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réalité sociale et transposition didactique

II.1. Perspective interculturelle et apprentissage des langues étrangères

II.1.2. Ancrage théorique de l’interculturel et implications éducatives

II.1.2.4. Dialogue interculturel et communication exolingue

Dans un dialogue avec l‘Autre, force est de constater que les langues ont leurs propres conventions et leurs codes culturels, certaines situations exigent de multiplier les formes neutres afin de ne pas froisser son interlocuteur, d‘autres donnent aux même vocables une

98 portée sémantique différente. Si une langue peut paraitre très logique et très claire aux yeux de ses locuteurs, un étranger peut la trouver confuse et très compliquée. La communication revêt un implicite culturel qui « est avant tout échange, complicité, œillade : il ne peut exister sans l‘autre, ce qu‘il contient d‘inarticulé, d‘inachevé, d‘ébauché, l‘autre est censé le compléter » (Zàrate, 1986 :16)

Ce n‘est pas seulement le langage verbal que toute culture codifie mais aussi le langage non verbal. Les mêmes signes peuvent avoir des interprétations diverses selon les cultures d‘où l‘importance de les resituer dans leur contexte et les associer à leur culture. Montrer son approbation, demander à quelqu‘un de s‘approcher ou de s‘éloigner, dire « non », ne sont pas universels et il n‘est pas toujours aisé de deviner quels sens se cachent derrière chaque geste. Or, le déficit linguistique n‘est pas la cause première des malentendus interculturels lors d‘une communication exolingue, mais il existe des problèmes d‘ordre interculturel dus à l‘incapacité d‘adapter la parole et l‘action au contexte.

Tout contact avec l‘Autre en situation scolaire par le biais de la langue étrangère ou des contenus culturels place les apprenants en situation de communication et de médiation culturelle. Ceux-ci se trouvent, inconsciemment ou pas, en train de jouer le rôle de médiateur de leur propre culture et de tisser des liens avec la culture que véhicule la langue enseignée même si une certaine auto-conscience culturelle est nécessaire à l‘établissement d‘une sécurité identitaire. De plus, il s‘avère avantageux de créer des protocoles de situations communicatives de médiation proches des situations de contact interculturel où les apprenants devront adapter leurs comportements linguistiques et culturels au modèle des interactions entre individus de même appartenance socioculturelle (Voir chapitre I).

Grâce à l‘apprentissage d‘une langue étrangère, l‘apprenant se voit offrir une chance pour franchir la frontière de ses perceptions et des références de ses jugements.

La prise en compte de la dimension interculturelle dans l‘apprentissage des langues a pour visée de servir l‘entente entre les individus de cultures différentes et de promouvoir le développement d‘une conscience interculturelle favorisant le respect des différences, la compréhension mutuelle et la reconnaissance des cultures et une capacité de communication renforcée entre les individus ayant des codes culturels distincts.

Afin d‘optimiser cette démarche dans le processus de l‘enseignement/apprentissage d‘une langue étrangère, Beacco (2000, 43-44) pense qu‘il importe en premier lieu de dégager les caractéristiques de la situation d‘enseignement qui permettent de moduler les formes de

99 présence de la culture dans la classe. En second lieu, une réflexion sur l‘Autre doit être privilégiée, c'est-à-dire, la dimension culturelle ne doit pas être réduite à un décor de l‘enseignement linguistique en optant uniquement pour une transmission d‘informations culturelles qui induit souvent à des représentations sommaires proches des stéréotypes, tel est le cas de certains manuels scolaires qui limitent l‘aspect culturel voire interculturel à des bribes culturelles évoquant des icones relatives à la Culture avec un grand « C » tout en négligeant la partie immergée de l‘iceberg. Cette restriction de la culture dans les contenus d‘enseignements est peut être due à une « mesure de «protectionnisme culturel» [qui] s'accompagne d'un égal souci de fermeture à la culture étrangère»

(Zàrate, 1986 : 39)

Il s‘agit donc d‘articuler les contenus linguistiques avec le versant culturel de l‘enseignement, ce qui confronte didacticiens et enseignants à des choix méthodologiques permettant de gérer les enseignements de façon spécifique et de focaliser sur la relation qu‘entretient l‘apprenant avec l‘Autre. Or, ce qui répondrait à ces préoccupations est une approche dont le but :

N‘est ni d‘identifier autrui en l‘enfermant dans un réseau de significations, ni d‘établir une série de comparaisons sur la base d‘une échelle ethno-centrée.

Méthodologiquement l‘accent doit être mis davantage sur les rapports que le ‗je‘

(individuel ou collectif) entretient avec autrui que sur autrui proprement dit. (Abdallah-Pretceille, 1985 :31)

Dans une situation hétéroglotte où la langue n‘est pas omniprésente en dehors de la classe, il est plus simple de transposer une langue qu‘une culture, c‘est pourquoi seuls des simulacres et des bribes culturels peuvent être introduits en classe. Toutefois, au-delà d‘une simple intégration de la culture étrangère dans le cours de langue par le biais de supports et de contenus à thématique essentiellement culturelle, dans la perspective interculturelle, la classe de langue est conçue comme un espace où des analyses des modes d‘interactions entre les porteurs de cultures doivent être effectuées en tenant compte des interrogations et des interprétations des faits culturels étrangers qui se font à travers les grilles de lectures que constituent les cultures maternelles. De même, l‘assimilation des traits de la culture de l‘Autre doit être accompagnée d‘une pratique concrète de la culture étrangère afin de développer la capacité à user du savoir acquis dans une situation interculturelle donnée, et de recourir dans le lot de ses connaissances sur l‘Autre et sa culture à celles qui seront susceptibles d'être les plus appropriées au contexte immédiat.

100 L‘inadéquation entre les systèmes de références mises en interactions se manifeste par des interprétations aberrantes, des jugements de valeur et des décodages erronés. Ces contraintes qui entravent la connivence sont à surmonter dans la classe de langue à travers un entrainement à la découverte et à la mise en relation des cultures en présence sans encourager une adhésion délibérée à la culture étrangère. Ce volet éducatif que valorise la didactique des langues par le biais d‘une approche interculturelle est loin d‘être négligeable parce qu'il sensibilise l‘apprenant d‘une langue-culture étrangère à penser le monde dans différentes cultures et à prendre conscience des enjeux culturels que recèle la communication avec l‘Autre.

Par ailleurs, pour Zàrate (1986), la découverte d‘une culture étrangère en classe de langue peut se heurter à un double obstacle. Il s‘agit de l‘apprentissage des implicites culturels qui codifient le tissu social auquel l‘apprenant appartient tout en faisant le lien avec la frontière qui les sépare de la culture étrangère par le décodage de ses implicites. Ce va et vient entre le dedans et le dehors caractérise cet apprentissage de la relativité culturelle.

Ainsi, l‘important dans la relation avec la culture étrangère est non seulement ses spécificités mais surtout le positionnement de l‘apprenant vis-à-vis de ce qui est étranger en référence à sa culture maternelle et la nature de l‘implication personnelle dans la découverte de la culture étrangère.

Une adhésion délibérée aux traits culturels originels marque le processus par lequel l‘individu enregistre sa première vision du monde qui l‘initie aux références de son entourage. L‘identité se construit par un processus d‘insertion sociale presque implicite caractérisé par une conversion des faits de culture en fait de nature où tout apprentissage est perçu comme l‘expression d‘une évidence indiscutable (Zàrate, 1986 : 24). Or, l‘identité se construit à l‘épreuve de l‘Altérité dans la mesure où tout contact avec l‘Autre, même si ce dernier appartient à sa communauté, participe à son parcours identitaire et à l‘ouverture à l‘Altérité car celle-ci : « constitue une facette de toute société comprenant plus d‘un groupe ethnique, et habituellement par conséquent, plus d‘une langue maternelle

» (Byram, 1992 : 45).

Dans cette même vision, signalons que la pluralité est en effet intrinsèque à l‘individu car il n‘est pas porteur d‘un code culturel univoque et si l‘on part du principe que « La frontière culturelle n‘est pas exclusivement celle des nations et des cartes de géographie [et qu‘] à l‘intérieur d‘une même communauté nationale, on est toujours l‘étranger de quelqu‘un »

101 (Zàrate, 1986 : 23), l'enseignement/apprentissage est donc destiné à un public linguistiquement et socioculturellement hétérogène. Cette situation conduit à une réorientation de la façon de considérer les langues et les écoles car l‘approche interculturelle ne vise pas uniquement les enfants issus de l‘immigration mais aspire à apprendre à respecter la diversité même au sein d‘un même groupe.

Vu que l‘enseignement des langues s‘opère dans un contexte de confrontation de langues et de cultures, la question de l‘interculturel est abordée de manière approfondie et en relation avec les pratiques pédagogiques qui prennent comme point de départ l‘identité de l‘apprenant. celui-ci est amené à saisir et à prendre conscience de tout ce que revêt sa propre culture afin qu‘il puisse comprendre d‘une manière objective les principes de la culture cible. Au-delà de l‘objectif pragmatique qui suppose la capacité d‘agir adéquatement avec l‘Autre dans des situations de communication exolingue, l‘interculturel se donne surtout un objectif formatif, celui de d‘instaurer une conscience interculturelle fondée sur le sentiment de relativité et de respect de la différence. Or, l‘acceptation de l‘Autre passe par un trajet difficile compte tenu de l‘ethnocentrisme qui constitue une grille de lecture discriminatoire opérant une sélection de ce qui le lie à l‘Autre et de ce qui l‘en sépare. Une perpétuelle redéfinition identitaire marque le processus qui met le sujet à l‘interface des cultures d‘origine et étrangère.

En classe de langue, la construction identitaire est consécutive au frottement à la diversité culturelle mise en exergue par la langue enseignée. Les multiples interactions suscitées entre les langues et les cultures en présence incitent l‘apprenant à s‘engager d‘une part dans une reconnaissance de soi et de sa culture et d‘autre part dans une découverte de l‘Autre à travers les contenus culturels étrangers qui se présentent à lui. En s‘exposant à la culture de l‘Autre, des représentations sont explicitées, actualisées, remodelées ou reconstruites et est favorisée de la sorte une immersion dans la culture d‘origine.

Les formes didactiques dérivées de la perspective interculturelle prônant la compréhension mutuelle et le dialogue des cultures se donnent pour finalité d'approfondir la complexité des situations de contact entre langues et cultures. À la fois innovante et prudente, la didactique des langues explore les tensions et conflits identitaires qui caractérisent les confrontations des langues et cultures liés à la réalité sociale, à la mobilité scolaire et universitaire ou à l‘immersion en contexte étranger, tout en s'impliquant dans la constitution et le renforcement des liens sociaux à travers l‘ouverture à l‘étude des situations conflictuelles qui s‘expriment à un niveau mondial. En tenant compte du fait que l‘apprenant d‘une

102 langue étrangère, quelle que soit sa compétence linguistique est inscrit dans une histoire individuelle et collective, sociale et culturelle, la didactique des langues met l‘accent sur les choix qu‘il effectue dans toute situation de communication et qui rendent compte de sa relation avec sa culture et avec celle de l‘Autre. De son coté, l‘enseignant d‘une langue étrangère est appelé à s‘interroger sur les expériences et le vécu de l‘apprenant, à apporter son concours spécifique par ses choix professionnels malgré qu‘il se trouve à la lisière de deux ou plusieurs systèmes culturels différents. Il est censé jouer le rôle de l‘interlocuteur natif, source d‘informations et de connaissances, de médiateur entre la culture de l‘apprenant et celle que la langue véhicule et d‘accompagnateur de l‘apprenant dans la découverte de l‘Autre.

En effet, l'école est la scène d'actions « interculturelles » qui se déroulent d‘abord entre apprenants issus de groupes culturels distincts et avec l‘Autre à travers le contact avec sa langue et sa culture. Cependant, l‘école n‘est pas un lieu d‘inculcation d‘un savoir encyclopédique culturel dépourvu d‘approches sur les représentations des apprenants, mais, elle se doit de les préparer à la rencontre de l‘Autre et de les familiariser avec la diversité culturelle, ce qui limiterait les malentendus et l‘incompréhension et développerait le relativisme culturel.

Or, les effets néfastes ou les distorsions inhérentes au contact avec l‘Autre ne peuvent être palliés que par une conscientisation visant que les individus/apprenants s‘emparent, en contexte interculturel, des différences culturelles comme une denrée au profit d‘un équilibre identitaire et la formation d‘acteurs sociaux aptes à vivre des expériences interculturelles. Etant donné le sentiment d‘incompatibilité entre les deux systèmes culturels qui caractérise toute confrontation avec l‘inconnu, une approche interculturelle en classe de langue prend en compte la culture non comme un savoir à assimiler, mais comme un système de représentations et de comportements mouvants et métissés qui façonnant les individus et les groupes. Parallèlement à cette conception, une telle approche est appelée à fonder ses modes d‘actions sur la régulation des conflits surgissant entre groupes culturels distincts à travers la valorisation de la compétence et la conscience interculturelle.

Dans cet ordre d‘idées, nous pouvons conclure en disant qu‘une approche interculturelle vise en plus d‘une valorisation du culturel, souvent supplanté par le linguistique, une prise en compte de la relation à l‘Autre au-delà de l‘approche communication/culture classique qui expose les apprenants à des éléments de la culture comme un bloc homogène et stable, telle qu‘elle est envisagée dans les pratiques de classe et manuels. C‘est ce que précise

103 Springer (2009) en soulignant que dans l‘histoire des méthodologies du FLE, c‘est l‘approche actionnelle qui vise à développer des projets favorisant de vivre ensemble des expériences, et amène au désir d‘interagir avec l‘Autre. L‘auteur met l‘accent sur le changement significatif qu‘a apporté le CECR par rapport à la question de l‘interculturel en évoquant les manuels post CECR. Ceux-ci tiennent de plus en plus compte de l‘altérité en allant au-delà de l‘approche culturaliste. Springer ajoute :

On assiste alors à une culture en acte rendant possible la construction commune de l‘interculturel. Ce n‘est plus tant la découverte de la culture cible qui importe -l‘apprentissage des rites sociaux, la connaissance des objets culturels qui caractérisent une communauté, l‘étude de la diversité culturelle avec des comparaisons explicites - que la mise en place de contacts, la rencontre de personnalités différentes individuelles, la mise en réseau d‘individualités au sein d‘une communauté apprenante. On se trouve dans une dynamique de la rencontre, une approche interculturelle basée sur le dialogue par l‘action. (Springer, 2009 : 519) Ce cadrage théorique de l‘interculturel et de ses transpositions en didactique des langues et celle du FLE nous permet de réaffirmer la nécessaire « mise en place de rencontres et de contacts entre des personnes différentes qui peuvent constituer un véritable dialogue interculturel » (Springer, 2009 : 519) dans le cadre d‘expériences réelles où se réalisent des tâches et des projets communs donnant lieu à des interactions entre des porteurs de cultures différentes pour travailler ensemble, négocier, se comprendre, se confronter à la diversité culturelle et s‘accepter, finalité principale de la présente recherche.

II.2. Conscience interculturelle : Finalité