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Conclusion  du  chapitre  2

Ce chapitre théorique a pris comme point de départ l’hypothèse analytique du néolibéralisme pour comprendre les particularités contemporaines de la fabrique de l’action publique. Cette entrée par la fabrique, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, vise à pouvoir rendre compte de la manière dont l’idée de nature est construite, négociée et mise en œuvre, par des acteurs mobilisant discours et instruments et agissant sur la société et sur les subjectivités.

Dans les deux premières sections, nous avons vu que le néolibéralisme se veut d’abord un projet politique visant à refonder le libéralisme sur le principe de la concurrence et de l’entreprise. L’Etat, dans ce schéma de pensée, doit se limiter à une action ordonnatrice et régulatrice. Le néolibéralisme est aussi, pour certains auteurs, une incarnation particulière du capitalisme, procédant à l’extension de la commodification et de ce que Harvey nomme l’accumulation by dispossession. Toutefois, la plupart des auteurs nous invitent à ne pas prendre le néolibéralisme comme un projet uniforme s’imposant de manière identique dans tous les contextes socio-politiques. En effet, « only in the programmatic

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writings of authors like Milton Friedman, Frederich Hayek, and Richard Epstein is it a single, coherent entity » (Castree, 2008, p. 141). Dans les faits, il est toujours « impur » (Castree, 2008), mêlant projet néolibéral et particularités locales. Pour penser cette impureté du néolibéralisme, certains le décomposent temporellement, d’autres conceptuellement. En tout cas, force est de reconnaître sa variabilité, ce que les Anglo-saxons appellent sa path-dependency. Mais il importe, afin de ne pas simplement procéder à une description localisée, d’abstraire des éléments communs et de reconstruire leur cohérence entre les différents cas (Castree 2008).

Entendre le néolibéralisme comme un type particulier de fabrique nécessite d’être attentif aux différents domaines par lesquels il procède. Suivant notamment la proposition d’Agrawal (2005), j’ai montré dans ce chapitre qu’il procède à la fois à des réformes dans les modes d’organisation internes des institutions publiques – ce que Bruno appelle le gouvernement des gouvernants -, à la mise en place de nouveaux partenariats gouvernementaux, à la production d’une société « active » et d’une subjectivité dite « responsable » et entrepreneuriale. Ce mode d’action passe par des instruments particuliers, dont le projet et le benchmarking, et par des discours mobilisateurs, comme ceux de la liberté et de la communauté.

Dans les sections suivantes, j’ai mis en perspective ces éléments pour voir ce qu’ils apportent à la compréhension de la fabrique urbaine de l’action publique, et en particulier de la fabrique urbaine de nature. J’ai analysé en parallèle la néolibéralisation de la ville et de la nature, puis exploré les points de rencontre de ces approches. Nous avons donc vu que le néolibéralisme procède par extension de la logique de marché à des domaines jusqu’alors exempts de cette logique, par la privatisation, la commodification et la mise en concurrence croissante des choses, des gens et des lieux. La question complexe de la matérialité a surgi à plusieurs reprises. D’une part, alors que la mise sur le marché d’actifs urbains semble illustrer la dématérialisation de la ville pour ses investisseurs, dans le même temps ceux-ci sont plus que jamais engagés dans le financement d’infrastructures matérielles urbaines. Leur impact matériel est donc plus important qu’il ne l’a jamais été. D’autre part, les processus de néolibéralisation, et en particulier de commodification, procèdent préférentiellement avec certains objets, dont certaines propriétés matérielles sont cadrées comme particulièrement importantes et participent à leur donner leur valeur d’échange – analyse à contrecourant de l’analyse d’économie politique habituelle. Mais, enfin, la matérialité n’est pas un donné, et il lui arrive de se constituer en obstacle au projet humain qu’elle tend à compliquer. Reste que ce n’est que par rapport à un projet humain donné que la matérialité

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interfère. Il ne s’agit donc pas dans cette thèse de suivre Leap (2014) pour qui le néolibéralisme est co-construit par des humains, des plantes et des animaux.

S’il est co-construit, c’est au mieux avec des dispositifs techniques, qui n’importent, voire n’existent en tant que dispositifs, que parce que mobilisés par les humains.

Mais, alors que les champs de littérature portant respectivement sur la néolibéralisation de la nature et de la ville font preuve de nombreux points communs et d’approches commensurables, la nature en ville, qui semblait joindre ces deux problématiques, n’est que partiellement abordées sous cet aspect. On trouve des travaux sur la mise en concurrence des villes par la nature, sur le marché de la nature pavillonnaire, sur la dévolution de la production de nature urbaine au tiers-secteur, sur la production de nouvelles subjectivités environnementales dites responsables, et enfin des approches montrant que la mobilisation de la nature participe d’une lutte contre le néolibéralisme. Mais la littérature sur la nature urbaine est quasiment sourde à la question de la matérialité de la nature urbaine néolibérale, à l’analyse des marchés de plantes commodifiées dans lesquels sont inscrits les espaces verts publics des centres urbains, ou encore aux pratiques des entreprises privées dans le secteur des espaces verts. Je m’attache, dans cette thèse, à fournir des éléments d’analyse aux deux premiers domaines ci-avant mentionnés, tout en y adjoignant celle de la dévolution au tiers-secteur. Venons-en, justement, à la précision des questions de recherche et des hypothèses de ce travail.

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