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Plasticité du traitement visuel chez la personne sourde signeuse

Section théorique

2. Plasticité du traitement visuel chez la personne sourde signeuse

i. La spécificité du champ visuel périphérique

Comme développé dans le premier chapitre, la perception visuelle des personnes sourdes n’est pas modifiée sur tous les aspects du traitement visuel. Avant de faire la revue de la littérature des différences entre sourds et entendants, il convient d’évoquer les différentes hypothèses concernant l’impact de la surdité précoce sur la cognition (e.g., Loke & Song, 1991; Parasnis & Samar, 1985).

La première hypothèse postule que pour compenser le manque d’informations auditives nécessaires à la perception ou représentation correcte de l’environnement, les capacités de

traitement visuel périphérique vont être augmentées (figure 2.8). En effet, alors que les entendants se reposent majoritairement sur la modalité auditive pour avoir des informations sur les évènements -potentiellement dangereux- se déroulant autour d’eux, les sourds sont entièrement dépendants de la modalité visuelle- et particulièrement dans l’espace visuel périphérique- pour relever ces informations. Pour illustrer cela, Loke et Song (1991) prennent l’exemple d’une personne entendante désirant attirer l’attention de quelqu’un. Pour cela, il lui suffit de l’interpeler par son prénom, ou autre salutations d’usages, et ce quel que soit la localisation de ce dernier. Dans une situation similaire, la méthode la plus appropriée pour attirer l’attention d’une personne sourde située à quelques mètres de soi est d’agiter sa main dans sa direction. Ce geste stimule l’espace visuel périphérique et permet ainsi d’attirer l’attention de la personne avec qui l’on souhaite communiquer. Ainsi, c’est par l’augmentation de la sensibilité de l’espace visuel périphérique que les sourds s’adapteraient de manière optimale à l’absence d’audition.

La seconde hypothèse est l’hypothèse de la pratique de la langue des signes comme source de plasticité des traitements visuels. Comme décrit dans le premier chapitre, la pratique de la langue des signes nécessite à la fois une attention soutenue sur le visage de son interlocuteur en fixant son visage et à la fois une attention soutenue sur les gestes de paroles produits par son interlocuteur et perçus majoritairement dans l’espace visuel périphérique inférieur. Ainsi, la structure et la dynamique de cette langue visuelle, spatiale, et temporelle pourraient augmenter la sensibilité de l’espace visuel périphérique et cela soit de manière spécifique dans le CV inférieur soit de manière plus générale dans l’intégralité de l’espace visuel périphérique.

Pour départager ces deux hypothèses, il est nécessaire de dissocier les effets de la surdité et de la pratique de la langue des signes. Pour cela les entendants signeurs (particulièrement les CODAs) ou les sourds non-signeurs sont des populations idéales à tester. En effet, si sourds signeurs et CODAs ont des performances similaires, l’hypothèse de la pratique de la langue des signes sera la plus probable, mais si au contraire les sourds signeurs et les sourds non-signeurs ont des performances similaires, c’est l’hypothèse de la compensation sensorielle qui sera la plus probable. À noter que ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives puisque surdité et langue des signes peuvent avoir des effets additifs.

Figure 2.8 : Hypothèse de la compensation sensorielle. Le violet représente la zone de perception auditive et le bleu la zone de perception visuelle d’un individu. La réaction à un évènement dans l’environnement repose à la fois sur des informations auditives et visuelles (colonne de gauche). En l’absence de son, certains évènements ne peuvent être perçus (colonne centrale) sauf si la perception visuelle compense le manque d’informations auditives comme chez les sourds (colonne de droite). Illustration adaptée de Dye (2016)

ii. La taille du champ visuel

En utilisant la périmétrie cinétique (encart 1) deux études ont observé que les sourds possédaient un champ visuel plus étendu que les entendants non-signeurs (Buckley et al., 2010; Stevens & Neville, 2006). Buckley et al. (2010) ont constaté que cette extension était particulièrement marquée dans la partie inférieure du CV à la fois dans la région des 30° (i.e., CV central) et des 60° (i.e., CV périphérique) d’excentricité visuelle (figure 2.9). Les profils des personnes sourdes constituant l’échantillon de cette étude étaient relativement hétérogènes en termes de fluence en langue des signes britannique (BSL) et de son âge

d’apprentissage notamment. Environ la moitié de l’échantillon des personnes sourdes utilisait l’anglais (n=6) plutôt que la BSL (n=7) pour communiquer. Les auteurs ont donc divisé le groupe en deux pour tester l’influence de la pratique de la langue des signes sur l’étendue de la partie supérieure (C1 et C2, figure 2.9) et inférieure (C3 et C4, figure 2.9) du CV. Ils ont également testé l’existence d’un lien entre l’âge d’apprentissage de la BSL et l’étendue du CV. Aucune de ces analyses ne s’est révélée significative suggérant davantage un effet de la surdité que de la pratique de la langue des signes. Néanmoins, et comme souligné par les auteurs, ces analyses ont été effectuées sur très peu de participants et les résultats sont donc à prendre avec précaution. Il semble donc intéressant d’étudier plus en détail l’impact que peut avoir la pratique de la langue des signes dans la sensibilité du champ visuel.

Figure 2.9 : Aire des champs visuels des sourds et des entendants dans le CV central (≈ 30°) et le CV périphérique (≈ 60°), (Buckley et al. 2010).

iii. La détection de cibles

La faculté de réactivité des individus face à l’apparition d’une cible à un endroit inattendu du CV (i.e., détection de cible) est une dimension qui a été fréquemment étudiée chez la population sourde. Cette détection de cible peut se faire soit dans un contexte nécessitant une simple réponse du type stimulus/réponse, soit dans un contexte plus complexe avec la présence de distracteurs dans la scène visuelle induisant alors un effet d’interférence dans la réactivité face à la cible.