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Diffusion  internationale

1. Une  histoire  des  libéralismes

1.3. Du  néolibéralisme  aux  néolibéralismes

1.3.2. Diffusion  internationale

Ces deux expériences sont devenues les exemples-types de ce qu’est un Etat néolibéral. A partir d’elles, le néolibéralisme s’est rapidement diffusé à l’échelle du globe. Bien que le néolibéralisme ait fait modèle, il m’apparaît important, dans la perspective du positionnement de cette thèse, de ne pas simplement l’appréhender comme une idéologie surplombante, mais bien comme un mode de faire, et d’appréhender de manière complexe la tension entre les expériences locales et la diffusion globale. Il s’agit donc, à la suite de Peck et Tickell, de s’interroger sur l’articulation entre les formes locales et le caractère général du néolibéralisme. Pour eux : « ‘actually existing’ neoliberalisms are always (in some way or another) hybrid or composit structures » (Peck & Tickell, 2002, p.

36). Nous avons vu avec Foucault que la fondation d’un nouveau libéralisme a été activement produite par des intellectuels qui se sont rencontrés à plusieurs reprises et ont produit des publications leur servant de références communes. Il a donc été porté par des individus et des documents qui lui ont donné une existence et l’ont diffusé en le construisant. Sans entrer dans les détails de cette littérature, c’est une attention à la circulation des modèles et des experts qui peut apporter la compréhension de la diffusion actuelle du modèle néolibéral, ses normes et ses modes de faire.

Harvey pointe du doigt le fait que le néolibéralisme n’ait pas été partout adopté par ferveur idéologique mais aussi par imposition externe :

« How, then, did neoliberalism negotiate the turn to comprehensively displace embedded neoliberalism? In some instances, the answer largely lies in the use of force (either military, as in Chile, or financial, as through the operations of the IMF in Mozambique or the Philippines)” (Harvey, 2005, p. 40)

112 monétaire international. Il joue un rôle de surveillance et d’assistance aux Etats dans la conduite de leur politique monétaire. Les plans d’ajustement structurels, à travers lesquels le FMI intervient auprès des Etats pour assurer leur adéquation avec les exigences du système monétaire international, sont le symbole de l’imposition des préceptes néolibéraux. Plus largement, toute intervention du FMI est conditionnée :

« Lorsqu’un pays emprunte auprès du FMI, ses autorités acceptent d’ajuster leurs politiques économiques pour surmonter les problèmes qui les ont conduites à solliciter l’aide financière de la communauté internationale. Les conditions de ces prêts permettent également de veiller à ce que le pays soit en mesure de rembourser le FMI afin de mettre les ressources à la disposition d’autres pays membres qui en ont besoin. Les réformes adoptées en 2009 ont simplifié la conditionnalité du FMI pour permettre aux pays membres de s’approprier des politiques solides et performantes ». Source : FMI28

Une littérature abondante existe au sujet des effets du conditionnement de (Harvey, 2005, p. 73). De fait, les citoyens des pays en question n’ont pas leur mot à dire sur les conditions imposées. Pour Peck et Tickell, cette imposition d’une norme d’organisation structurelle des Etats par un organe dirigé par les pays les plus puissants fait que :

« for its converts in the global south, neoliberalism assumes the status of the Latinate Church in medieval Europe, externally imposing unbending rule regimes enforced by global institutions and policed by local functionaries. Meanwhile, if not subject to violent repression, nonbelievers are typically dismissed as apostate defenders of

28 http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/conditiof.htm (consulté le 29 novembre 2014)

29 « L’organe suprême de la structure de gouvernance est le Conseil des gouverneurs, qui se compose d’un gouverneur et d’un gouverneur suppléant par État membre, qui émanent généralement de la banque centrale ou du ministère des finances. […] La gestion au quotidien du FMI est supervisée par son Conseil d’administration, composé de vingt-quatre administrateurs qui représentent la totalité des pays membres » http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/glancef.htm (Consulté le 29 novembre 2014)

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outmoded institutions and suspiciously collectivist social rights » (Peck & Tickell, 2002, p. 34)

En tout cas, de nombreux auteurs s’accordent à dire que ces institutions de Bretton Woods “were mobilized to institutionalize this extension of market forces and commodification in the Third World through various structural-adjustments and fiscal austerity programs” (Brenner & Theodore, 2002b, p. 3).

Mais la circulation et la diffusion du modèle néolibéral sont aussi plus insidieuses. Elles s’incarnent dans des personnes qui s’en font les porte-parole et les médiateurs. Harvey montre ainsi que les universités américaines sont de grandes pourvoyeuses de partisans du néolibéralisme, qui, les ayant quittées, peuvent diffuser ailleurs les idées qu’ils y ont apprises :

« The US research universities were and are training grounds for many foreigners who take what they learn back to their countries of origin – the key figures in Chile’s and Mexico’s adaptation to neoliberalism were US-trained economists for example – as well as into international institutions such as the IMF, the World Bank, and the UN » (Harvey, 2005, p. 54)

Ainsi, certains centres universitaires, au bénéfice de partenariats avec des think tanks ou des grandes corporations, participent activement à exporter, à travers leurs diplômés, les préceptes néolibéraux. L’échelle des individus est ainsi un des vecteurs majeurs de la néolibéralisation. D’une part, tout un corps d’experts internationaux s’est constitué, des suites des premières vagues de néolibéralisation des services publics. Larner et Laurie, par exemple, montrent comment, à la suite de la privatisation des télécoms en Nouvelle Zélande, pour pouvoir continuer à disposer d’un emploi, différents experts du domaine se sont spécialisés dans le consulting et sont devenues des experts internationaux intervenant dans de nombreux pays pour aider à mettre en place la transition du public au privé (Larner & Laurie, 2010). Ils sont ainsi devenus de nouveaux relais de diffusion de la néolibéralisation des services publics. Larner montre également, dans un autre article, comment les Etats mobilisent leurs expatriés pour bénéficier de leurs expertises quant aux modes de gouvernement ayant lieu dans les autres pays (Larner, 2007). Les Etats sont donc à la fois exportateurs et importateurs de référentiels d’action via leurs expatriés qui se font les médiateurs et les porte-parole des différents modes de gouvernement, et en particulier des réformes néolibérales.

La diffusion du néolibéralisme est donc complexe et procède à la fois par la coercition par de puissantes institutions en mesure d’imposer à l’échelle globale leurs normes structurelles, et par la circulation de simples personnes, qui se font de véritables transmetteurs de modes de faire. Ce rapide état de l’art met d’ores

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et déjà en évidence la dimension temporelle et processuelle de l’adoption du néolibéralisme, et le fait que les expériences se croisent et se nourrissent, produisant de multiples incarnations des préceptes de départ.

1.3.3. Dérégulations  et  rerégulations  :  une  clé  de  lecture  synchronique