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Évolutions des espaces de la domination : itinéraires urbains, du Nord au Sud

Depuis l’embouchure de la rivière Ciliwung à la création du quartier européen de Weltenwreden et ses extensions en passant par Kota, la localisation des principaux pouvoirs dans la ville suit une trajectoire globale du Nord vers le Sud de la ville.

À partir de la place fortifiée, la ville est progressivement construite sur le modèle des villes hollandaises64, notamment les maisons mitoyennes le long des canaux. Le déplacement des Européens, du siège de leur administration et de leur armée est lié à la construction de la ville haute par Daendels (gouverneur néerlandais de 1808 à 1811)65.

64 Au XVIIIème siècle, le nord du quartier de Kota, notamment le long de la rivière canalisée ressemblait fortement aux villes de Hollande. Plusieurs bâtiments témoignaient de l’importance que la VOC (Vereenigde

Oost-Indische Compagnie) portait à la ville et à ses fonctions. Certains concurrençaient les constructions de la

métropole comme l’Hôtel de Ville, finalisé en 1710. C’est un édifice de deux étages avec une coupole qui abrite le bras civil du gouvernement (une aile constitue la prison). Le pouvoir reste principalement dans les mains du gouverneur général qui devait approuver les décisions du conseil (Abeyasekere, 1989).

65 Le renforcement des rives leur permet d’instaurer la voie fluviale comme principal moyen de transport, ce qui explique le choix des colons d’en préférer la proximité malgré l’insalubrité persistante. Le

Carte 2 : Une évolution de l’occupation urbaine différenciée selon les groupes

délaissement de la vieille ville se fait au profit des nouveaux centres administratifs et résidentiels

Les difficiles conditions sanitaires dans une ville du milieu tropical au XVIIIème siècle ont poussé les populations qui en avaient les capacités (économiques et légales), donc les Européens, à élaborer des stratégies résidentielles structurantes dans l’organisation de l’espace urbain et dans la répartition des groupes sociaux. Rapidement après la fondation de la ville, ils se sont installés de manière préférentielle aux périphéries de la ville. Les nouvelles zones résidentielles privilégient le sud-est de Kota, où il y avait plus d’espace pour la construction de grandes demeures en briques aux façades et jardins élaborés de style baroque tout en restant en lien direct avec la ville grâce aux voies d’eau (le long du Molenvliet)66. Ces architectures permettent de mettre en scène leur richesse et les formes urbaines auxquels ils aspirent, bien loin de la densité de Kota. Le pouvoir colonial appuie cette stratégie d’évitement en planifiant de nouveaux quartiers permettant une vie urbaine semblable à celle de la métropole pour les Européens. Ainsi, la ville a été équipée d’hôpitaux, d’écoles, d’églises, d’une librairie et d’un théâtre dès la fin du XVIIIème siècle. « Ce qui était le plus important dans l’esprit des Européens à

Batavia était le désir de préserver le statut dominant de leur groupe aux yeux de la société »

(Abeyasekere, 1987, p. 35). De plus, les lois garantissent la protection des Européens et de leurs biens en imposant l’usage de la brique pour les constructions à l’intérieur de la ville, afin de limiter le risque d’incendie. La ségrégation résidentielle s’est aussi accentuée avec l’aménagement de Weltevreden, concentrant de grandes maisons de style colonial (blanches, de plain-pied avec leurs rangées de colonnades (Heuken, 1982). Ce nouveau quartier est aménagé de manière plus aéré, avec plus d’espaces verts, afin d’exposer un environnement sain et agréable et une sensation de bien-être.

La carte synthétisant l’évolution de l’espace urbain de Batavia (carte 2) met en évidence l’importance de l’administration coloniale dans la production d’« espaces de la domination ». La croissance de la ville et la trame urbaine suivent un axe de développement nord-sud. En général, les maisons et établissements de cet axe principal rassemblent la plupart des fonctions urbaines importantes. Les citadins cherchent à bénéficier d’un raccordement ou d’un accès le plus direct possible à cet axe afin de réduire la distance et le temps entre le domicile et le lieu de travail notamment. Idéalement, chaque porte s’ouvrait directement sur une voie d’axe nord-sud. Mais la limitation de terrains disponibles et le maintien d’une densité urbaine faible dans cette partie de la ville implique que seule une minorité peut profiter de ce luxe. Le maillage urbain est ensuite organisé par une série de voies secondaires est-ouest loties aussi densément que possible et

66 Un perron protégé du trottoir par une balustrade marquait la séparation entre l’espace public et l’espace privé. L’urbanisme témoigne aussi de la mise en place de normes dominantes reprenant les mêmes canons morphologiques qu’en métropole : les logements étaient conformes aux plans néerlandais (maisons de un ou deux étages, aux murs mitoyens) valorisés par leur proximité avec le canal « plus commode et plus chic » (De Haan, 1935) utilisé comme aux Pays Bas comme moyen de transport.

directement reliées à l'axe nord-sud. C’est donc le long de cette route principale que l’on trouve la plus forte densité d’emplois de la ville par rapport aux voies est-ouest (Budiarto, 2003).

La domination de l’administration coloniale est mise en espace notamment autour et à l’est de la place royale, autour du petit square de la place de Waterloo. Les façades néoclassiques répétitives appuient la mise en scène du pouvoir colonial. Les rangées des maisons des officiers, les baraquements et le grand hôpital militaire (toujours présent aujourd’hui) montraient clairement la force armée des dirigeants coloniaux. À la domination de la force militaire s’ajoute celle imposée de la religion des colons. Deux églises et la cathédrale à proximité de la place royale marquent l’importance de la minorité chrétienne à Batavia. Ces espaces européens que l’on peut qualifier de dominants sont aussi des lieux de résidence pour cette minorité67.

L’exotisation

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de la ville et de ses populations :