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Dépendants et fonctions syntaxiques des nominalisations

Dans le document Changement lexical en nez-percé (Page 133-138)

2. Synthèse linguistique

2.5. Nominalisation lexicale

2.5.2. Morphologie, dépendants et fonctions des formes nominalisées

2.5.2.2. Dépendants et fonctions syntaxiques des nominalisations

Les formes nominalisées ont les mêmes dépendants lexicaux et grammaticaux que les autres noms. La forme nominalisée est également modifiée par un ou plusieurs syntagmes nominaux, notamment ceux qui marquent le bénéfactif ou le génitif. Les relatives279 modifient aussi les

nominalisations. Soit, de (195) à (199) :

(195) kíí hííca-t̓as280 hi-wéé-ke

DEM gravir-NZR.chose S3SGINTR-être-PST

ʾíínim hííca-t̓as

POSS1 gravir-NZR.chose

« Cette corde était ma corde. »

279 Les relatives en tant que modificateurs de nom ont été présentées dans la synthèse linguistique. 280 L'équivalence de híícat̓as est « corde ».

(196) ʾilex̣ni qi-qííwn cuu-cakák-aʾs

QT PL-chose.vieille avec.un.objet.pointu-piquer-NZR.chose

« beaucoup de vieilles fourchettes »

(197) mitaat cuu-cakák-aʾs281 hi-wee-s

trois avec.un.objet.pointu-piquer-NZR.chose S3SGINTR-être-PRS

hipi-nwees-pe282

manger-NZR.lieu-LOC

« Trois cuillères sont sur la table. »

(198) célmen-nim ke-tiwe-n̓es-wéékuʾs283

chose.chinoise-GEN mangeable-être.mélangé-NZR.chose-ANL

« sauce soja »

(199) ʾe-hipí-uʾ tiwíw-tiwíw-ne284

S1SGO3SG-manger-FUT bouger.de.façon.répétée-RED-OBJ

ke-x ko-nim hi-wéé-s mímqas

COMPLS1SG DEM-ERG S3SGINTR-être-PRS chose.orange

« Je vais manger la gelée qui est orange »

En (195) la modification du nom híícat̓as, « corde » se fait par le possessif. En (196) la nominalisation cockakaʾs, « fourchette » est modifiée par un nom, qííwn, « vieille chose » et par un quantificateur, ʾilex̣ni, « beaucoup ». Lorsqu'un quantifieur est combiné avec un nom discret et un nom modificateur, alors le nom modificateur est au pluriel285. En (197) cockákaʾs est modifié par le

numéral mitaat, « trois ». Le verbe ne marque pas le pluriel car le nom cockákaʾs est un inanimé pluriel286. En (198) ketwen̓eswéékuʾs, « vinaigre » est modifié par le complément génitival

célmenim, « du chinois », formé par suffixation de -nim du génitif au nom célmen. En (199) la

nominalisation tiwíwtiwííw, « gelée » est modifiée par un déterminant relativisé287. Le nom est

actant II. La fonction qui s'associe au statut du nom déverbal dominant dans la relative est la

281 L'équivalence de cockákaʾs est « fourchette ». 282 L'équivalence de hipinweespe est « table ». 283 L'équivalence de ketwen̓eswéékuʾs est « vinaigre ». 284 L'équivalence de tiwíwtiwíw est « gelée ».

285 Cela a été étudié précédemment dans la synthèse linguistique en ce qui concerne les noms discrets et denses. 286 Comme étudié précédemment dans la synthèse linguistique en ce qui concerne le marquage du pluriel.

287 D'autres éléments (par exemple des noms modificateurs) s'insèrent entre le nom tiwíwtiwííw, « gelée » et les autres noms de la phrase. Il ne s'agit pas d'une nouvelle création lexicale mais d'une modification de la nominalisation

fonction sujet. Le complémenteur marque un sujet de 3è personne du singulier ainsi que la marque de l'ergatif suffixée au démonstratif. Du point de vue de la tactique, la relative est postnominale.

Du point de vue syntaxique le nom déverbal est, comme les autres types de noms, prédicat nominal ou nom modificateur (ces formes donnent lieu à des syntagmes plus ou moins figés). Les formes nominalisées assument toutes les fonctions du nom. Soit, de (200) à (203) :

(200) qitíwi-yew̓éét288 hi-hipí-se núkt

jeter.un.sort.à-NZR.agent S3SGINTR-manger-PRS viande

« Le sorcier mange la viande. »

(201) timíne qitíwi-yew̓éét-nim hi-wéé-ke

cœur jeter.un.sort.à-NZR.agent-GEN S3SGINTR-être-PST

« C'était le cœur du sorcier. »

(202) núún ʾe-ʾini-sííx ʾiiqcúúp-t289 ʾipné

S3PL S1SGO3SG-donner-PRSPL boire-ppa S3SG

« Nous lui donnons une boisson. »

(203) ʾiiqcúúp-t-pe hi-wéé-ke hawááwa

boire-ACTPT-LOC S3SGINTR-être-PST moustique

« Dans ma boisson il y avait un moustique. »

En (200), la nominalisation qitwiyew̓éét, « sorcier », est sujet. Elle est complément du nom en (201). Elle présente la marque casuelle -nim du génitif. En (202) la nominalisation ʾiiqcúúpt, « chose à boire » est actant III. En (203) la nominalisation ʾiiqcúúpt, « boisson » est circonstant et comporte la marque -pe du locatif.

288 L'équivalence de qitíwiyew̓éét est « sorcier ». 289 L'équivalence est « boisson ».

2.5.2.3. Argument des nominalisations : polyfonctionnalité en synchronie des marques de l'ergatif et du génitif

Les langues de la famille sahaptienne présentent une polyfonctionnalité des marques de l'ergatif et du génitif. En sahaptien du Nord290 (Jacobs 1931) les variantes du suffixe nominal génitif

sont -miʾ, -nəmiʾ, -nmiʾ ainsi que -nəm (nommé suffixe du nominatif par Jacobs, un suffixe pour le sujet des verbes transitifs). En sahaptien de la rivière Columbia (Rude 2009) le suffixe de l'ergatif est -nim et ceux du génitif sont -(n)mí, -maamí, et -inamí. D'autres langues ergatives manifestent la même polyfonctionnalité, comme le tzeltal (Shklovsky 2005) ainsi certaines langues maya comme le chol (Coon 2008) ou encore l'eskimo (Koo 1988).

Pour Meinschaefer (2003) la polyfonctionalité de ces marques indique, quant à la position syntaxique des arguments des nominalisations, un parallèle entre le sujet et l'objet d'un verbe et la position du possesseur des noms déverbaux relatifs aux événements.

En nez-percé, la possession du nom est marquée par le génitif -nim et le possesseur est apposé prénominalement ou postnominalement. Le nom qui manifeste la marque du génitif est le nom dépendant. L'argument agent d'un nom déverbal peut être supprimé comme dans un passif. Par ailleurs, tous les arguments des noms déverbaux peuvent être omis sous certaines conditions, même si le nom a une interprétation événementielle. Les suffixes de l'ergatif et du génitif sont identiques du point de vue morphologique. La polyfonctionnalité fait suite à la fusion de plusieurs éléments grammaticaux, après laquelle le suffixe casuel de l'ergatif marque aussi celui du génitif.

Il se peut qu'un même marquage au sein de la phrase nominale et de la phrase verbale ne soulève pas d’ambiguïté. Dans cette perspective hypothétique, le marquage identique est lié à l'économie linguistique ou ce que Dixon (1994) nomme « efficience principle » qui veut qu'en diachronie, une langue réduise ses ressources morphosyntaxiques. Payne (1997) et Dixon posent par ailleurs ce principe comme une hypothèse qui tendrait à analyser les systèmes tripartites tels que le nez-percé, où l'argument d'un verbe ne pouvant recevoir à la fois une marque de transitivité et d'intransitivité, manifeste une même marque flexionnelle sans causer d'ambiguïté dans la phrase. Le nez-percé, pour rappel, ne marque pas l'actant I d'un intransitif. Il marque de deux façons les actants d'un transitif. Soit l'actant I reçoit la marque de l'ergatif dans le même temps que l'actant II une marque d'objet, soit aucun des deux actants n'est marqué. L'actant I a dans ce cas une marque zéro, tout comme la marque d'intransitivité dans une proposition à un actant. De plus, la similarité de ces

290 Le nez-percé et le sahaptien font partie du groupe proto-sahaptien. Le sahaptien se divise en deux branches, celle de la rivière Columbia et celle du Nord, elle-même divisée en sahaptien du Nord-Est et du Nord-Ouest.

marques peut être due au fait que le nez-percé ne distinguerait pas au niveau de la racine, les noms et les verbes alors que des distinctions marquées on été observées au niveau morphosyntaxique et sémantique (hypothèse de la polycatégorialité (Lois et Vapnarsky 2003 et 2006)). L'identité des deux marques témoigne, dans une autre perspective d'analyse, soit de la porosité entre les catégories nominales et verbales, soit d'un parallèle entre les projections des nucléus verbaux et nominaux afin d'analyser l'identité du marquage de l'ergatif et du génitif, comme le pensent Bittner et Hale (1996) qui rejettent la relation étroite entre les catégories du nom et du verbe. Soit les exemples en nez- percé (204) à (209) :

(204) tamáhsat hi-ceepééw̓i-se ʾááyat

Tamáhsat S3SGINTR-choisir-PRS femme

« Tamáhsat sélectionne une femme. »

(205) ʾááyat hi-wéé-s céépeew̓i-t

femme S3SGINTR-être-PRS choisir-ACTPT

« La femme est choisie. »

(206) céépeew̓i-t ʾááyat-nim

choisir-ACTPT femme-GEN

« La sélection de la femme »

(207) céépeew̓i-t hi-kúú-ye halx̣pááwinaq̓it-pa

choisir-ACTPT S3SGINTR-arriver-PST lundi-LOC

« La sélection a eu lieu lundi. »

(208) haacwal-nim pee-ceepééw̓i-se ʾiníít-ne

garçon-ERG S3SGO3SG-choisir-PRS maison-OBJ

« Le garçon choisit la maison. »

(209) ʾiníít-nim céépeew̓i-t

maison-GEN choisir-ACTPT « La sélection de la maison. »

Dans le premier, les deux actants sont non marqués et le préfixe verbal de ceepééw̓i, « choisir » est un intransitif. L'actant I tamáhsat, est agent et l'actant II ʾááyat, « femme » est patient. La forme participiale céépeew̓it, « sélection » en (205) est nominalisée en (206). Le morphème -nim est suffixé au nom dépendant du nucléus céépeew̓it, « sélection » : en (207), l'argument ou nom dépendant ʾááyat, « femme », qui présente le génitif est élidé. Le suffixe -nim en (208) est une marque d'ergativité et une marque génitivale en (209).

Dans le document Changement lexical en nez-percé (Page 133-138)