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En dépit de la remise en cause de l‘enseignement de la civilisation, la conception restrictive de la culture comme étant un ensemble de savoirs a prédominé pendant des années dans les pratiques de classe. Cependant, certains auteurs ont tenté d‘apporter des éclairages théoriques concernant la compétence culturelle. Benadava (1982, 1984) insiste sur le fait que langue et civilisation doivent s‘enseigner conjointement et non séparément parce que toute communication revêt des éléments non linguistiques relevant de la civilisation à savoir :

 Les codes, désignés par la suite par, signes ou conventions sémiologiques (les gestes, la prosodie, les icônes, les signes vestimentaires, psychologiques ou d'appartenance sociale) ;

 les informations entendues comme l'ensemble des savoirs ethnographiques minimaux partagées par les membres d'une communauté;

 les règles socio-langagières qui « portent essentiellement sur l'interlocuteur, le lieu et le moment de parole, les sujets qui peuvent ou non être abordés et le type de communication;

 les représentations définies comme « une série d'images d'origine culturelle rattachées au référent» ; puis, expliquées en recourant aux concepts de visions du monde, d'idéologies et de stéréotypes.

Cette classification démontre l‘attachement au concept de civilisation qui s‘est peu à peu transformée en compétence culturelle. Celle-ci ne fait qu‘une apparition fugace lorsque Courtillon (1984) a suggéré la construction d‘une compétence à visée culturelle par le truchement d‘un enseignement portant sur des contenus culturels. Les faits de civilisation proposés par l‘auteur sont :

 les faits sociaux : la manière de vivre ensemble ;

 les faits idéologiques : les croyances et modes de pensée ;

 les faits esthétiques : les formes et réalisations artistiques. (1984 : 52)

 L‘approche proposée par Courtillon visait essentiellement à sensibiliser les apprenants à travers des contenus portant sur :

 [les] comportements de la vie quotidienne [...] ;

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 [les] habitudes de consommation de biens [...] ;

 [les] valeurs ;

 [l'] esthétique : poésie, chanson, cinéma, littérature, peinture, architecture... ;

 [les] attitudes face à la communication [...] : publicité, presse orale, écrite, télévision;

 [les] attitudes face aux grands mythes [...]. » (1984: 56)

A partir des faits de civilisations énumérés par l‘auteur et les contenus qu‘elle a suggérés, il est frappant de constater qu‘une relation étroite existe entre tous ces éléments, et qu‘il s‘avère compliqué de rendre plus clair les rapports qu‘ils entretiennent entre eux.

C‘est sur la compétence culturelle et la conception de l‘enseignement de la civilisation que Porcher a centré ses réflexions. Sa vision des contenus d‘enseignement tourne autour de la culture cultivée, la culture anthropologique et les emblèmes et stéréotypes du pays cible (1982 : 45). En tentant de définir la compétence culturelle, il recourt à des concepts empruntés à Bourdieu tels que l‘habitus, repris par Porcher comme étant « [la] grammaire générative de nos comportements culturels » (1986 : 35). Différentes capacités, peuvent selon lui, constituer la compétence culturelle à savoir :

 « La connaissance des objets du champ » (objets de type anthropologique ou relevant de la culture cultivée) ;

 « La connaissance des discours », également appelés « énoncés », qui sont supposés être partagés par les membres de la communauté et faire l'objet « d'un consensus sémantique » ;

 « La connaissance des positions dans le champ » renvoyant aux acteurs du champ, à leurs statuts, à leurs rôles et à leurs relations régies par des normes sociales ;

 « La connaissance des enjeux » des activités humaines, ces enjeux concernent les pratiques culturelles légitimes ou non ;

 « La connaissance structurale du champ », dont la maîtrise implique une parfaite coordination des relations entre les quatre composantes précédentes.

L‘aspect sociologique de la proposition de Porcher instaure des différences par rapport aux approches précédemment présentées. Mis à part le problème des contenus correspondant à ces connaissances et leur mode d‘assimilation qui a été évoqué par Louis (2009 : 62), ce dernier considère que :

27 L'intérêt principal de cette approche sociologique de la compétence culturelle repose essentiellement sur ce qui ressemble à une énorme intuition, à savoir, que toute communication réussie suppose la parfaite coordination (« la connaissance structurale du champ ») de paramètres tels que la connaissance des enjeux de l'interaction, la maîtrise des rôles respectifs des différents interlocuteurs ainsi que des normes sociales et des rites langagiers ». Ce sont là justement des éléments parmi d'autres que la linguistique interactionniste et l'ethnographie de la communication proposent de prendre en compte.

Loin de faire consensus, la compétence communicative a fait l‘objet de diverses réflexions s‘inscrivant chacune dans une discipline ou domaine particuliers. Les contributions des uns et des autres n‘ont fait que raffiner sa définition en y ajoutant des composantes. Pour Boyer (1995 : 43-44), la compétence ethnosocioculturelle s‘avère être une partie intégrante de la compétence communicative, il la définit comme étant : « Un ensemble composite de traits constitutifs d'imaginaires collectifs […] l'imaginaire patrimonial, [les] traits d'identité collective, [les] représentations du vécu communautaire [et les] imaginaires instables ».

L‘auteur répartit ces traits constitutifs d‘imaginaires collectifs en :

 L'imaginaire patrimonial regroupant les représentations particulièrement stables de la francité à savoir les grands mythes historiques et culturels nationaux : icones culturelles, grands événements, mémoriaux, grandes œuvres et grands auteurs.

 Les traits d'identité collective qu'il s'agisse de groupes de mots, de devises ou de slogans et d'une manière générale ce que Robert Galisson appelle les "Mots à Charge Culturelle Partagée".

 Les représentations du vécu communautaire : de l'argent, de la famille, du travail, du corps, des conflits, les représentations spécifiquement interculturelles, celles qui ont trait aux autres peuples.

 Les imaginaires instables: ce qu'on appelle communément "l'air du temps", les

"mythologies du présent" chères à Barthes. (Boyer, 1995 : 43-44)

La compétence ethnosocioculturelle telle qu‘expliquée par Boyer s‘avère englobante des différents traits relatifs à la culture cultivée, à la culture anthropologique et aux faits de langue, etc.

Ce survol des différentes visions de l‘enseignement de la culture et de la compétence culturelle présente l‘évolution de la conception de la culture en classe de langue qui rompt petit à petit avec l‘approche civilisationnelle. Chacun des auteurs auxquels nous nous sommes référés ci-dessus, a insisté sur un aspect particulier sans s‘éloigner des

28 propositions faites par ses confrères. Si Benadava accorde une importance particulière au rôle du consensus sémiologique dans la compétence culturelle, Porcher (1986) insiste sur la connaissance structurale du champ alors que d‘autres privilégient l‘intérêt des règles sociales et normes d‘interactions, de la culture cultivée, de la culture quotidienne comme clés d‘accès à la compréhension de la culture cible. Malgré les diverses appellations attribuées à certains éléments de la compétence culturelle ou aux contenus d‘enseignement de la culture, une certaine complémentarité s‘établit entre ces contributions. Louis (2009 : 68) a tenté de procéder à des regroupements et à synthétiser ces réflexions sous la forme d‘un triptyque regroupant :

 La culture qui désigne : « à la fois la culture dite cultivée et savante correspondant aux savoirs dispensés par les sciences humaines : histoire, géographie, histoires de l'art et de la littérature, sociologie, anthropologie, ethnologie qui recoupent grosso modo le champ du civilisationnel » ;

 L'ethnosocioculturel (Boyer, 1995), qui intègre les emblèmes, les mythes, l'imaginaire de référence, les valeurs collectives, etc. ;

 Le socioculturel, qui relève des règles socioculturelles et des normes conversationnelles.

Progressivement, les contenus culturels à caractère anthropologique gagnent plus de terrain par rapport aux contenus civilisationnels en dépit de la confusion qui caractérise certaines définitions. Toutefois, la rupture avec l‘enseignement de la civilisation touche aussi le mode d‘élaboration d'appropriation de ces contenus par les apprenants dont les carences résident dans leur élaboration et présentation sous forme de synthèses rédigées par le professeur, leur délimitation et transposition didactique. Ce problème est évoqué par Porcher selon lequel « [une] présentation de synthèse risque davantage qu'une autre de faire naître des stéréotypes puisqu'elle se situe nécessairement au niveau des généralisations. » (1986 : 104)

La perspective de l‘enseignement du FLE s‘oriente désormais de la focalisation sur les connaissances culturelles qui place l‘apprenant dans une attitude réceptive et passive réduisant ses capacités d‘interprétation et de construction de savoirs, vers une visée culturelle axée non pas sur les connaissances mais sur la démarche qui permet de les découvrir et de les appréhender. Cottenet-Hage (1992 : 66) explique cette transition en disant que nous « déplacions l'accent dans notre enseignement de la culture des contenus

29 sur le processus qui permet (a permis) de les acquérir. ». De ce fait, la capacité interprétative qui semble être le noyau de l‘apprentissage culturel, est envisagée différemment selon les spécialistes (Besse, Beacco, Courtilllon, Porcher, etc.). Tout en s‘accordant sur le fait d‘exposer les apprenants à des documents traitant de phénomènes culturels puis les inciter à formuler des hypothèses interprétatives, ils suggèrent soit de les laisser seuls juges de la pertinence de leurs hypothèses et de confronter leurs analyses, soit d‘ élaborer des systèmes de repérages et de classement leur permettant « de s'orienter dans les pratiques culturelles françaises, c'est-à-dire de les identifier, d'en saisir les lois de fonctionnement, de se situer et de comprendre les évolutions.» (Porcher, 1986 : 133).

L‘objectif ultime de ces approches est, selon Besse, d‘amener les apprenants à faire des tris, à savoir distinguer prendre conscience de leurs « cribles culturels » où les connaissances construites finissent par constituer « un système de rangement » (Porcher, 1986: 139) ou un « système de références » (Collès, 1998: 30).

À la lumière des réflexions des auteurs des années 70-90, l‘interdépendance des liens entre langue et culture semble s‘affirmer, d‘où l‘accent mis sur sa didactisation et sur l‘élaboration de la compétence culturelle. Néanmoins, les contenus culturels privilégiés relèvent plus de la culture anthropologique que de la culture cultivée et cessent, en effet, d‘être conçus comme la finalité majeure de l‘enseignement culturel. Les tentatives de dresser les contours de la compétence culturelle redéfinissent le contenu même de la culture en prônant une culture socio-anthropologique relevant du quotidien et qui puisse compléter l‘approche civilisationnelle tout en intégrant une composante cruciale, celle des

« représentations », et un aspect ethno et socioculturel relatif aux rites d‘interaction et aux normes sociolinguistiques. Puren (2009) retrace l‘historique des configurations didactiques depuis le 19ème siècle pour aborder l‘évolution de la compétence culturelle dans chacune des méthodologies.

La première configuration didactique est celle de la méthodologie traditionnelle où il était question de former des apprenants capables de continuer à se replonger dans les valeurs universelle à travers la lecture des textes littéraires des grands classiques. Par le biais de la lecture et traduction, les apprenants sont invités à déceler les valeurs universelles véhiculées par ces textes, ce qui développe leur compétence transculturelle.

Le basculement au début du 20ème siècle vers les méthodes directes et actives a connu un nouvel objectif social de référence, celui d‘amener les apprenants à découvrir les

30 particularismes culturels à travers des documents authentiques destinés à être lus et commentés, ce qui leur permettra de développer une compétence métaculturelle. L‘objectif est de mobiliser les connaissances culturelles des apprenants et d‘extraire des textes étudiés les éléments culturels, d‘en parler afin de lier compétence langagière et compétence métaculturelle

Les textes ont été choisis pour leur contenu culturel ou documentaire, pour leur valeur représentative, […], on a retenu [les textes] qui semblaient les plus riches d‘implications diverses et d‘interrogations latentes, ceux qui ont paru les plus propres à éveiller la curiosité et à susciter le commentaire dialogué. (Duviol et al, 1983 : 303) Cependant, la seule lecture et étude des textes littéraires ne garantit pas à l‘apprenant de la langue étrangère cette découverte de l‘autre car cela nécessite une rencontre réelle qui mettra en pratique ces compétences culturelles. Cet extrait de Zàrate est représentatif de la rupture avec les méthodes directes pour passer aux méthodes audiovisuelles et à l‘approche communicative où il s‘agit de préparer les apprenants à une rencontre interculturelle.

L‘exercice de civilisation ne peut se réduire à l‘étude de documents, ou à la compréhension de textes. Cette définition minimale n‘est opératoire que dans un cadre strictement scolaire. Ce qui est proposé, c‘est de mettre en place des compétences qui permettront de résoudre les dysfonctionnements inhérents aux situations où l‘individu s‘implique dans une relation vécue avec l‘étranger et découvre ainsi des aspects de son identité qu‘il n‘avait pas encore eu l‘occasion d‘explorer : sa qualité d‘étranger qui lui est renvoyée par le regard de l‘autre, les particularismes de ses pratiques qui lui étaient jusque là apparues comme des évidences indiscutables. (1993 : 128)

Selon Puren (2009), une sorte de fusion s‘est opérée entre les approches communicative et interculturelle qui allient ensemble l‘objectif linguistique et culturel. L‘intérêt s‘oriente du métaculturel de la recherche et l‘assimilation des connaissances à l‘interculturel et précisément aux représentations. C‘est dans la troisième configuration didactique qu‘il est question de la découverte culturelle qui consistera à travailler sur les représentations des apprenants afin de les amener à une prise de conscience culturelle ou interculturelle. Cette dernière, selon les propos Tomalin et Stempleski (1993) passe par la conscience d‘avoir soi-même un comportement déterminé par sa culture ; la conscience que les autres ont également un comportement déterminé par leur culture et la capacité d‘expliciter son propre point de vue culturel.

De là, se fait remarquer la centration sur la communication entre porteurs de cultures différentes. Ce sont les compétences développées qui permettent leur mise en œuvre en situation de communication interculturelle, cela fait également la liaison entre le linguistique et l‘interculturel. Dans cette optique, il n‘est plus question de parler sur de

31 documents authentiques mais de préparer les apprenants à parler avec des natifs. Toutefois la situation scolaire ne permet que des simulations accompagnées d‘un agir sur l‘autre sous forme d‘actes de paroles. Avec cette approche, l‘enseignement de la civilisation était abandonné au profit d‘une découverte, d‘une sensibilisation ou d‘une initiation culturelle ou interculturelle.

La configuration didactique prônant la compétence interculturelle connait plusieurs orientations, celle des stéréotypes (Caine et Briane, 1996) dont le principe est que les stéréotypes représentent une barrière qui empêche les apprenants d‘appréhender la culture cible. Pour s‘en défaire, les apprenants doivent être confrontés à des textes authentiques représentatifs de cette culture, leur fournissant des connaissances sur la réalité culturelle de l‘autre. Force est de constater que dans ce cas, la troisième configuration (interculturelle) se lie à la deuxième qui est métaculturelle où la compétence interculturelle, en termes de relativisation et de surpassement des stéréotypes, passe par les connaissances. Toutefois, le problème du contact persiste malgré les tentatives de renouveler le regard sur cette compétence. Le document authentique reste le médiateur par lequel l‘apprenant accède à cette culture et développe la compétence visée. Une deuxième orientation caractérisant la perspective interculturelle, est celle des représentations (Zarate, 1993) où il s‘agit de reconsidérer les représentations de soi et de l‘autre, d‘envisager l‘utilisation systématique des profils culturels des divers apprenants, en particulier ceux qui ont eu des contacts avec l‘altérité et qui ont été confrontés à des schémas interculturels, de mettre l‘accent sur les interprétations et les réactions des apprenants sur les documents authentiques, d‘insister sur une démarche comparative en privilégiant des documents nécessitant interprétation. La troisième orientation, à caractère intersubjectif, est défendue par Abdallah-Pretceille (1996) qui valorise une compétence interculturelle basée sur « une mise en perspective situationnelle, intersubjective et dialogique » (1996: 36). C‘est le sujet qui est porteur de la culture et c‘est lui qui l‘utilise en situation de communication et détermine son usage de la culture dans les actions langagières et non langagières. L‘objectif est de développer une conscience culturelle à la diversité du fait de la multiplication dans les milieux professionnels des groupes multiculturels avec lesquels il est important de cohabiter. Pour y parvenir, l‘approche adoptée se base sur des activités menant en premier lieu à la réflexion sur la culture des apprenants pour passer à une découverte des autres cultures et c‘est à ce moment là que l‘apprentissage langagier s‘opère à travers le culturel.

32 L‘évolution de l‘approche interculturelle nous amène à la quatrième configuration didactique décrite par Puren (2009), où domine une composante pluriculturelle. Il s‘agit dans le cas de cette approche de développer une compétence plurilingue et pluriculturelle permettant la cohabitation et le vivre ensemble qui mettent en œuvre les comportements des locuteurs. Dans cette configuration, les tâches langagières sont remises au service de la finalité culturelle à travers l‘activité de médiation. C‘est la médiation qui devient désormais une compétence clé à explorer.

La dernière configuration didactique illustrée par Puren (2009) est l‘approche actionnelle préconisée par le CECR (2001). Les objectifs visés par cette approche sont de former des acteurs sociaux d‘où la distinction entre usager et apprenant par rapport à la transition entre l‘approche communicative et la nouvelle perspective. Les actes de parole auront comme cadre contextuel des tâches sociales significatives pour les apprenants/usagers. La nouvelle situation didactique vise non seulement la cohabitation entre les individus porteurs de cultures différentes mais la réalisation de projets communs à travers une compétence co-culturelle. Une co-culture est envisagée comme l‘ensemble des conceptions partagées par les apprenants/usagers dans le cadre de leurs actions communes. Dans cet ordre d‘idées

« la problématique de l‘interculturel, dès le moment où le contact est pensé sur les modes duratif et collectif, se transforme en problématique du co-culturel » (Puren, 2008)

33 Objectif social de référence Agir d’usage

de référence

Evolution de la compétence culturelle en didactique des langues (Puren : 2009)