms) selon le CV et le groupe.

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Discussion

La seconde partie de cette étude explorait un aspect plus complexe du traitement visuel que la détection de cibles, la discrimination de cible nécessitant l’engagement de l’attention endogène. L’analyse de la proportion de bonnes réponses suggère que seule l’excentricité visuelle de la cible affecte la précision de la réponse. Les trois groupes ont des performances stables entre 15° et 25° d’excentricité visuelle (environ 95% bonnes réponses), puis elles diminuent progressivement jusqu’à atteindre un niveau comparable au hasard pour les entendants (signeurs ou non signeurs) ou légèrement supérieur au hasard pour les sourds signeurs à 53° d’excentricité. Ces performances sont comparables que la cible soit présentée dans le CV supérieur ou inférieur. Il semblerait donc que ni la surdité ni la pratique de la langue des signes n’améliore la précision de discrimination de cibles dans le CVP.

Au niveau des temps de réponse, l’analyse statistique montre un effet principal du groupe, suggérant que les sourds sont plus rapides que les entendants (signeurs et non-signeurs) pour discriminer correctement une cible dans le CVP et cela quel que soit l’excentricité visuelle de la cible. Les tests post-hoc et l’analyse par comparaison de modèle montrent que cet avantage pour les sourds signeurs est principalement dû à une différence

Excentricité visuelle

Entendants non-signeurs Entendants signeurs Sourds signeurs

T e m p s d e p o n se ( m s) CV supérieur CV inférieur 500 600 700 550 650

entre les temps de réponse des sourds signeurs et des entendants signeurs. Malgré une différence non significative, il est également intéressant de noter que les entendants signeurs ont des temps de réponse plus longs que les entendants non-signeurs. Cette différence pourrait venir du fait que nos entendants signeurs sont plus âgés que les sourds, F(1,51) = 3.95, p = 0.052, et les entendants non-signeurs F(1,51) = 10.30, p = 0.002, l’âge étant un facteur de ralentissement des processus perceptifs et cognitifs (Der & Deary, 2006). Les sourds signeurs ne sont donc pas plus rapides que les entendant dans la tâche de discrimination de cibles.

Les analyses des temps de réponse suggèrent également l’existence d’une interaction entre la variable groupe et la variable champ visuel et plus précisément qu’il y aurait une différence entre le CV supérieur et inférieur uniquement chez les entendants signeurs. En regardant la modélisation des données (2.39), on constate que chez ces derniers, plus l’excentricité visuelle est importante, plus l’avantage du CV inférieur est important. Il semblerait alors que l’apprentissage de la langue des signes chez les entendants accentue les asymétries visuelles verticales.