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L’acte de dénonciation peut aussi concerner le locuteur, responsable d’avoir tenu un discours faible ou faux. Il faut rappeler que l’adversaire, s’il est réfuté, n’est pas forcément dénoncé, et que le dénoncer risque de rendre coupable le réfutateur d’une argumentation ad

personam. Nous verrons que tel n’est pas vraiment le cas chez Diderot puisque la

dénonciation des adversaires semble se faire en fonction des reproches qui leur sont adressés.

1. 2. 1. Les adresses signifiantes

Deux possibilités sont envisageables : soit l’adversaire, comme c’est le cas le plus souvent, fait partie des destinataires à convaincre, soit, comme c’est le cas avec des adversaires plus difficiles, il n’en fait pas partie, le locuteur considérant le plus souvent que la partie est perdue d’avance.

Pour que l’argumentation soit efficace, lorsqu’il est question d’agir également sur celui qui n’est pas d’accord, il est souvent préférable de ménager la face de l’adversaire. Lors des joutes oratoires, la représentation linguistique de l’adversaire est souvent positive. « Mon cher Cléobule », ainsi s’adresse toujours Ariste à son ami-ennemi Cléobule113.

La dénonciation des locuteurs ne concernerait ainsi que les adversaires plus sérieux, plus dangereux. Prenons l’exemple de l’évolution de la correspondance avec le frère :

113 Voir Catherine Kerbrat-Orrechionni (1992 : 163) : « Relèvent de la politesse, tous les aspects du discours qui

sont régis par des règles qui interviennent au niveau de la relation interpersonnelle et qui ont pour fonction de

Mon cher ami, je ne saurais me persuader que la nature t'ait aussi étrangement bistourné

que tu l'es. Tu t'es fait ce que tu es. Écoute, reviens sur tes pas. Sois bon, sois doux, sois honnête, sois tolérant. […] Ne souille pas ce que tu fais de bien, par une férocité qui révolte. N'attends pas au dernier moment pour être éclairé sur des actions que tu te justifies peut- être à présent. Les sophismes disparaissent au lit de la mort. C'est alors que tu te verras mauvais prêtre, mauvais citoyen, mauvais fils, mauvais frère, mauvais oncle, méchant homme. Et que te serviront les bouts de chandelles, les bâtons de cotrets, les croûtes de pain, les deniers que tu auras distribués aux pauvres ? Cela en imposera peut-être encore à la multitude, mais cela ne t'en imposera plus à toi, et tu finiras désespéré. L'abbé, je t'en conjure ; rends-toi à la société ; rentre dans ta famille ; c'est tout ce que tu as de mieux à faire pour le présent et pour l'avenir. […] Adieu, l’abbé. Ne va pas croire que je te haïsse au moins. Je ne hais personne, même pas les ingrats, et j’en fais quelquefois ; et ceux que je fais ne me dégoûtent pas d’en faire encore. Nous t’attendrons toujours les bras ouverts. Tu reviendras quand tu voudras, quand tu seras las de te tourmenter. Celui qui te donne l’absolution est un homme bien méprisable. Ton frère et ton ami. (Lettre du 25 septembre 1772, Correspondance, 1129).

C’est l’évocation du portrait de celui que le frère de Diderot risque de devenir s’il persévère dans son comportement intolérant qui semble faire passer l’adresse du « cher ami » à « l’abbé ». Le philosophe tente de ramener son frère à la raison et à sa famille, en tâchant notamment de réduire la dichotomie société/abbé, dichotomie qui est et qui demeurera fondatrice de sa pensée. Sa parole se veut encore persuasive, mais tout se passe comme si, en appelant son frère « l’abbé », il avait déjà conscience du refus que ce dernier lui opposera : l’abbé, fondamentalement, comme par définition, ne peut pas être celui qui se rend à la société. Peu de temps après, le dialogue se fait plus violent, et laisse place à des adresses plus virulentes, où alternent l’ironiquement respectueux « monsieur l’abbé », le très virulent « maître Pierre », et le faussement compatissant « mon pauvre prêtre » :

Oui, maître Pierre, j’ai des docteurs, des évêques, à qui mon incrédulité n’est pas inconnue, pour bienfaiteurs et pour amis. […] Allez, maître Pierre, j’ai, dans votre état même, de quoi me consoler de votre ineptie. Et surtout, apprenez qu’un professeur de Sorbonne vient de dicter dans ses cahiers publics qu’un athée peut être un honnête homme, parce qu’il est né tel, comme moi ; parce qu’il a pu concevoir tous les avantages de la probité, même en ce monde, comme moi ; parce qu’il peut être inconséquent dans la pratique, à ses principes spéculatifs, comme beaucoup d’autres. […] Tu rabâches, maître

Pierre. […] Tenez, mon pauvre prêtre, si je m’y mettais, je barbouillerais encore cinq ou

six feuillets de vos œuvres méritoires ; et j’appellerais cela la vie d’un saint. […] Monsieur

l’abbé, je ne suis nullement votre serviteur. Je suis un bon philosophe indigné de l’outrage,

sensible à l’injure, à l’injustice, à la dureté, à la noirceur ; mais tout prêt à recevoir son frère, sans aigreur, sans reproches, sans ressentiment, lorsqu’il lui plaira de se remontrer. Jusqu’à ce moment : paix et silence. Plus de lettres à recevoir, plus de réponses à faire. (Lettre du 13 novembre 1772, Correspondance, 1146-1152).

Monsieur l’abbé, si j’étais sûr de retrouver mon frère dans cette lettre, je l’ouvrirais et je

ne la lirais pas sans verser de larmes de joie. Mais j’aime mieux vous la renvoyer toute cachetée, et m’épargner deux peines ; l’une d’entendre et l’autre de répondre des choses déplaisantes. […] Pour excuser vos torts, vous m’en supposez ; ce moyen n’est ni honnête,

ni chrétien… (Lettre du 17 ou 18 décembre 1772, Correspondance, 1152).

Le philosophe n’est pas parvenu à ramener son frère vers lui, même en invoquant le sentiment familial. Le dialogue, de difficile, devient impossible : en décembre 1772, Diderot refuse

même de lire son frère et préfère le silence à l’éprouvant dialogue de sourds. L’abbé et le philosophe n’ont pu se persuader l’un l’autre : leurs stratégies argumentatives respectives sont demeurées inefficaces, puisqu’il apparaît évident que les valeurs sur lesquelles elles reposent sont contraires. Partant, le clivage est irréductible. L’abbé Diderot (et les dévots en général) érige la religion en valeur première, tandis que le philosophe choisit l’humain.

Les adresses font certes référence à la réalité empirique, mais elles sont surtout choisies en fonction des reproches faits à Didier-Pierre Diderot : c’est dans son essence d’abbé qu’il est accusé. Malgré cette cohérence entre le choix de l’adresse et le propos tenu, nous sommes proches de l’injure. L’énervement du philosophe, dans ces lignes, est palpable. Mais s’il est parfois palpable dans la correspondance, il est rare que cela soit le cas dans les œuvres fictives : la figure philosophique, nous semble-t-il, fait toujours preuve de calme et de sang- froid. MOI, par exemple, malgré ses sentiments à l’encontre du Neveu, tâche de se contenir. Ainsi, les injures se trouvent plus naturellement du côté ennemi : elles sont une preuve de faiblesse, et il n’est pas étonnant de lire dans les Observations sur Hemsterhuis (760) : « Songez d’ailleurs, monsieur, qu’il ne faut jamais injurier ».

Du côté philosophique, l’injure est souvent tempérée par l’ironie, comme c’est le cas dans cet exemple tiré des Mélanges pour Catherine II (269) :

Saint Louis, le bon et juste Saint Louis, disait à Joinville : « Le premier à qui tu entendras mal parler de Dieu (c'est-à-dire du Dieu de Saint Louis et de Joinville), crève-lui moi le ventre avec ton épée ». Et quand on pense que Saint Louis fondait toute morale, toute sécurité publique et particulière, tout lien entre les hommes, toute vertu, sur la notion d’une divinité, son mot n’a plus rien d’atroce ! À ses yeux, l’incrédule devait être le plus odieux des tous les malfaiteurs.

L’ironie permet ici de remettre en question l’autorité du modèle qu’est Saint-Louis. Le contenu du discours direct, attribué à ce roi, ne laisse planer aucun doute : il faut lire qu’il n’est ni bon ni juste, la preuve étant ce qu’il a pu dire à Joinville. Aussi la périphrase le désignant est-elle évidemment polyphonique : « le bon et le juste Saint Louis », « comme on le dit couramment », aurait pu rajouter Diderot. Ce qu’il dénonce, ce sont non seulement Saint Louis et son discours, mais c’est aussi Saint Louis en tant que modèle brandi par l’Église pour fasciner les peuples.

La façon de désigner peut être plus subtile que la simple dénonciation, et peut servir l’argumentation : le frère devient l’abbé dans la correspondance, et c’est toute sa vision du monde qui est contestée. De la même manière, MOI, dans le Neveu de Rameau, se fait couramment appeler par LUI « monsieur le philosophe » . A priori, cette façon de désigner

MOI est conforme à la réalité empirique de ce dernier et ferait ainsi référence au locuteur en tant qu’« être du monde » qu’il est. Mais ne peut-on pas considérer qu’elle fait également référence au locuteur « en tant que tel114 » qu’est MOI, dans la mesure où ce dernier tient un

discours exactement conforme à sa nature de philosophe, ce qui dénigre quelque peu ce discours, et qui par ailleurs illustre et rend victorieuse la thèse déterministe, soutenue, certes parfois un peu violemment, par le Neveu ? La périphrase « monsieur le philosophe », dans le contexte de l’œuvre, agit comme une dénonciation au service de l’argumentation de celui qui réfute.

Cela ne se passe pas autrement dans la Promenade du sceptique. Les « aveugles » de l’allée des épines ne sont-ils pas ceux dont la vue est courte, ceux dont le jugement est intolérant, et qui produisent ainsi des discours à la mesure de leur condition115 ? Diderot, avec

d’autres philosophes, renverse la métaphore de la lumière et de l’obscurité, de la vue et de la cécité, employée par la théologie : les aveugles, cela est certain, ne sont plus les incrédules.

1. 2. 2. Dépersonnaliser : degré de présence et d’identification

La dénonciation, nous semble-t-il, ne se lit pas que dans les adresses, mais aussi dans la façon de représenter, de caractériser les ennemis. On l’a déjà vu, les dévots, pour prendre leur exemple, sont fourbes, hypocrites, vindicatifs : il importe donc de ne pas croire leur discours. Mais par ailleurs, ils sont des locuteurs très particuliers en ce que leur représentation, même lorsqu’ils prennent la parole, est minimale.

Leur portrait demeure finalement assez flou. Alors que conformément à la méthode et au style diderotien, les locuteurs sont multiples et mis en scène concrètement devenant ainsi personnages, les dévots font figure d’exception : en général peu incarnés, rares sont les représentations physiques et morales qui pourraient les caractériser et qui permettraient de les

114 Pour la terminologie, voir Oswald Ducrot (1984 : 199-200) : « Une fois que le locuteur (être de discours) a été

distingué du sujet parlant (être empirique), je proposerai encore de distinguer, à l’intérieur même de la notion de locuteur, le ‘locuteur en tant que tel’ (par abréviation ‘L’) et le locuteur en tant qu’être du monde (‘λ’). L est le responsable de l’énonciation, considéré uniquement en tant qu’il a cette propriété. λ est une personne ‘complète’, qui possède, entre autres propriétés, celle d’être l’origine de l’énoncé – ce qui n’empêche pas que L et λ soient des êtres de discours, constitués dans le sens de l’énoncé, et dont le statut méthodologique est donc tout à fait différent de celui du sujet parlant (ce dernier relève d’une représentation ‘externe’ de la parole, étrangère à celle qui est véhiculée par l’énoncé) ».

115 Il faut toutefois rappeler que chez Diderot, comme chez d’autres auteurs d’ailleurs, l’aveugle n’est pas

toujours celui dont le jugement est court. Il peut être bien au contraire celui qui a la faculté de voir plus loin. Cela correspond à un véritable topos littéraire, datant de l’Antiquité. Mentionnons le cas de l’aveugle Saunderson, ou encore les visions prophétiques de Bordeu dans la trilogie du Rêve (635) : « J’ai vu deux moignons devenir bras ».

identifier. Les dévots ne se démarquent que par leur appartenance au groupe-dévot, représentant cette doxa contre laquelle le philosophe lutte. Cela constitue bien une première attaque envers cet adversaire : ce n’est jamais le discours particulier du dévot qui parle qui est contesté, c’est le discours général dont il se fait docilement, sans le recours à la raison, le porte-parole. Jamais la parole dévote n’est individualisée, et pour cette raison elle est moins convaincante : impersonnelle, elle ne fait que prouver que celui qui la prend en charge n’est qu’un relais :

Rien n'est plus capable d'affermir dans l'irréligion, que de faux motifs de conversion. On dit tous les jours à des incrédules : « Qui êtes-vous pour attaquer une religion que les Paul, les Tertullien, les Athanase, les Chrysostome, les Augustin, les Cyprien, et tant d'autres illustres personnages ont si courageusement défendue ? Vous avez sans doute aperçu quelque difficulté qui avait échappé à ces génies supérieurs : montrez-nous donc que vous en savez plus qu’eux, ou sacrifiez vos doutes à leurs décisions, si vous convenez qu’ils en savaient plus que vous. » Raisonnement frivole. Les lumières des ministres ne sont point une preuve de la vérité d’une religion. (Pensées philosophiques, LVI, 37).

La voix dévote, représentée par l’indéfini on, s’efface derrière l’argument d’autorité, explicitement et sévèrement condamné dans le commentaire suivant le discours direct. Au lieu de donner de la force à l’argumentation, l’autorité des Pères de l’Eglise l’affaiblit au contraire car elle est revendiquée à mauvais escient.

Des procédés très divers permettent de créer cet effet d’irréalisation. On pense notamment aux termes abstraits, lorsqu’ils servent à désigner un groupe humain. C’est ainsi que dans l’énoncé « L’intolérance rétrécit les esprits et perpétue les préjugés116 », il semble

bien que l’intolérance, d’une certaine manière, désigne les dévots, puisqu’elle est leur apanage117.

Parfois, on constate également un refus de nommer, qui conduit à l’utilisation de pronoms personnels (et notamment on, comme on vient de le voir) ou de périphrases. Peu importe l’aveugle qui prendra la parole dans la Promenade du sceptique : un aveugle ou un autre, c’est du pareil au même, et c’est bien pourquoi il est inutile de les nommer.

Les Principes philosophiques sur la matière et le mouvement (681) débutent par l’évocation de « philosophes » qui, à tort, considèrent que la matière est incompatible avec le mouvement, et qui, de ce fait, se trouvent du côté de la thèse dualiste. Le texte se présente ainsi comme une réfutation de ces philosophes :

Je ne sais en quel sens les philosophes ont supposé que la matière était indifférente au mouvement et au repos. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que tous les corps gravitent les uns sur les autres, c’est que toutes les particules des corps gravitent les unes sur les autres,

116 Mélanges pour Catherine II, 263.

c’est que, dans cet univers, tout est en translation ou in nisu, ou en translation et in nisu à la fois.

Ces philosophes, indéterminés car constituant la doxa, désignent bien ici les ennemis, auteurs de la thèse que Diderot s’attache à combattre. On le voit, il faut se méfier de la terminologie : les philosophes ne désignent pas toujours les philosophes des Lumières, mais bien parfois leurs ennemis. Le « titre de philosophes et de beaux esprits » que s’arrogent ceux qui ne sont que des « insectes importuns » dont le travail est de troubler celui des vrais philosophes, se voit d’ailleurs contester dans les Pensées sur l'interprétation de la nature (592-593) :

Et vous qui prenez le titre de philosophes ou de beaux esprits, et qui ne rougissez point de ressembler à ces insectes importuns qui passent les instants de leur existence éphémère à troubler l’homme dans ses travaux et dans son repos, quel est votre but ? qu’espérez-vous de votre acharnement ? Quand vous aurez découragé ce qui reste à la nation d’auteurs célèbres et d’excellents génies, que ferez-vous en revanche pour elle ? quelles sont les productions merveilleuses par lesquelles vous dédommagerez le genre humain de celles qu’il en aurait obtenues ?

L’indétermination de ces figures persécutrices, tout en montrant le peu d’estime qu’on leur porte, ne fait pourtant que les rendre plus inquiétantes et plus menaçantes.

Il faut par ailleurs se poser la question de savoir si l’adversaire est, ou non, un destinataire. Y a-t-il véritablement dialogue ou non ? L’adversaire, le plus souvent, est aussi un destinataire dont on tente de changer l’opinion. Mais un destinataire n’est pas forcément un opposant, de la même manière qu’un opposant n’est pas forcément un destinataire. On ne s’adresse pas forcément à son adversaire : ce dernier peut-être délocuté.

Quelles peuvent être les raisons de cette délocution ? L’adversaire délocuté serait un adversaire avec qui la discussion est difficile, voire impossible, et qui dans le même temps, ne serait pas, ou plus, un adversaire digne de ce nom. Le dialogue de sourds et le désaccord grandissant qui s’instaure au fil du temps entre le philosophe et l’abbé font que ce dernier est poussé hors de la situation d’interlocution au fur et à mesure : Diderot, dans sa lettre du 17 ou 18 décembre 1772, refuse, comme on l’a déjà signalé, d’ouvrir la lettre de son frère.

Nous sommes dans le domaine de l’écriture : la présence des adversaires s’évalue de ce fait par la présence de leur voix. Cela met donc en cause les phénomènes de polyphonie118. Le

degré de présence des adversaires est variable : de la présence corporelle (ou plutôt de l’impression d’une présence corporelle) à ce que nous pourrions définir comme une présence- absence, en passant par une présence linguistique, les adversaires se manifestent de bien des manières, et cela, nous semble-t-il, peut être un indice de leur plus ou moins grande hostilité.

L’importance du corps chez Diderot, maintes fois soulignée, est telle que l’on peut se permettre de parler de sa présence. Pour reprendre l’exemple du Neveu, il est sans arrêt fait mention des manifestations corporelles de ce dernier119. C’est d’ailleurs avec son propre corps

que le Neveu réfute les propos de MOI. En effet, le fonctionnement physiologique, et donc moral, de LUI semble venir toujours contredire toutes les idées établies du philosophe :

MOI. – Au digne emploi que vous feriez de la richesse, je vois combien c'est grand dommage que vous soyez gueux. Vous vivriez là d'une manière bien honorable pour l'espèce humaine, bien utile à vos concitoyens, bien glorieuse pour vous. LUI. – Mais je crois que vous vous moquez de moi. Monsieur le philosophe, vous ne savez pas à qui vous vous jouez ; vous ne vous doutez pas que dans ce moment je représente la partie la plus importante de la ville et de la cour. Nos opulents dans tous les états ou se sont dit à eux- mêmes ou ne sont pas dit les mêmes choses que je vous ai confiées ; mais le fait est que la vie que je mènerais à leur place est exactement la leur. Voilà où vous en êtes, vous autres. Vous croyez que le même bonheur est fait pour tous. Quelle étrange vision ! Le vôtre suppose un certain tour d'esprit romanesque que nous n'avons pas, une âme singulière, un goût particulier. Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu, vous l'appelez philosophie. Mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde ? En a qui peut. En conserve qui peut. Imaginez l'univers sage et philosophe ; convenez qu'il serait diablement