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des langues et des cultures

III.2. Redéfinition du lien social avec les environnements virtuels

III.2.1. Les visées communautaires

III.2.1.2. Communauté et espaces virtuels

Les communautés s‘organisent sous formes d‘entités sociales constituées de membres ayant des finalités communes qui les engagent dans un processus coopératif indispensable pour la réalisation de tâches et l‘échange d‘informations. Wellman (1997), considère que les traits caractérisant une communauté virtuelle sont le sentiment d‘appartenance qui est à la fois fondé sur un lien « affectif » et un engagement volontaire. Pour l‘auteur, la communauté virtuelle se définit comme la résultante d'un intérêt commun ponctuel entre des individus autonomes en situation d'interaction. Quant à Rheingold (1993), il définit les communautés virtuelles comme suit :

Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace.

Revêtant plusieurs aspects, les communautés virtuelles peuvent être réparties selon les objectifs assignés aux différentes organisations sociales et leur mode d‘agissement.

Dillenbourg et al (2003) distinguent entre divers exemples de communautés à savoir : 1. Les communautés d’intérêt : ce sont des groupements d‘individus qui peuvent se

retrouver sur internet ou ailleurs -car cela peut s‘appliquer sur les communautés qui ne sont pas virtuelles-, ces membres partagent certains soucis comme la santé. La constitution d‘une communauté, dans ce cas, émane du fait qu‘il soit indispensable aux membres de partager, d‘interpréter et de comprendre leurs expériences personnelles à travers la comparaison dans le but de trouver des solutions pratiques.

Les différentes interactions leurs permettent de se transmettre des informations utiles. Ces communautés sont généralement dirigées par des « experts » et non par des spécialistes.

2. Les communautés de pratique : le critère principal selon lequel se constitue une communauté de pratique est celui de partager des expertises. Les membres appartiennent soit à la même ou à plusieurs organisations mais interagissent en

160 dehors du cadre de leur organisme d‘affiliation. L‘objectif est généralement de réunir des informations et de résoudre des problèmes.

3. Les communautés d’apprentissage : leurs membres s‘organisent pour des fins académiques tout en sauvegardant l‘aspect social de leurs relations. L‘objectif étant d‘échanger des connaissances sur leur thème d‘étude à travers les expériences de chacun.

N‘étant pas exhaustive, cette typologie dresse les caractéristiques majeures de chacune des communautés sus-citées. Chacune se démarque de l‘autre en fonction des objectifs des membres, de sa longévité et les relations qu‘entretiennent les membres entre eux. La communauté d‘intérêt se forme à partir d‘une proximité propre à l‘interaction, qu‘elle soit idéologique, géographique, mais qui implique un intérêt commun au groupe. Quant aux communautés de pratique, le principe étant de réaliser une tâche commune, les membres y adhèrent en répondant à des critères précis leur permettant de s‘entraider, d‘apprendre et de trouver des solutions à des problèmes. Certains auteurs comme John Seely Brown, Etienne Wenger et Jane Lave tout comme Davenport et Prusak (1997, 1998) abordent la question de l‘ « apprentissage situé » tout en mettant l‘accent sur l‘importance du savoir tacite dans ce contexte d‘apprentissage. Pour ces auteurs, le rôle d‘une organisation apparait dans sa capacité à constituer un réseau autour duquel les membres qui partagent une pratique donnée, produisent et échangent des informations nécessaires à la résolution de problèmes.

Il en ressort l‘importance de la collectivité dans la construction du savoir. Dans cette perspective, Wenger insiste sur le partage de problèmes ou de passions permettant aux membres des communautés de pratique de mettre en œuvre leurs savoir et savoir-faire à travers les interactions: « communities of practice are groups of people who share a concern, a set of problems, or apassion about a topic, and who deepen theirknowledge and expertise in this area by interacting on an ongoing basis10 ». (Wenger, McDermott, &

Snyder, 2002 : 04).

La valorisation de la dimension sociale de l‘apprentissage en contexte de pratique collective tel est le cas des communautés de pratique oriente la réflexion de Wenger vers l‘approche interactionniste et notamment les travaux de Karl Weick (1995) et ainsi s‘atteler à étudier l‘aspect social des actions. Wenger (1998) traite du rôle de la pratique dans la

10 Traduction : « « les Communautés de pratique sont des groupes de personnes qui partagent une préoccupation, un ensemble de problèmes ou une passion sur un sujet, et qui approfondissent leurs connaissances et leur expertise dans ce domaine en interagissant de façon permanente».

161 structuration et la cohérence du groupe et dans la constitution de la communauté, Trois dimensions voire critères sont mis en exergue par l‘auteur à savoir :

1. L’engagement mutuel : l‘auteur insiste sur cet engagement étant donné que l‘adhésion à une communauté en est tributaire, il se manifeste dans l‘attitude d‘entraide et de partage de connaissance.

2. Une entreprise commune : qui suppose une prise de responsabilités mutuelle entre les membres à travers la négociation des tâches, ce qui représente le résultat de l‘engagement mutuel.

3. Un répertoire partagé : qui regroupe l‘ensemble de ressources partagées par les membres de la communauté et qui est nécessaire à sa pratique. Il recouvre, en plus des supports physiques, des concepts que la communauté a crées et adoptés tout au long de son existence.

En précisant les constituants de la communauté de pratique, Wenger (1998) insiste sur son caractère informel et sur le fait que les différentes interactions sont imprévisibles et échappent au contrôle qui peut tuer une communauté s‘il se manifeste sous forme de supervision, d‘exigence de résultat et d‘orientation du développement.

Par ailleurs, la communauté d‘apprentissage implique une configuration déterminée se basant sur les habiletés des membres, le temps alloué au processus d‘apprentissage et sur les moyens disponibles. Grégoire donne à la communauté d‘apprentissage la définition suivante : « un groupe d'élèves et au moins un éducateur qui, durant un certain temps et animés par une vision et une volonté communes, poursuivent la maîtrise de connaissances, d'habiletés ou d'attitudes. » (1998)

Les communautés d'apprentissage se définissent par rapport à trois conditions : une vision commune, une volonté commune et du temps. La première condition concerne les valeurs et les principes qui guident les interactions et le degré d‘implication des membres car la constitution de la communauté repose sur la possibilité d‘atteindre l‘objectif assigné au préalable et qui donne sens aux différents échanges. Pour ce faire, le temps constitue un facteur important pour le fonctionnement de la communauté, c‘est la raison pour laquelle une importance particulière lui est accordée.

Mis à part les différences qui spécifient certaines communautés, il existe certaines caractéristiques générales communes aux communautés que Dillenbourg et al (2003) expliquent comme suit :

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 Interdépendance et implication : l‘intérêt et le but communs constituent les pièces maitresses d‘une communauté étant donné qu‘ils contribuent à la motivation des étudiants au partage des connaissances et la résolution des problèmes. La collectivité est indispensable, pour les membres, afin d‘atteindre les finalités escomptées, ce qui fait que certains membres d‘une communauté consacrent un temps important à participer aux tâches et à interagir avec les autres membres dans le but de leur rendre service.

Cette implication est liée à la motivation des membres et son degré diffère en fonction de plusieurs facteurs. Le concepteur de l‘environnement virtuel ne peut pas toujours contrôler le degré de la motivation ni celui de l‘implication des participants. Kim (2000), cité par Dillenbourg et al, propose, pour créer cette motivation ce qui suit : « La raison d‘être de votre communauté va évoluer, mais il est nécessaire de partir de quelque part. […] Comme point de départ, essayez d‘identifier un besoin permanent et non-satisfait que vos membres ont en commun et auquel votre communauté serait la plus à même de répondre » (Kim, 2000 : 3)

 Micro-Culture : l‘expérience que sont censés vivre les membres de la communauté dans un environnement virtuel, fait en sorte que des relations s‘instaurent entre les membres et une identité particulière se construise et dont les indices oscillent entre valeurs et pratiques, règles conversationnelles et de comportement, etc. Cette identité commune contribue à la réalisation de l‘objectif de la communauté car, celle-ci ne se limite pas à la construction et l‘échange de connaissances mais elle représente un espace où des interactions entre les membres favorisent l‘émergence et l‘instauration d‘une culture particulière et d‘une identité commune.

 Organisation sociale : les entités sociales que sont les communautés se structurent en noyau et périphéries, cette structuration se définit par rapport aux attitudes et aux activités des membres. Il s‘agit de l‘implication de certains membres qui se révèle dans le nombre de messages qu‘ils ont postés ou lus. Cette idée ne peut être généralisée en raison de l‘influence sociale que peuvent avoir des messages d‘un membre qui poste peu. Dans ce cas, les messages les plus influents se mesurent par le nombre de lectures qu‘ils ont eu. Cette organisation en noyau (les membres les plus impliqués et influents) et en périphérie (les moins impliqués et influents) peut avoir la forme de changements de rôles ou de privilèges et récompenses dans certains environnements attribués à certains membres actifs.

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 Sélection spontanée et croissance organique : pour acquérir le statut de membres, les individus appartenant à la communauté sont tenus de participer aux échanges et tâches prévus pour le projet à réaliser. Dans le cas d‘une communauté formelle, la sélection des membres se fait en fonction de leur intérêt et compétences vis-à-vis de l‘objet des échanges et l‘objectif de la communauté. Quant aux communautés informelles, le choix d‘appartenir à une communauté émane aussi de l‘expérience et de l‘intérêt que partage l‘individu avec cette communauté. C‘est l‘intégration progressive des différents membres et la constitution d‘une micro culture qui définissent réellement une communauté où les membres migrent petit à petit de la périphérie au centre. Ce changement de situation peut se traduire par l‘attribution de rôles explicites ou implicites.

 Longévité : contrairement à la communauté formelle, la communauté informelle se construit pour durer car sa longévité permet à l‘identité du groupe de s‘édifier et de la microculture d‘émerger. Cette durée de vie dépend des objectifs des communautés formulés en termes d‘intérêts, d‘apprentissage et de pratique et du temps alloué à leur réalisation bien que certaines communautés puissent continuer à exister parce que leurs objectifs ont évolué comme le souligne Kim (2000 : 03) cité par Dillenbourg et al (2003) « Les communautés qui réussissent sont celles qui évoluent pour suivre le rythme de leurs membres »

La vie d‘une communauté peut traverser des moments de cohésion, de croissance ou de ralenti jusqu‘à ce que les finalités soient atteintes. A partir de ce moment, la communauté peut se dissoudre ou continuer à exister tout en ayant l‘apparence d‘un groupe d‘amis.

Les membres de la communauté se réunissent dans un espace qui diffère selon le fait qu‘elle soit virtuelle ou co-présente. Cet espace commun lui est indispensable pour rendre possibles les interactions et le partage d‘informations et servir de contexte communicationnel.

Afin de repérer les indices de la constitution d‘une communauté, il s‘avère primordial d‘analyser les échanges en ligne qui recèlent les marques de son existence. Pour définir les jalons de l‘analyse des échanges, Hert confirme que « puisque l‘existence du sens de la communauté reste problématique dans le cas des (injustement dénommées ?) communautés sur Internet […], il faut bien alors que les individus construisent à travers leur écriture des indices témoignant de l‘existence de cette communauté. » (Hert, 1999) cité par (Mangenot, 2002a : 2)

164 Dans son article « Computer-Mediated Discourse Analysis: An Approach to Researching Online Behavior » (Herring, 2004), l‘auteur détermine les caractéristiques d‘une communauté virtuelle en y présentant des pistes méthodologiques pour l‘analyse de la CMO. Herring rejoint la vision de Wellman concernant les spécificités de la communauté à savoir «sociabilité, soutien et identité » (Wellman, 2001) cité par (Herring, 2004 : 18).

En se référant aux recherches relatives à la notion de communauté virtuelle et aux critères de sa formation, Herring (2004), dénombre les critères à travers lesquels il serait possible d‘identifier une communauté et qui sont :

1. active, self-sustaining participation; a core of regular participants11 : ce critère est relatif à la fréquence de la participation des membres de la communauté aux interactions, cela peut se mesurer par le nombre de messages postés et les réponses qu‘ont eues les différents messages.

2. Shared history, purpose, culture, norms and values12 : l‘existence d‘une communauté virtuelle se lie à l‘émergence d‘une histoire commune autour de buts et d‘intérêts communs. Au sein de ce groupe se crée une culture qui se repère à travers l‘usage d‘un code particulier (abréviations, jargon, registre, dialecte, etc.). A cela s‘ajoutent les normes et valeurs qui surgissent pour gérer des conflits et réagir à des conduites inappropriées.

3. solidarity, support, reciprocity13 : Pour qu‘une communauté puisse se former, il importe qu‘il y ait des liens de solidarité, de soutien et une influence réciproque entre les membres. La solidarité peut se mesurer à travers le recours à l‘humour verbal selon (Baym 1995), le soutien, à travers la centration sur les actes du langage et la politesse positive (Herring, 2004) tandis que la réciprocité, elle peut être repérée en analysant les actes incitatifs et réactifs (Rafaeli etSudweeks, 1997).

4. criticism, conflict, means of conflict resolution14 : La résolution des conflits est une marque importante de la constitution communautaire, c‘est par l‘entremise de l‘analyse ethnographique et la focalisation sur les actes de paroles et sur la violation de la politesse positive que l‘apparition et la gestion des conflits pourraient être décelées.

11 participation active et autonome ; un ensemble de participants réguliers

12 une histoire partagée, culture, normes et valeurs,

13 solidarité, empathie, réciprocité

14 esprit critique, conflit, moyens pour résoudre les conflits

165 5. self-awareness of group as an entity distinct from other groups15 : la conscience du

groupe se manifeste dans le discours des membres par l‘usage du nous/ eux. Se référer, dans les échanges, au groupe révèle le sentiment d‘appartenance à la communauté.

6. emergence of roles, hierarchy, governance, rituals16 : Une communauté se caractérise par une attribution de rôles aux membres, par l‘instauration de règles de gouvernance, et des rituels gérant le déroulement des tâches au sein de la communauté.

Dans la même perspective, Baym (1998), Erickson (1997), Kollock et Smith (1996) insistent de leurs cotés, sur les caractéristiques fondamentales d‘une communauté virtuelle en précisant l‘importance du sentiment d‘appartenance des membres qui participent à une construction de leurs identités dans ladite communauté. Cela n‘est possible sans les rapports qu‘entretiennent les membres entre eux à travers les échanges et un engagement réciproque à atteindre une finalité commune tout en partageant des valeurs propres à la communauté. L‘interactivité des membres et la durée des échanges feront en sorte qu‘une histoire commune se construise, que des règles de conduites s‘instaurent et que des mécanismes de résolution de conflits apparaissent.

Les réflexions exposées ci-dessus nous permettent de faire non seulement un rapprochement entre les visions des auteurs mais aussi de nous référer à l‘article de Granovetter (1993 : 06) dans lequel la notion de communauté a été explicitée dans une perspective sociologique où il est possible de retrouver les caractéristiques de la communauté virtuelle évoquées par les auteurs suscités et de transposer sa conception sociologique de la communauté dans le domaine des environnements virtuels. Granovetter s‘est attelé à étudier la notion de relation sociale qui peut s‘établir entre les membres de la communauté. Il a dénombré quatre facteurs principaux qui sont la durée de la relation, l‘attachement et l‘implication émotive, le niveau d‘intimité, l‘ampleur de la réciprocité.

Pour le premier facteur qu‘est la durée, l‘auteur insiste sur l‘importance de la durée dans l‘élaboration d‘une relation sociale. Quant au second facteur, il se rapporte au degré d‘implication et d‘engagement des membres dans les tâches que la communauté s‘est assignées. Cet attachement mène à un fort engagement que l‘auteur décrit par « intimité ».

En ce qui concerne la réciprocité, elle consiste en un bénéfice mutuel que les membres tirent de la relation sociale qui s‘est établit entre eux dans la communauté.

15 conscience de constituer un groupe distinct des autres

16 émergence de rôles, hiérarchie, directivité, rites

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