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Chapitre 2 : Cadre théorique

II- Oral utilisé comme objet d’enseignementI Oral utilisé comme médium d’enseignement

6. Activité métacognitive Consolidation des apprentissages grâce à une ou plusieurs activités métacognitives, et ce, afin de favoriser la réflexion

2.2 Portfolio numérique au secondaire

2.2.3 Les avantages et les défis du portfolio d’apprentissage au secondaire

2.2.3.2 Le développement cognitif

La recherche portant sur le portfolio a permis de mettre en lumière son rôle quant au développement des processus cognitifs et métacognitifs de l’élève. D’abord, le portfolio d’apprentissage constitue un outil dont la clé est la réflexion (Hartnell-Young, 2006) et qui s’appuie en grande partie sur un processus lié à l’autorégulation : la fixation des buts (Zimmerman, 2000). Ce processus est important puisque c’est à partir des buts fixés au départ que l’élève pourra évaluer si la démarche et les stratégies utilisées sont adéquates ou bien s’il doit ajuster le tir (Chang, 2009 ; Hartnell-Young et al., 2007). Ainsi, grâce à des outils intégrés dans une interface de portfolio numérique, comme les calendriers et les exercices favorisant la fixation des buts à atteindre, l’élève pourra apprendre à bien réaliser cette étape pour ensuite mieux réfléchir à ses apprentissages (Blackburn et Hakel, 2006 ; Hartnell-Young et al., 2007). Abrami et Barrett (2005) ajoutent que dans un esprit de travail sur le long terme, cette réflexion inscrite dans la démarche du portfolio permettra à l’élève de revoir tout au long de l’utilisation de cet outil ses buts d’apprentissages, et donc de développer et de manifester sa capacité d’autorégulation. Pour arriver à atteindre efficacement cet objectif, Simon et Forgette-Giroux (1994, 2000), à la lumière de résultats de recherche qu’elles ont obtenus, conseillent de cibler un nombre limité de compétences qui détermineront le contenu du portfolio, et ce, pour permettre de mieux visualiser la progression de l’élève à l’égard de cette compétence ou de ces compétences. Cette recommandation constitue pour Scallon (2007) un paradoxe.

« Il semble aller de soi que l’approche la plus appropriée pour susciter plusieurs comportements d’autoévaluation, notamment ceux qui se rapportent à la progression de l’élève, consiste à consacrer le dossier d’apprentissage au développement d’une seule compétence. Mais il est, certes, difficile d’adopter une telle position lorsqu’il y a un très grand nombre de compétences à développer, car il faut faire des choix et éventuellement écarter des aspects importants de la formation visée. Il y a là tout un paradoxe. » (p. 300)

Le portfolio d’apprentissage a été identifié comme étant un outil permettant à l’élève de développer des habiletés métacognitives, en plus de son autonomie et de son sens critique (Scallon, 2007). En effet, comme l’élève est amené à participer activement à son apprentissage lorsqu’il doit effectuer les tâches liées à l’élaboration de son portfolio, que ce soit la planification de son travail, le choix des artéfacts qu’il y placera et la réflexion face à ceux-ci, l’outil lui permet de réfléchir de manière individuelle à ses acquis ainsi qu’aux stratégies mises en œuvre (Kish, Sheehan, Cole, Struyk et Kinder, 1997 ; Simon et Forgette-Giroux, 1994 ; Tillema et Smith, 2000). Durand et Chouinard (2012) ajoutent qu’en plus de l’analyse réflexive, l’élève développe sa capacité d’autoévaluation et d’autorégulation, étant donné qu’il se base sur ses forces et ses difficultés pour effectuer des choix dans la constitution de son portfolio d’apprentissage.

Ces avantages liés à l’utilisation de l’outil portfolio sont, depuis plus de 15 ans, au cœur des préoccupations de l’équipe du Centre for the Study of Learning and Performance (CSLP), dont l’équipe de chercheurs a développé un logiciel permettant la création d’un portfolio numérique d’apprentissage, le ePEARL7 (Venkatesh et al., 2013). Dans une étude de cas publiée en 2013, Venkatesh et al. ont observé la mise en place du logiciel ePEARL par, entre autres, deux enseignants du secondaire dans leur classe respective. Après avoir procédé à des entrevues et à des observations, ils ont relevé un élément majeur lié à l’utilisation d’un portfolio d’apprentissage : amener les élèves à réfléchir adéquatement sur leur démarche, sur leurs stratégies et sur leur performance nécessite un encadrement de la part de l’enseignant, donc un changement dans ses pratiques pédagogiques. Ce constat est partagé par Dolmans et Van Merriënboer (2016), qui insistent sur la nécessité de soutenir les élèves utilisant un portfolio d’apprentissage, et de Hartnell-Young et al. (2007), qui mentionnent l’importance de

l’échafaudage (scaffolding), soit le soutien mis en place pour accompagner l’élève vers de meilleures habiletés réflexives. Chang et al. (2014) abondent dans le même sens en insistant sur le fait que c’est par l’accompagnement des enseignants que les élèves arriveront progressivement à réfléchir de manière efficace sur leur démarche et sur leurs apprentissages.

À cet égard, certains chercheurs se sont intéressés aux types de réflexions qu’on peut retrouver dans le portfolio d’un élève. D’abord, Simon et Forgette-Giroux (1994) font référence aux trois paliers de réflexion présentés par Paulson et Paulson (1994) et visant, de manière hiérarchique, à développer l’autonomie et la responsabilisation de l’élève face à ses apprentissages. Le premier niveau, la documentation, consiste en une justification par l’élève de ses choix quant aux documents inclus dans son portfolio d’apprentissage. Le second niveau,

la comparaison, consiste en un bilan et en une réflexion portant sur le cheminement de l’élève.

Le troisième niveau, l’intégration, vise à ce que les élèves réfléchissent à la fois à leurs attitudes face à l’apprentissage ainsi qu’aux stratégies déployées.

La question des niveaux de réflexion des élèves a également été abordée sous un autre angle. Dans une étude réalisée à Taïwan, auprès de 45 élèves du secondaire suivant un cours d’informatique, Chang, Chen et al. (2012) ont relevé trois types de réflexions : les réflexions cognitives, les réflexions évaluatives et les réflexions mixtes, c’est-à-dire à la fois cognitives et évaluatives, mais également émotives et liées à la mémoire. Pour ce faire, ils ont analysé les mots présents dans les réflexions des élèves, plus spécifiquement des verbes, ont calculé leur occurrence et les ont associés à un niveau qualitatif de réflexion (niveau élevé ; niveau moyen, niveau faible). Cette analyse a permis de démontrer que les réflexions de types cognitifs étaient les plus présentes dans les journaux, et qu’une majorité d’élèves démontraient un niveau élevé de réflexion cognitive. Par contre, ils ont également relevé un défi important lié à la réflexion des élèves, soit la question du manque de vocabulaire de certains élèves pour élaborer des réflexions riches et de grande qualité.

« However, the truth was that a handful of students still encountered difficulties including lack of vocabulary and inability to select proper words. It is desirable instructors should provide them with appropriate and abundant vocabulary, so that the quality of reflection contents will be enhanced. » (Chang et al., 2012, p. 468)

Encore là, pour arriver à cette richesse réflexive, l’élève a besoin d’accompagnement. Plusieurs auteurs évoquent en effet l’importance de la rétroaction, qu’elle soit offerte par l’enseignant, par les pairs ou par les parents (Dolmans et Van Merriënboer, 2016 ; Hartnell- Young et al., 2007). À cet égard, Tillema et Smith (2000) avancent que sans cette rétroaction, il est difficile pour l’apprenant d’aller plus loin dans ses réflexions.

Dans leur synthèse de différentes études portant sur les portfolios numériques dans un contexte d’apprentissage autodirigé, Dolmans et Van Merriënboer (2016) démontrent la grande utilité de la rétroaction sur l’apprentissage et les habiletés cognitives des élèves, sans laquelle ces derniers risquent de demeurer en surface et ne de pas voir les effets escomptés sur leurs apprentissages. En effet, dans les études qu’ils répertorient, les chercheurs constatent que les élèves perçoivent comme étant utile à leurs apprentissages la rétroaction reçue des pairs et de l’enseignant. De plus, les études auxquelles ils font référence démontrent que les élèves recevant de la rétroaction consistante ont tendance à formuler leurs besoins d’apprentissage de manière significative, constat également effectué par Chang et al. (2015), et à sélectionner leurs tâches d’apprentissage de manière beaucoup plus efficace que ceux qui n’ont reçu qu’une rétroaction sommaire. Ainsi, les auteurs concluent à la grande importance d’incorporer la rétroaction aux mécanismes qui régissent la mise en place et l’organisation des portfolios d’apprentissage à l’école. Toutefois, Tillema et Smith (2000) indiquent que le facteur le plus important par rapport à la rétroaction est l’ouverture de l’élève à en recevoir et à en tenir compte dans ses réflexions et dans ses apprentissages futurs. Nous reviendrons sur la question de l’attitude des élèves à la section 2.2.4.

Les constats sont similaires dans les travaux de Barrett (2007), qui indique que les enseignants qui utilisent de manière plus poussée le portfolio avec leurs élèves ont tendance à fournir de la rétroaction de grande qualité à leurs élèves. Pour ce faire, l’enseignant peut procéder à des évaluations formatives du travail en cours afin de permettre à l’élève de déterminer les occasions où il peut s’améliorer, ou bien valider les autoévaluations que l’élève fait de son propre travail (Barrett, 2010). Pour Zimmerman (2000), cette rétroaction sociale que reçoit l’élève lui permet mieux réguler ses apprentissages. Toutefois, elle doit être accompagnée d’occasions où l’élève peut observer le travail de ses pairs afin de pouvoir bénéficier de l’expérience des autres.

2.2.3.3 L’évaluation

La question de l’évaluation est centrale lorsqu’on parle de portfolio d’apprentissage, étant donné que, tel que nous l’avons mentionné précédemment, cet outil constitue un instrument permettant aux enseignants de revoir leurs pratiques évaluatives liées au développement des compétences (MÉQ, 2002). À cet égard, Barrett (2004, 2007) rappelle que lorsqu’un enseignant réfléchit au rôle qu’il souhaite donner à un portfolio, il est important de distinguer deux types d’évaluation associés à cet outil, soit l’évaluation de l’apprentissage et l’évaluation pour l’apprentissage.

Généralement mis en place pour répondre aux besoins des administrateurs d’un établissement, un portfolio visant l’évaluation de l’apprentissage est développé en fin de parcours afin de permettre une évaluation des résultats obtenus en fonction de standards et de buts finaux à atteindre (Barrett, 2007). Il correspond au portfolio d’évaluation.

Un portfolio visant l’évaluation pour l’apprentissage se rapproche davantage du portfolio d’apprentissage dont il est question ici. L’implication de l’élève y est plus grande, puisqu’il est invité à déterminer, de concert avec l’enseignant, le contenu qui permettra de démontrer ses progrès, sa démarche d’apprentissage. Ces choix sont accompagnés de réflexions lui permettant de construire en continu le fil de ses apprentissages, ce qui fait référence, selon Barrett et Garrett (2009), au concept de storytelling (mise en récit), soit l’idée que l’élève raconte l’histoire de ses apprentissages à travers son portfolio. Cette démarche favorise l’échange de rétroaction permettant à l’élève de s’améliorer. De cette manière, son engagement est favorisé et il sera plus enclin à réinvestir durant toute sa vie les connaissances apprises et les compétences et habiletés développées (Baris et Tosun, 2011 ; Barrett, 2007 ; Barrett et Garrett, 2009).

Dans ce contexte, le portfolio d’apprentissage répond aux visées ministérielles puisqu’il permet de mettre en lumière les processus sur lesquels s’appuie l’élève, ce qui démontre sa progression (Scallon, 2007). On obtient également une vue d’ensemble grâce à la grande variété de traces que l’élève choisit d’inclure dans son portfolio, ce qui offre à l’enseignant beaucoup d’informations sur lesquelles se baser pour dresser le portrait global de l’élève quant au développement d’une compétence complexe (Simon et Forgette-Giroux, 1994, 2000), et ce, en situation authentique et proche de la vie de tous les jours (Durand et Chouinard, 2012). On

obtient donc des données intéressantes impossibles à recueillir dans un contexte d’évaluation traditionnelle et portant, par exemple, sur le degré de persévérance de l’élève, sur sa volonté de changer ce qui est moins efficace pour lui et sur sa capacité à juger et à évaluer son propre travail (Durand et Chouinard, 2012).

Par contre, ces avantages apportent leur lot de défis. D’abord, du côté de l’élève, il semble parfois difficile de se détacher d’une évaluation plus traditionnelle, offerte exclusivement par l’enseignant (Dolmans et Van Merriënboer, 2016). De plus, la grande implication de l’élève signifie qu’il y aura de grandes différences entre les portfolios, chacun ayant sa propre vision de ses apprentissages. Cela rend difficile l’uniformité entre l’évaluation de l’enseignant et celle des élèves (Scallon, 2007) et risque de présenter des problèmes de fidélité et de généralisation des résultats (Simon et Forgette-Giroux, 1994). Aussi, ces différences risquent de mener à une grande variabilité dans la qualité des travaux qui se retrouveront dans les portfolios, témoignant ainsi du niveau de rigueur que chacun y mettra pour effectuer, ou non, un choix judicieux quant à ce qui sera inclus dans le portfolio (Durand et Chouinard, 2012). Il risque donc d’y avoir des problèmes d’équité entre les élèves et de constance dans le processus évaluatif, d’où l’importance de définir un cadre conceptuel précis pour contribuer « à la pertinence, c’est-à-dire à la validité du dossier d’apprentissage comme outil d’évaluation » (Simon et Forgette-Giroux, 1994, p. 37). D’ailleurs, pour Durand et Chouinard (2012), le contexte d’évaluation lié à l’utilisation d’un portfolio nécessite qu’une certaine standardisation soit mise en place, au détriment de la créativité de l’élève.

La question de l’évaluation des portfolios a fait l’objet de recherches intéressantes du côté de Taïwan. En effet, les travaux de Chang et al., dont les résultats sont parus dans une série d’articles publiés entre 2011 et 2013, ont permis de mettre en lumière différents aspects liés à l’évaluation des portfolios. À la base, la construction des portfolios par les élèves ayant participé aux différentes recherches de son équipe vise davantage l’évaluation de l’apprentissage, tel que l’a présenté Barrett (2007). Par contre, ces recherches présentent une variété de résultats, dont certains ont ciblé la validité et la fiabilité des différents points de vue évaluatifs, que ce soit celui des enseignants, des pairs ou des élèves eux-mêmes.

De façon générale, les résultats présentés par ces chercheurs indiquent que l’évaluation réalisée par un enseignant sur le portfolio est valide et fiable puisqu’elle concorde avec

l’ensemble des évaluations faites au terme du cours suivi par l’élève (Chang et Wu, 2012). Par contre, ces auteurs indiquent que leurs résultats doivent être nuancés étant donné que le portfolio réalisé était déjà construit et structuré par les enseignants, donc ne laissait que peu de marge de manœuvre à l’élève en matière d’organisation et de création, et qu’il serait intéressant de vérifier ce qui se passerait si la conception de l’outil était davantage laissée à l’apprenant. Ce constat s’inscrit bien dans les préoccupations avancées par Durand et Chouinard (2012), Scallon (2007) et Simon et Forgette-Giroux (1994) en ce qui concerne les défis liés à l’uniformité des portfolios.

Autre élément intéressant : la relation entre l’évaluation de l’enseignant, l’autoévaluation et l’évaluation par les pairs. D’abord, bien que leur revue de la littérature démontre le contraire, l’évaluation par les pairs semble faire l’objet d’un problème de validité et de fiabilité, étant donné son manque de cohérence avec (1) les évaluations réalisées par d’autres pairs sur un même portfolio (Chang et al., 2011), (2) les évaluations réalisées par les enseignants et (3) les autoévaluations réalisées par les élèves eux-mêmes (Chang, Tseng et Lou, 2012). Pour expliquer le tout, les chercheurs avancent deux hypothèses. La première fait référence au développement de la capacité d’évaluation des autres des élèves du secondaire, qui serait insuffisante. À cet égard, les chercheurs recommandent, entre autres, d’accroître la formation offerte aux élèves pour développer cette habileté d’évaluation de leurs pairs (Chang

et al., 2011). Nous y reviendrons à la section 2.2.4. La seconde fait référence au contenu de

cours évalué, soit la création d’animations et de site Web, c’est-à-dire que les chercheurs s’interrogent à savoir si les résultats seraient les mêmes si le portfolio portait sur un contenu disciplinaire différent (Chang et al., 2012).

En ce qui concerne la relation entre l’autoévaluation de l’élève de son portfolio et celle de l’enseignant, les chercheurs observent une cohérence générale, ce qui signifie que l’autoévaluation est considérée comme étant valide et fiable, et permet à l’élève une réflexion sur ses apprentissages et ses réalisations (Chang, Liang et Chen, 2013).

Finalement, certains éléments doivent être gardés à l’esprit lorsque la question de la fiabilité du contenu des portfolios est évoquée. D’abord, le contrôle du contenu passe davantage dans les mains de l’élève, ce qui doit rendre l’enseignant conscient que l’autoévaluation peut être biaisée. En effet, l’élève, par souci de bien paraître, peut en effet délibérément choisir de ne pas mettre dans son portfolio certaines traces dont il est moins fier, ou bien se concentrer sur

des aspects positifs de sa progression (Scallon, 2007). Ensuite, comme le portfolio est un outil qui se veut créatif, Chou et Chang (2008) évoquent le danger d’évaluer l’apparence du portfolio plutôt que son contenu.

En somme, il importe de garder tous ces éléments en tête afin de permettre aux intervenants impliqués dans la mise en place d’un portfolio d’apprentissage de tirer profit au maximum des avantages de l’outil et de surmonter les défis qui y sont rattachés.