• Aucun résultat trouvé

Jusqu’alors, les contextes locaux étaient peu envisagés dans la définition de la pauvreté. De même, les projets de développement ont longtemps été dominés par des pratiques «

top-down » assez loin des réalités du terrain. Ainsi, une des nouvelles missions de la Banque

mondiale, totalement investie par les agents de l’institution rencontrés à Jakarta, est la promotion de la citoyenneté par le gouvernement local et régional, grâce au soutien à la création d’une société civile.

Aujourd'hui, le modèle de la participation des populations concernées s'est imposé dans les pratiques des actions pour la réduction de la pauvreté. Conceptualisés depuis les années soixante et soixante-dix, ce n’est que depuis les années 2000 que les projets de développement s’inscrivent dans cette approche participative. Dans le cas de l'Indonésie, l’action de la Banque mondiale est désormais concentrée sur la construction d'une « société civile en cherchant à faire émerger un meilleur management au niveau de la communauté ». C'est un renversement total des pratiques jusqu'alors mises en œuvre, promouvant l'idée que les politiques de développement les plus pertinentes pourraient être élaborées d'« en bas », à l'échelle de la communauté (Community development). L’objectif est « au moins, d’apporter une meilleure

situation aux pauvres » (d’après le responsable du programme à Jakarta) en s’appuyant sur de

nouvelles méthodes telles que le self survey, le poverty mapping et l’élaboration de community

development plans grâce à la mise en place d’institutions locales (avec des élections).

Ces nouvelles pratiques témoignent de la prise de conscience par les instances internationales que toutes les réponses efficaces ne peuvent être élaborées par leurs agents dans les bureaux éloignés des contextes locaux et de la nécessité d’intégrer les perceptions et analyses

des personnes affectées par les projets de développement35. Ainsi, l’objectif est que les populations définissent donc elles-mêmes ce qu’est la pauvreté dans leur contexte local et qui sont les personnes exposées au sein de leur communauté. Ces nouvelles pratiques semblent aller – au moins dans les principes – dans le sens de la justice.

La Banque mondiale agit donc à une échelle réduite : le responsable du programme urbain regrette de constater leur faible influence sur les macro-politiques du gouvernement indonésien et en particulier sur les modalités de l'aménagement de la ville (cf. parties 2 et 3). La position de l’institution par rapport au gouvernement a changé : alors qu’auparavant la Banque distribuait des prêts pour la réalisation d’un projet déterminé par ses propres structures, aujourd’hui, leur aide est principalement concentrée sur du refinancement : « le gouvernement

fait ce qu’il veut faire et nous le soutenons : nous assistons pour les aider dans leurs idées et pour les faire penser aux plus pauvres ; ensuite, on leur donne l’argent ». Selon la demande du

gouvernement indonésien, les opérations de la Banque mondiale sont divisées en six prêts pour des programmes annuels, mettant en œuvre un même mécanisme pour 9 000 kelurahan (ou arrondissements - sur les 13 000 existants environ en Indonésie).

Ainsi, entre le discours porté par l’institution globale par le biais de ses rapports et les propos des agents rencontrés, on peut identifier que la Banque mondiale participe à la mise en œuvre d’un « développement à deux vitesses mais qui repose implicitement sur des principes et des

conceptions d’un espace politique également à deux vitesses. Aux sites de croissance le modèle capitaliste, individualiste et de la citoyenneté locale/globale, aux périphéries le modèle communautaire et le primat des appartenances collectives (Agrawal & Gibson, 1999 ; Olivier de Sardan, 2000 ; Bierschenk et alii, 2000) » (Giraut, 2009, p. 3). Si le système fonctionne de manière

idéale, la concentration de richesses suffisantes permettrait une redistribution plus large des effets de la croissance, à destination des plus pauvres (Davezies, 2015)… Reste que cette articulation entre les deux échelles n’est pas formulée.

Les Nations unies en quête d’équité

La pauvreté (ou sa réduction) apparaît comme un enjeu primordial pour le développement de l’humanité : on peut d’ailleurs relever une évolution du discours international qui, après le « développement »36 a préféré la formule de la « lutte contre la pauvreté ». La mission des grandes instances internationales telles que le PNUD se justifie avant tout par ce second objectif.

35“All persons have the right and the duty to participate individually and collectively in the elaboration and implementation of

policies and programs of their human settlements”. Conférence de Vancouver, 1976, Fondation Habitat. 36 Que l’on peut définir par l’amélioration progressive des conditions de vie du plus grand nombre.

Encadré 2 : La pauvreté au prisme du développement humain

« Le développement humain constitue une aspiration, un idéal. Idéal pour tous. Pour toutes les catégories sociales… ». (PNUD, 1999, p. 27).

La notion de développement humain est déjà présente dans les travaux de François Perroux, pourtant porteur de la théorie économique libérale. Il dénonce ainsi les séparations abusives de l’économique du social et du politique. Le développement y est « une finalité qui devrait être unanimement

acceptée par les responsables de la politique, de l’économie et de la recherche ». Elle s’inscrit surtout dans une

approche multidimensionnelle et ses porteurs s’opposent explicitement à une définition exclusivement quantitative du développement qui ne serait appuyée que sur les revenus. Ainsi, ce sont les individus en tant qu’être sociaux qui doivent au centre de cette approche (Vernières, 2003). Cette concentration sur les conditions de vie des individus remonte aux premiers travaux du Bureau International du Travail (le BIT) qui, entre 1919 et 1943, produit plusieurs études s’intéressant à la pauvreté, reliée aux conditions de travail, à la protection sociale et à l’absence de revenu minimum. En 1990, le BIT émet ainsi une série de profils de pauvreté en identifiant les groupes vulnérables : chômeurs, femmes, actifs du secteur informel, ménages dont les chefs de famille sont salariés agricoles ou non agricoles ou sans travail (Saidi, 2007). Ainsi, l’évolution du phénomène de la pauvreté cherche à être étudiée à l’échelle de l’individu et sous toutes ses composantes : au-delà de la privation matérielle se pose la question de l’emploi et du lien social.

La formalisation d’un lien entre le développement humain et la pauvreté a été réalisée par le PNUD via l’élaboration de définitions et d’indicateurs permettant d’évaluer ces deux phénomènes complexes. C’est à cette fin qu’ont été édifiés les indicateurs tels que :

o l’Indice de Développement Humain qui combine l’estimation du pouvoir d’achat, du niveau d’instruction et de l’espérance de vie grâce notamment aux travaux d’Amartya Sen.

o l’Indice Sexo-spécifique de Développement Humain cherche à identifier les différences de situation et de conditions de vie des hommes et des femmes selon la longévité, l’accès au savoir (taux d’alphabétisation et de scolarisation) et le niveau de vie.

o Indice de Pauvreté Humaine (1 et 2) signale les manques, privations et formes d’exclusion selon le contexte des populations (pays développé ou pays en développement).

Le concept de développement est ainsi redéfini par le PNUD qui propose une approche nouvelle. C’est une « contribution à la mesure et à l’analyse politique du développement humain », en tant que « processus qui conduit à l’élargissement des possibilités offertes à chacun. En principe, elles sont illimitées et peuvent

évoluer avec le temps. Mais quel que soit le stade de développement, elles expliquent que soient réalisées trois conditions essentielles : vivre longtemps et en bonne santé, acquérir un savoir et avoir accès aux ressources nécessaires pour jouir d’un niveau de vie convenable » (PNUD, 1990, p. 10).

La définition de la pauvreté par le PNUD s’appuie sur la notion de développement humain depuis la publication du premier rapport sur cette question en 1990. L’enjeu est de ne pas limiter l’approche à la pauvreté économique (en se démarquant des indicateurs macro-économiques classiques) mais de prendre en compte les conditions de vie, l’éducation et la santé. Le Sommet de Copenhague explicite d’ailleurs les interrelations profondes entre la thématique de la réduction de la pauvreté avec la promotion de l’emploi et le renforcement de l’intégration sociale (UN, 1994).

La province de Jakarta et ses voisines ne font pas partie des choix stratégiques du Programme des Nations unies pour le développement en Indonésie. En effet, cinq régions spécifiques ont été définies pour concentrer les attentions des agents des Nations unies : les régions les plus périphériques, identifiées comme les plus marginalisées (la Papouasie, Nusa Tenggara Barat, Nusa Tenggara Timur ainsi que Aceh et Padang suite au tremblement de terre et

au tsunami de 2004). Même si l’objectif de développement ne peut être réduit à ces cinq provinces, le responsable des actions pour la réduction de la pauvreté au PNUD déclare qu’il ne considère pas Jakarta comme une cible du développement. Malgré ce désintérêt exposé, il me semble nécessaire de revenir sur les cadres de pensée des Nations unies pour plusieurs raisons. D’abord, tout en acceptant que leurs agences ne sont pas des opérateurs, elles ont un véritable rôle de coordination et de diffusion des idées sur la pauvreté et le développement. Par ailleurs, les indicateurs élaborés sont des références tant pour les critères de définition de la pauvreté que pour positionner le pays ou une région par rapport au reste du monde. Enfin, la référence aux objectifs du millénaire pour le développement et leur réalisation sont déterminantes dans les modalités d’évaluation par les administrations (plus à Bekasi qu’à Jakarta d’ailleurs) des politiques en place et de l’évolution de la pauvreté dans la ville.

Le nombre et la diversité des agences37 des Nations unies limitent la possibilité de parler d’une seule conception de la pauvreté. Bien que le système soit fragmenté, les entretiens effectués auprès de trois agences à Jakarta (le PNUD, l’UNICEF et l’UNESCO) outre les rapports publiés me permettront de faire apparaître une approche sensiblement différente de celle de la Banque mondiale. Le programme des Nations unies est souvent identifié comme un cadre de réflexion alternatif à l’échelle internationale par rapport à l’approche structurante des institutions de Bretton Woods (Thérien, 1999). Leurs approches sont souvent mises en parallèle, voire en concurrence. Ainsi, il peut être pertinent d’en identifier les nuances pour comprendre quelle idéologie est portée par telle analyse de la pauvreté ou telle action visant à la réduire.

Les attentions stratégiques portent explicitement sur la question de l’équité38 : favoriser une redistribution à ceux qui ont moins, en prenant en compte dans les programmes la complexité des êtres humains, donc en s’appuyant sur des critères plus qualitatifs39 mais toujours quantifiables.

Le fait est que cette instance internationale a plus comme fonction de donner une direction, de produire des outils d’évaluation dans le cadre du développement humain, qu’à organiser des interventions. Elle est donc fondamentale dans la production de définitions et d’outils permettant d’appréhender la pauvreté. Pourtant, mon interlocuteur au PNUD me signale que, du fait de leur mission en Indonésie, il n’est pas en mesure de saisir et de définir la pauvreté

37 Les agences des Nations unies portent ainsi la conversion du modèle de développement qui, après une décennie de critiques dans les années 1980, s’est écarté d’une seule approche économique en incluant des critères d’inégalité, d’exclusion et d’insécurité (Rapport pour le Millénaire, 2000).

38 L’équité (d’après Rawls, 1971), en tant que notion pour guider les actions publiques, cherche à garantir le plus possible à ceux qui ont le moins notamment via des politiques de discrimination positive.

39 Mais, ce repositionnement conceptuel peut présenter un risque de jugement trop rapide à l’échelle mondiale alors que la précarité extrême, les conditions de vie décentes, la liberté de parole et d’action peuvent recouvrir des réalités fort différentes selon les contextes (François, 2003).

urbaine en tant que telle. Les différentes agences ne mettent en place des programmes qu’en fonction du gouvernement, notamment selon BAPPENAS (le Bureau national de planification et de développement, présenté un peu plus loin). Les Nations unies cherchent à soutenir d’abord en délivrant une assistance technique, puis le financement passe par le budget central, avant d’être redistribué et utilisé au niveau local.

La mission d’orientation que se donnent les Nations unies est synthétisée par les objectifs du millénaire pour le développement.