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L’étude du CV et de l’exploration de la structure de la rétine et particulièrement de la macula des entendants signeurs fournit de nouvelles informations sur l’impact de la pratique de la langue des signes dans la plasticité visuelle. Nous avons observé une hausse des seuils de sensibilités aux contrastes de luminance ainsi qu’une couche de cellules ganglionnaires plus épaisse dans la macula chez les signeurs par rapport aux non-signeurs. Ces différences ont été observées uniquement dans le champ visuel inférieur entre 3° et 15° d’excentricité visuelle ainsi que la partie inférieure de la macula qui recouvre la zone du CV entre 5° et 18° d’excentricité visuelle. Néanmoins, nous n’avons pas observé de corrélation entre les valeurs de seuils du CV et les épaisseurs de la couche de cellules ganglionnaires de la macula. Les modifications liées à la pratique de la langue des signes s’observent donc dans un espace très particulier correspondant à l’espace de perception et de production des gestes de paroles en langue des signes (i.e., espace de signation). Il y aurait donc une plasticité du traitement visuel hautement spécifique liée aux contraintes perceptives inhérentes à la pratique de la langue des signes.

Outre les limites expérimentales développées dans les discussions de chaque partie expérimentale précédente, il est intéressant de réfléchir aux diverses implications que pourraient avoir nos résultats dans une perspective plus clinique. En effet, il serait possible d’envisager de la remédiation ou de la prévention de certaines pathologies visuelles par la pratique de la langue des signes. Comme un apprentissage impliquant des contraintes visuo-motrices, même tardif, semble être source de plasticité visuelle, il serait peut-être possible

de réduire les symptômes ou l’évolution de certaines affections de la rétine ou du CV (e.g., le glaucome) avec un tel apprentissage. Dans la même idée, avec ses travaux sur l’impact des jeux vidéo d’action dans les mécanismes d’attention et de perception visuelle, l’équipe de recherche de Bavelier explore les possibles bénéfices de ces mêmes jeux vidéo sur des populations cliniques comme par exemple des personnes atteintes d’amblyopies (Vedamurthy et al., 2015, 2016). La pratique de la langue des signe pourrait alors aussi être un outil clinique pour les affections du CV.

Pour conclure, la sensibilité aux contrastes de luminance testée dans notre étude peut être qualifiée de capacité visuelle de bas niveau, c’est-à-dire une capacité visuelle relativement basique et très peu coûteuse en ressources cognitives. Or la langue des signes sollicite des processus allant bien au-delà de cette vision de bas niveau en impliquant des processus de traitement du mouvement (i.e., gestuelle du signeur), de discrimination de forme (i.e., configuration de la main) ou encore d’attention visuelle sélective et divisée. Les études suivantes de ce travail de thèse tentent d’étudier certains de ces autres processus avec notamment les capacités de perception et de discrimination dans le grand champ visuel périphérique ainsi que l’allocation spatiale de l’attention visuelle à la fois auprès d’une population sourde signeuse et d’une population d’entendants signeurs.

Etude 2 : Détection et discrimination de cibles dans le champ visuel

périphérique chez les sourds et les signeurs

Abstract

Studies on deaf signers frequently report enhancements in deaf on peripheral visual processing but visual eccentricities beyond 15° have rarely been explored. With a detection and discrimination we assessed deaf signers, hearing signers and hearing non-signers exogenous attention and endogenous attention between 15 and 53 degrees of visual eccentricity. We also compared performances between lower and upper visual field to test if the use of sign language can modulate typical vertical perceptual asymmetry. In the detection task deaf signers were faster than both hearing groups in all eccentricities and visual field location suggesting faster reactivity across peripheral eccentricities. In the discrimination task, deaf and hearing had similar response time and accuracy suggesting that faster reactivity in deaf to detect target does not extend for endogenous attentional task like shape discrimination. However, in the discrimination task hearing signers had greater visual field asymmetry than other groups with a lower visual field advantage. Altogether these results suggest that deafness is more likely to impact exogenous attention in the large peripheral visual field while sign language experience in hearing signers is more likely to increase visual field asymmetry in endogenous attentional task.

Problématique et hypothèses

Comme développé dans la partie théorique il n’existe pas de définition précise du champ visuel périphérique et les excentricités testées au-delà des 15° chez les sourds sont très lacunaires. Il y a donc que très peu d’informations concernant les capacités visuelles des personnes sourdes dans les grandes excentricités visuelles (voir tableau 2.2 de la partie théorique de ce chapitre). Or si la vision périphérique se développe pour compenser le manque des informations sonores habituellement utilisées pour construire une conscience de l’environnement, il semble important d’étudier les compétences des personnes sourdes à différentes excentricités visuelles et notamment au-delà de 15°. Le premier but de cette étude est donc d’étudier les capacités visuelles périphériques des personnes sourdes à des excentricités très peu étudiées et de tester si l’avantage des sourds signeurs pour la détection de cibles observé dans la « petite périphérie » sur les entendants (signeurs ou non-signeurs) s’observe également dans la plus grande périphérie. Le second but de cette étude est de tester l’impact de la pratique de la langue des signes sur les asymétries visuelles naturellement observées dans la population entendante non-signeuse est spécifiquement entre la partie supérieure et inférieure du champ visuel.

Dans cette étude, les participants ont réalisé deux tâches. La première était une simple tâche de détection de cible impliquant principalement l’attention exogène et peu de ressources cognitives. La seconde tâche était une tâche de discrimination de cible, c’est-à-dire une tâche nécessitant un engagement de l’attention endogène et donc davantage de ressources cognitives que dans la première tâche. La comparaison des résultats entre les deux tâches permet ainsi de mieux caractériser les éventuels effets de la surdité ou de la pratique de la langue des signes.