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Il n’est évidemment pas nouveau de relever la nécessité de la coprésence (largement prouvé en géographie économique, mais aussi souligné comme l’essence même de la définition de la ville par les géographes Michel Lussault et Jacques Lévy). L’importance (matérielle et symbolique) des rencontres et des interactions de visu pour faire émerger un projet ou élaborer

une politique est reconnue. Alors que tous les acteurs relevés ici ont un accès total aux nouvelles technologies de la communication, qui permettrait l’économie des déplacements dans une ville où ils sont reconnus comme compliqués (longs, embouteillés), les actions mises en œuvre pour la réduction de la pauvreté supposent de multiples rencontres entre individus. Ainsi, en s’appuyant sur l’organigramme, l’importance des relations entre les acteurs selon leur rôle dans un projet (initiateurs ou porteurs d’un projet, financeur, décideur, et réalisateur) implique des rencontres régulières ce qui peut participer à justifier leur proximité.

On pourra d’ailleurs s’interroger sur la place des populations ciblées par ces projets et leur place dans l’élaboration de ceux-ci : l’organigramme montre les structures qui ont des liens directs avec les populations considérées comme pauvres (puisqu’elles nécessitent une aide organisée) selon leur statut officiel. Cette question peut être croisée avec le repérage de certains espaces quasiment « inaccessibles » pour ces populations. On peut ainsi relever les lieux de travail des grandes instances internationales, des structures administratives de l’échelle nationale et municipale et de certaines ONG (Mercy Corps ou Habitat for Humanity). En revanche, LBH, Kontras ou PBHI disposent d’espaces d’accueil pour recueillir la parole des personnes leur demandant un soutien. Ainsi, il est nécessaire de remarquer tout ce qui va favoriser ou au contraire limiter ces rencontres concrètes, éléments tout aussi signifiants que la coprésence elle-même. La prise en compte de la dimension spatiale intègre les conditions et les possibilités de « rencontres interpersonnelles (ou impersonnelles) » précise Fabrice Ripoll (2001), qu’elles soient matérielles ou idéelles (ressentir la possibilité de se rendre et d’être reçu à un endroit, par des personnes disposées). Cette carte et cet organigramme permettent donc de pointer l’importance des distances physiques entre agents sociaux, et dans les cadres matériels de leurs actions. Rappelons que :

« Enfin, plutôt que de postuler la liberté des acteurs au nom de cette mobilité, il semble plus raisonnable de souligner l’ambivalence de son statut. Le fait que les êtres humains aient un corps leur permet mais aussi les oblige à se déplacer (ou à pouvoir « faire faire » : à faire se déplacer les autres à sa place). Non seulement la mobilité peut être obligatoire (ou fortement contrainte) ou au contraire interdite (emprisonnements, assignations à résidence, interdictions de territoire, etc.), non seulement les itinéraires et les temps des déplacements sont souvent canalisés ou encadrés (par les infrastructures et rythmes sociaux), mais on sait aussi qu’il existe de grandes inégalités sociales face à la mobilité. D’une part, les distances-coûts comme les distances-temps ne sont pas les mêmes pour tous les budgets. D’autre part, tous les lieux ne se valent pas et ne sont pas également accessibles à tous : certains lieux sont appropriés par des individus ou groupes

sociaux aux dépens des autres, et ce par divers moyens physiques, juridiques, économiques ou encore symboliques, qui leur permettent non seulement de s’en réserver l’usage, mais encore d’en user comme d’une ressource ou d’un capital ».

(Ripoll, 2006, p. 11)

Les acteurs de l’échelle globale

Une partie des acteurs participant à la gestion de la pauvreté sont producteurs de définitions et de politiques spécifiques envers les populations ou les espaces considérés comme pauvres. Au-delà de cette action normative, ces groupes sont aussi en mesure de produire des savoirs, mais aussi des pratiques. Leur échelle d’action internationale leur confère même une fonction normative dans l’émission de « bonnes pratiques » dans les politiques de traitement de la pauvreté, voire de « bonne gouvernance ».

Ainsi, peut-on mettre en évidence un groupe social mondialisé, essentiel dans l’appréhension et la compréhension du phénomène, en particulier à l’échelle mondiale, que l’on peut qualifier dominant puisque normatif dans les approches, les analyses et les actions : il faut s’y conformer. Ce groupe stratégique est désigné par Saskia Sassen de « classe globale ». Bien que les travaux de cette dernière portent sur les villes « globales », quelques métropoles spécifiques de la mondialisation comme espaces privilégiés des rapports entre capital et travail, son approche peut être étendue parfois à d’autres cas, ou plutôt à quelques lieux qui connaissant des dynamiques semblables. Les recherches sur les « lieux de la mondialisation » proposent d’autres entrées comme l’architecture, dont le rôle serait pertinent pour appréhender ces espaces. Ainsi, on peut évoquer ici la mise aux normes globale des métropoles qui s’opère, appuyée sur certains modèles et sur la production de formes spécifiques, telles que les tours (icônes) (Sklair, 2006). Le propos ici va se concentrer sur les acteurs et sur la pertinence de les appréhender comme un groupe stratégique. Les relations entre ces structures (cf. organigramme) mettent en œuvre de nouveaux rapports sociaux observables dans l’espace urbain.

Que ce soit la Banque mondiale, les Nations unies, ou les firmes transnationales (avec mission de service public, comme s’applique à le souligner Suez par exemple) ainsi que certaines ONG internationales, ces structures ont des agents dans la plupart des « grandes villes », dans toutes les villes « globales » et appartiennent à une culture commune. La circulation les élites urbaines entre ces différentes institutions et la conséquence de ces interactions fortes dans la production de représentations et de pratiques est démontré par de nombreuses études, notamment dans la production de modèles urbains ou de politiques urbaines ayant pour fonction de gérer la question de la pauvreté (McCann et Ward, 2011 ; Verdeil, 2005 ; Roy, 2011).