I. INTRODUCTION 14
5. L’ergonome co-‐concepteur d’un produit innovant 62
5.2. Une démarche où l’ergonome est leader de la conception 62
En ergonomie, la finalité des projets de conception s’attache moins à la définition des caractéristiques des artefacts qu’à celles des situations dans lesquelles ces artefacts sont présents. La conception de la situation dans laquelle se déroule l’activité porte sur la définition des différentes composantes et des liens entre elles, afin de permettre le déploiement d’une activité efficace et préservant la santé des personnes.
Nous assistons depuis quelques années à un retournement dans la relation classiquement entretenue entre ergonomes et concepteurs : l’ergonome ne se contente plus d’alimenter par des recommandations des processus de conception d’artefacts maîtrisés par les seuls concepteurs mais doit au contraire contribuer à la mise en place d’une démarche globale et structurante (Pinsky,
1992) de façon à passer d’un projet conduit par la technique à une conduite de projet centrée sur l’activité actuelle et future.
Cette approche s’appuie sur une analyse de l’activité (portée par les ergonomes) et du projet, la mise en place d’une démarche structurée, participative et concertée (favorisée par les ergonomes), la conduite de simulation de l’activité permettant de se projeter dans l’activité future probable (outillée et animée par les ergonomes), la formalisation des résultats des simulations en direction des acteurs du projets (réalisée par les ergonomes en collaboration avec les acteurs du projet) et l’accompagnement du projet (conduit par les ergonomes). Dans un projet de conception pour un dispositif grand public, les acteurs devant impérativement être impliqués dans cette démarche de conception participative sont les décideurs, les utilisateurs et les concepteurs.
5.2.2. De l’analyse des besoins aux spécifications fonctionnelles
La phase d’analyse permet de construire des connaissances sur le projet et l’activité concernée ; elle va permettre de définir les enjeux du projet et permet de poser un diagnostic de projet afin de contribuer à la structuration et à la redéfinition des objets de ce dernier. L’analyse ergonomique de l’activité est le premier pas de la démarche de conduite de projet. L’objectif est de produire des connaissances liées à l’activité qui seront utiles à l’instruction des choix du projet et à la poursuite de la démarche. L’analyse de l’activité est conduite dans toute situation, dite de référence, ayant des déterminants (techniques, organisationnels, sociaux) pertinents au regard de la situation initiale, ou de la situation future. Cette analyse permet la production de connaissances sur l’activité, nécessaires à la poursuite de la démarche. Cela va permettre de formaliser des repères éclairant l’élaboration de premières solutions de conception (Daniellou, 2004), qui sont les scénarii de prescription ; et ensuite des scénarii d’action qui seront « joués » lors des simulations.
L’analyse des besoins doit permettre de mettre en lumière trois éléments distincts : les caractéristiques organisationnelles, techniques ou physiques des situations (Daniellou, 2004), les éléments structurants de l’activité des utilisateurs et les caractéristiques physiques et cognitives des futurs utilisateurs. L’ergonome peut également extrapoler des besoins à partir des connaissances scientifiques issues de la littérature en ergonomie sur des situations analogues à la situation envisagée ou bien sur le fonctionnement général de l’humain en activité finalisée.
5.2.2.a) Traduction des besoins en fonctions
Ensuite, les besoins vont devoir être traduits en fonction. Il existe deux principales catégories de fonctions : les fonctions relatives à l’utilisation du produit et les fonctions techniques. Les fonctions techniques décrivent les interactions entre les composants du produit et permettent d’assurer les fonctions relatives à l’utilisation (Couix, 2012). En ingénierie système, les besoins doivent être traduits en terme d’exigences que le système doit satisfaire Chapanis (1996) et (Maguire, 2001) définissent les exigences selon cinq dimensions distinctes d’un système :
-‐ les exigences physiques qui décrivent le système, son architecture, sa forme, sa taille, ses constituants.
-‐ les exigences fonctionnelles qui évoquent ce que le système doit et permet de faire aux utilisateurs.
-‐ les exigences opérationnelles qui décrivent les conditions d’opérabilités du système (performance, fiabilité, précision, etc.) qui vont influencer l’usage du système et ou/son contexte d’utilisation. -‐ les exigences d’interaction qui décrivent la manière dont les utilisateurs vont interagir avec le futur système.
-‐ les exigences organisationnelles
L’artefact en conception est le système dans sa globalité. 5.2.2.b) Spécifications des fonctions
Les spécifications de conception sont la forme la plus concrète de description du système ou du produit. Il s’agit de décrire de manière détaillée le système répondant aux exigences, en précisant ces dernières et en décrivant le fonctionnement du système.
Les spécifications ne représentent qu’une des réponses possibles aux exigences et aux besoins. Satisfaire l’ensemble des exigences n’est pas forcément réalisable et va dépendre des ressources allouées au projet ainsi que des possibilités techniques (Wulff, Westgaard, & Rasmussen, 1994). Les spécifications sont le résultat d’un compromis entre l’espace des besoins et des exigences d’un côté et l’espace des possibles de l’autre (Couix, 2012).
Figure 13. Processus d’analyse des besoins jusqu’aux spécifications fonctionnelles (Couix, 2012)
La phase de simulation vise à évaluer et enrichir les propositions des concepteurs. La simulation peut se dérouler selon deux modalités principales (Daniellou, 2007) : soit grandeur nature en utilisant par exemple un prototype. Les utilisateurs peuvent alors éprouver dans leur corps les améliorations apportées (ou pas) par la nouvelle solution, soit par un support de simulation réduit (par exemple une maquette). La simulation nourrit le dialogue entre utilisateurs et prescripteurs et autorise l’élaboration de solutions de conception négociées, de compromis, dont l’expérience montre qu’ils sont parfois innovants. La simulation est donc au cœur de la démarche ergonomique de conception. Elle vise à faire jouer l’activité future probable à des utilisateurs sur la base de scénarios de prescription proposés par les concepteurs et de scénarios d’action issus de l’analyse de situations existantes. Ces scénarios permettent de révéler de façon précoce les lacunes qui pourraient conduire à des difficultés de fonctionnement ultérieures, évitables par des modifications du scénario de prescription. Cela permet aussi de mieux s’approprier les principes de prescription s’avérant pertinents. La simulation va donc permettre de mettre à l’épreuve les modalités de cette appropriation.