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La définition par cette institution vise à déterminer qui sont les pauvres et pour quelles raisons ils le sont, par l’analyse de leur répartition et des caractéristiques démographiques, socio-économiques, d'emploi et de revenu. L'objectif est de pointer des « déterminants probables » de la pauvreté31. À ceux-là s'ajoutent des types de déterminants structurels tels que les avantages physiques (« asset ») dont les urbains pauvres bénéficieraient moins puisqu'ils ne

30 « Setting poverty line is largely a matter of normative judgment, and the judgments made will depend in part on the aims of

measurement » (Ravaillon, 1998).

disposent que de leur travail alors que dans le monde rural ou en périphérie urbaine, il peut y avoir une petite propriété agricole ou l’accès à un espace annexe en ressource complémentaire (sans omettre des problèmes sérieux tels l'absence de titre de propriété). En revanche, les opportunités sont plus importantes en milieu urbain pour gagner un revenu (ce qui impose de ne pas faire de causalité simpliste entre chômage dans le secteur formel et pauvreté urbaine).

Dans l'ensemble, l'approche dominante par le seuil de pauvreté implique que le phénomène n'est pensé que dans sa dimension absolue. Les pauvres sont vus comme des agrégats statistiques de population et non comme des groupes au sens sociologique du terme. Ainsi Cling pointe que les « personnes âgées, familles marginalisées, et les déciles de revenus

inférieurs constituent des « rassemblements » de pauvres ; ce ne sont pas des structures sociales vivantes avec leurs règles et leurs normes. L’analyse des relations sociales et politiques entre les pauvres et le reste de la population ne peut se faire qu’à travers celles des groupes sociaux pertinents aux intérêts convergents » (Cling, 2003, p. 41.). Aujourd'hui encore, l'approche

macro-économique avec un support statistique et une formalisation mathématique de la pauvreté reste prééminente. Même si on relève dans les rapports des références sociologiques ou ethnologiques, elles ne sont présentes que pour appuyer une démonstration économique que les indicateurs statistiques ont déjà étayée ou pour interpréter un fait. Ce serait l’illustration du « mariage entre culturalisme et néolibéralisme » (Labazée 1995).

Les exigences critiques de la Banque ne dépassent pas le champ technique ce qui n’exclut pas l’attachement au cadre de référence marqué par le crédo ultra libéral : dans les années 1970, il faut d'abord justifier la nécessité de l’ajustement structurel. La décennie des années 2000 met en priorité la lutte contre la pauvreté. Ce n’est que récemment que les rapports insistent plus sur la mise en valeur d’un lien de causalité entre compétitivité économique et réduction de la pauvreté. Les recommandations sont aussi marquées par la promotion de la flexibilité et la hausse de la productivité. Le fait est que, au cours de l’entretien, le responsable du programme de réduction de la pauvreté urbaine à la Banque mondiale, questionné sur les politiques urbaines, met un lien direct entre les difficultés sociales dans la métropole et les conséquences pour l’économie, qui apparaissent dans son discours comme la véritable finalité32.

32 « Il faudrait trouver un mécanisme qui pourrait sécuriser la place pour les pauvres et bénéficier à l’économie » ; il ajoute plus loin au sujet des navetteurs quotidiens (en train, bus ou moto) « que c’est une véritable perte de temps » et que leur qualité de vie en est amoindrie « puisque ces derniers sont envoyés toujours plus loin des grands équipements et

Encadré 1 : Les définitions de la pauvreté par la Banque mondiale

La Banque mondiale est avant tout porteuse d'une méthode d'évaluation de la pauvreté utilisée dans la plupart des pays : la notion de seuil de pauvreté. Même si évidemment, cela favorise des comparaisons à l'échelle internationale et nationale, cette méthode a tendance à faire apparaître que les ménages pauvres urbains seraient mieux nantis que les ruraux, et que les familles aisées paieraient plus cher pour chaque calorie consommée. D'autres outils se sont ensuite succédé pour tenter de définir un « profil cohérent de la pauvreté » en identifiant le fait que le choix des méthodes de mesure de la pauvreté dépend à la fois de la base de données disponibles et des objectifs spécifiques pour lesquels ces mesures sont effectuées.

D'autres indicateurs permettent d'affiner cette approche par le seuil, notamment en croisant les données entre valeurs des biens alimentaires et non alimentaires afin d'évaluer la pauvreté et l'inégalité :

o Indice du nombre de tête, headcount index : proportion de la population ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté

o Indice d’écart de la pauvreté : poverty gap index : changement de degré de pauvreté chez les pauvres : quantité de dépense nécessaire pour élever une personne pauvre jusqu’au niveau du seuil de pauvreté.

o Indice de sévérité de la pauvreté : Poverty severity index : sensible aux inégalités parmi les pauvres : distribution du bien être de ceux qui sont au-dessous du seuil de pauvreté en donnant à chacun d’entre eux un poids différents selon son degré de privation.

L'évolution conceptuelle de la Banque mondiale est liée à un changement d’approche depuis les années quatre-vingts et à la reconnaissance qu'il n'existe pas de méthode simple ni idéale pour fixer les seuils de pauvreté. Si les choix sont presque toujours litigieux, la Banque recommande dès lors que les définitions précises varient d’un pays à l’autre et seront soumises à débat.

À partir de 2000 est prise une nouvelle orientation par rapport à 1990 : le nouveau rapport portant le discours de la Banque mondiale affirme qu'il ne faut pas se contenter des approches macro-économiques centrées sur le lien entre croissance et pauvreté monétaire. Le concept de pauvreté est ainsi élargi à des dimensions non monétaires tout en proposant des politiques très diversifiées de lutte contre la pauvreté. Cela témoigne d'un recours aux travaux d'Amartya Sen notamment dont le vocabulaire (tel que capacité, vulnérabilité, …) est investi tout comme dans les autres institutions internationales que sont le BIT et le PNUD. On relève aussi un appui théorique sur le concept de justice sociale de Rawls.

Ainsi, le contenu du concept de pauvreté au sein de la Banque mondiale connaît un élargissement progressif (Cling 2003 ; Killick, 1999). Parallèlement, les approches de la « bonne gouvernance » s'imposent en en identifiant les conditions de mise en œuvre des actions contre la pauvreté : en plus d’une participation égale et un traitement égal des populations visées (c’est-à-dire l’« inclusivité »), le projet doit être mené avec transparence et permettre une « contestabilité », afin de favoriser la « responsabilisation » des populations. C’est cette combinaison qui est qualifiée de « bonne gouvernance » (Banque mondiale, 2003).

Si l'analyse de la pauvreté a considérablement évolué, on ne dispose toujours pas d’un cadre politique cohérent de lutte contre la pauvreté (Cling, 2003, p. 33). En outre, le changement de culture est nuancé par le maintien d’un seuil afin de maintenir ce phénomène comme un fait saisissable. L’élargissement conceptuel de la pauvreté reste difficile d’appréhension : Toujours aujourd'hui, les interrelations entre croissance et pauvreté non monétaire ne sont évoquées que de manière très allusive.

La ville : nouvel espace d’attention et d’intervention ou une nouvelle entrée pour