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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2.2 Processus de développement professionnel des enseignants

2.2.1 Développement professionnel ancré dans la pratique

La place de la théorie et celle de la pratique préoccupent les formateurs et les théoriciens en formation professionnelle des enseignants. L’analyse des écrits permet d’identifier plusieurs positions des chercheurs à l’égard de la relation entre ces deux concepts. Dans les paragraphes qui suivent, nous ferons le point sur la tendance actuelle de la formation professionnelle axée sur l’intégration de la théorie et de la pratique.

Traditionnellement, la formation à l’enseignement s’appuyait sur le modèle de la rationalité technique qui « repose sur l’idée qu’une connaissance professionnelle est une connaissance appliquée qui se fonde hiérarchiquement sur des principes généraux au plus haut niveau et la résolution de problèmes concrets au plus bas » (Tardif, Lessard, & Gauthier, 1998, p. 23-24). En matière de formation des enseignants, ce paradigme présuppose que les comportements à succès des enseignants sont susceptibles d’être isolés et analysés soigneusement et peuvent être présentés aux enseignants dans les programmes de formation. Partant de cette conception, ce paradigme conçoit le métier d’enseignant comme un simple applicateur de méthodes qui consiste à exécuter des tâches bien définies et prescrites. La formation est conçue surtout comme « un modèle de transmission des connaissances scientifiques, produites par la recherche, aux futurs praticiens, qui vont ensuite les appliquer dans leur pratique » (Tardif, Lessard, & Gauthier, 1998, p. 23-24).

Une telle approche normative a fait l’objet de nombreuses critiques. Par exemple, cette conception ne convenait pas pour l’apprentissage des aspects plus complexes et qualitatifs de l’enseignement (Malo, 2000). Avec le temps, ce modèle de formation s’est avéré inadéquat pour l’apprentissage professionnel des enseignants en raison de la séparation entre les théories enseignées et les pratiques réelles des enseignants (Day, 1999; Tardif & Lessard, 1999). En somme, il découle des points précédents que l’étude de l’enseignement exige un dépassement des visions normatives du métier d’enseignant qui « s’intéresse avant tout à ce que les enseignants devraient faire et ne pas faire tout en laissant dans l’ombre ce qu’ils sont et font réellement » (Tardif & Lessard, 1999, p. 23).

À partir des années 1980, le questionnement sur le lien entre la formation et la pratique s’intensifie. Cette remise en question n’est pas indépendante des critiques à l’égard de la conception classique de la science dont le but est de découvrir la vérité sur le monde empirique (Van der Maren, 1996). En lien avec ces limites, les sciences humaines et les sciences de l’éducation se dirigent vers les pratiques concrètes et la construction sociale de la réalité (Tardif & Lessard, 1999; Van der Mareen, 1996).

Dans le domaine de la formation, l’objet de la recherche se tourne vers l’agir professionnel comme il se manifeste dans la pratique plutôt qu’à partir des connaissances qui le fondent (Malo, 2005). Cette transformation de la recherche sur l’enseignement met en évidence l’importance de l’articulation entre les connaissances théoriques et le contexte réel du travail enseignant, tant dans la formation initiale que continue. Ainsi, la théorie et la pratique se complètent et fusionnent dans des savoirs pratiques et utiles pour l’exercice d’un métier (Gagnon, Mazalon & Rousseau, 2010).

Afin que les savoirs théoriques acquis par les enseignants puissent être transférés dans la pratique enseignante, l’apprentissage professionnel doit viser la création de liens entre la théorie et la pratique. Ainsi, « le développement

continue traditionnelle, axée sur l’acquisition des connaissances curriculaires et pédagogiques, s’oriente-t-elle, de plus en plus, vers une formation centrée sur le savoir d’expérience et la transformation de la pratique enseignante dans la classe (Perrenoud, 2001; Solar, 2001).

Dans leur étude, Savoie-Zajc, Dolbec & Charron-Poggioli (1999) rapportant le discours des enseignants en exercice au sujet de leurs besoins en formation continue confirment à quel point ils valorisent le savoir d’expérience. Les résultats de cette étude indiquent que presque la majorité des enseignants dit trouver une satisfaction à participer à une formation continue lorsque des transferts sont possibles dans leur pratique quotidienne. Ces résultats rejoignent ceux de Lessard, Tardif & Lahaye (1991) qui observent que « la pratique constitue le lieu par excellence d'intégration, de synthèse et de production des savoirs pertinents à l'exercice de l'enseignement » (p. 22).

En somme, nous considérons que le développement de la recherche sur le savoir enseignant a contribué à une remise en question de l’opposition classique théorie-pratique et, en conséquence, à l’émergence d’une nouvelle manière de formation professionnelle. Cette nouvelle forme a explicitement pour intention de modifier les pratiques des enseignants en exercice et surtout, de tendre vers une articulation étroite entre le travail réel et l’apprentissage professionnel. Les prochaines sections seront consacrées à la description de l’apprentissage réflexif comme une démarche favorisant le développement professionnel des enseignants.

2.2 2 Développement professionnel réflexif

Depuis plusieurs années, la réflexion sur la pratique professionnelle a suscité l’intérêt chez plusieurs chercheurs et praticiens dans le domaine de l’éducation. Actuellement, la réflexion sur la pratique est fondamentale lorsqu’il est question de la formation initiale et continue. En effet, Altet (2010) considère que les enseignants en formation continue sont intéressés par les savoirs d’expérience qui se construisent grâce à

la réflexion sur leurs pratiques professionnelles. Perrenoud (1994) affirme que la dimension réflexive s’insère directement dans la compétence de l’enseignant à gérer sa propre formation continue. Ainsi, au Québec, le ministère de l’Éducation (2001) a introduit l’idée que tous les enseignants en exercice doivent s’engager dans des démarches de formation professionnelle continue et réfléchir sur leurs pratiques.

La notion du praticien réflexif était déjà présente dans les travaux de Dewey en 1904 (Bourassa, Serre & Ross, 1999). Ensuite, elle a été développée par Argyris & Schön en 1974, puis approfondie par Schön en 1983 et en 1987 (cité dans Bourassa, Serre & Ross, 1999). La posture épistémologique sous-jacente à cette notion met en évidence la valeur du savoir dans l’action des praticiens et le développement du savoir pratique. Selon ce modèle, la pratique repose sur la capacité des individus à développer un regard réflexif sur leurs actions professionnelles. En interrogeant l’action, la pratique réflexive d’un enseignant apparaît comme une réflexion en cours d’action avec une réflexion sur l’action (Schön, 1994) permettant de l’aider à comprendre, à évaluer et à s’adapter à des situations nouvelles. Selon cet auteur, c’est à partir de cette réflexion qu’un praticien peut transformer son savoir d’action et se développer sur le plan professionnel. Plusieurs chercheurs affirment que la pratique réflexive est au cœur de ce processus de transformation des pratiques des enseignants (Altet, 2010; Boutet, 2004; Perrenoud, 2001).

L’apprentissage réflexif consiste principalement à fournir aux enseignants un soutien à la réflexion sur leur intervention marquée par sa complexité (la multiplicité des variables dans une situation d’enseignement d’apprentissage : cognitives, affectives et sociales). Il est d’autant plus efficace qu’il permet à l’enseignant, par le savoir-enseigner qu’il implique et qui conjugue théorie et pratique, de s’adapter adéquatement dans un contexte pédagogique changeant et complexe. Dans cette perspective, le travail du praticien ne consiste pas à appliquer des théories, mais à les construire à partir de sa pratique professionnelle (Schön, 1994).

Selon Perrenoud (2001), les savoirs développés dans une démarche de praticien réflexif vont de l'appropriation et de la contextualisation de savoirs savants ou experts à la structuration de savoirs personnels faiblement formalisés, mais susceptibles d'être reconstruits dans des situations semblables. Toujours selon cet auteur, un praticien décrit les situations avec des métaphores, des exemples; il rapporte chaque situation à un ensemble de situations de même type; il combine de façon pragmatique des modèles d'origines diverses. Ainsi, l’enseignant se préoccupe du développement « de son propre savoir-enseigner; la valeur de son savoir d’expérience; les contributions et les limites de savoirs théoriques et de savoirs appliqués en enseignement- apprentissage; l’importance du maintien d’une continuité dans son évolution comme professionnel de l’intervention éducative » (Boutet, 2004, p. 9).

En somme, la réflexion professionnelle est une démarche de la pensée centrée sur l’analyse d’une situation éducative problématique qui éveille la prise de conscience du professionnel aussi bien de ses conceptions personnelles latentes que des préconceptions qui régissent ses pratiques. Ce processus permettait de rendre les professionnels de l'enseignement « plus autonomes et plus engagés dans l'amorce de changements pertinents dans leurs milieux éducatifs » (Cranton, 1996, p. 79). La prise de conscience objective des valeurs et des croyances inhérentes aux pratiques pédagogiques facilitera, d’une part, leur modification par l’enseignant dans le cas où elles seraient jugées inopérantes et, d’autre part, la réorientation idoine de celles-ci à la suite d’une réflexion critique aiguisée notamment par les échanges fructueux la concernant avec d’autres enseignants (Idem.). Cette forme d'apprentissage serait propre au développement professionnel chez l'adulte (Knowles, 1990)4.

4 L'un des théoriciens de l’apprentissage des adultes les plus influents est Malcolm Knowles. Jusqu'en 1973, les apprenants adultes ont été traités comme des apprenants dans les milieux scolaires. En 1973, Knowles a proposé la théorie d’andragogie permettant de comprendre le processus d’apprentissage des adultes. Cette théorie repose sur quatre dimensions qui favorisent la réussite du développement professionnel : le concept de soi, l’expérience de vie, la capacité d'apprentissage et le contexte de l'apprentissage.