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Construction des hypothèses auxiliaires supports au travail

1. Vers la délimitation de nouvelles hypothèses auxiliaires par l’introduction du concept de satisfaction

Le concept de satisfaction n’est pas étranger à la philosophie analytique sur laquelle prend appui le programme de recherche dans lequel s’inscrit ce travail. Il est notamment mobilisé en lien avec la problématique de « l’appréciation esthétique » sur laquelle Wittgenstein a beaucoup travaillé (Voir par exemple : Wittgenstein, 1961 ; 1992 ; 1996 ; 2002). Ainsi, « pour décrire adéquatement la satisfaction esthétique de quelqu’un, ou son insatisfaction, il est indispensable de se référer aux réactions esthétiques, comparable à ce que Wittgenstein nomme réactions naturelles ou instinctives… » (Chauviré, 2004, p. 48).

La satisfaction pourrait donc en premier lieu être associée à une réaction esthétique naturelle du sujet en relation avec une appréciation d’un objet. La particularité des réactions esthétiques tient en effet du fait qu’elles sont orientées vers leurs objets (Chauviré, 2014). Plus précisément, la satisfaction peut être considérée comme exprimée par une appréciation. Ainsi, tel que le précise Chauviré (1992) « l’appréciation esthétique ne consiste en rien d’autre pour Wittgenstein qu’en l’expression de cette satisfaction ; le véritable jugement esthétique est celui qui évalue la correction ou la justesse d’une exécution artistique » (p. 66). Autrement dit, le jugement positif porté par le sujet sur un objet donne à voir sa satisfaction, résultat d’une activité d’appréciation.

Il est toutefois à noter que la satisfaction ne peut être seulement assimilée à l’appréciation positive d’un sujet. Pour Chauviré (2014) il convient en effet « de la (la satisfaction) distinguer de l’appréciation positive » (p. 19). La satisfaction comporte aussi une visée. Ainsi, « seule une recherche aboutie, remplissant sa visée, et qui alors s’arrête, ou bien une explication apaisante, amène » la satisfaction (Chauviré, 2014, p. 19). La satisfaction correspond donc à une appréciation positive du sujet. Cette appréciation incite à la recherche. La satisfaction correspond à une appréciation positive du sujet suite à une recherche aboutie c’est-à-dire permettant de répondre à une visée. Autrement dit, la satisfaction implique donc à la fois une visée et une recherche destinée à l’atteindre.

De façon complémentaire, Laugier (2009) indique que la satisfaction résulte d’un jugement de goût : « le jugement esthétique… le jugement de gout … nous fait « attribuer à

tout un chacun la satisfaction apportée par un objet » (p. 257) ». Il s’agit du musicien qui a enfin trouvé la façon de jouer qui lui convient, c’est-à-dire qui lui semble juste. L’appréciation peut donc avec cette auteur être associée à une compréhension incarnée. Eprouver de la satisfaction, c’est effectivement apprécier or il ne peut, même si la réciproque n’est pas valide, y avoir de l’appréciation sans compréhension (Chauviré, 2014). La satisfaction puisqu’elle est appréciation nécessite de la compréhension. Ainsi pour Chauviré (2014), « pour apprécier une exécution musicale, il faut déjà la comprendre » (p. 16). Or, comprendre résulte de la saisie et de l’agencement d’aspects pertinents pour appréhender la signification d’une œuvre. Ainsi pour Chauviré (2014): « Comprendre une œuvre d’art consiste selon Wittgenstein à la voir-comme ou l’entendre-comme, c’est-à-dire à percevoir en elle un ou des aspects qui l’éclairent » (p. 12). Autrement dit, comprendre nourrit la capacité du sujet à expliquer en trouvant les bonnes comparaisons ou analogies. En ce sens, l’explication est donc constitutive de la satisfaction. Enfin, il est important de souligner que l’expression est présente tant dans la compréhension que dans l’appréciation (positive ou négative). Elle permet de les incarner : « Le comportement [au sens d’expression] de l’amateur d’art incarne littéralement son appréciation » (Chauviré, 2014, p. 13).

Une lecture minutieuse des travaux menés dans le cadre de la philosophie analytique sur la problématique de la satisfaction permet, semble-t-il, de distinguer deux types de satisfaction. Selon une première assertion, la satisfaction peut être considérée comme corrélée à la saisie d’un aspect qui convient dans la situation au sujet. Cet aspect est donc directement issu de l’expérience exemple constitutive du lien de signification initialement enseigné. Selon une seconde assertion, la satisfaction nait de l’explication qui satisfait et finalement apaise le sujet. Autrement dit, comme le souligne Chauviré (2010), « il y a deux sortes de satisfaction esthétique, l’une corrélée à la saisie d’un aspect qui convient, l’autre, à l’explication qui satisfait » (p. 32). Il s’agit respectivement d’une reconnaissance a postériori par comparaison ou bien d’une explication qui convient.

Selon la première assertion, la satisfaction résulte de la recherche et de l’obtention d’une certaine justesse (par exemple en termes d’activité d’enseignement dans la classe) au regard des conventions établies dans la communauté. Autrement dit, « la satisfaction esthétique est corrélée à la justesse esthétique, notamment à la convenance d’un aspect » (Chauviré, 2010, p. 42). La satisfaction se réfère donc à un étalon de justesse et plus particulièrement à un ou des aspects exemplaires qui pour le sujet conviennent. Dans un certain nombre de situations, cette recherche est une voie incertaine et nécessite des

tâtonnements du sujet afin qu’il aboutisse à un jugement esthétique source de satisfaction. C’est ainsi, par exemple, que procède l’écrivain qui cherche le « mot juste » et qui finit par le trouver « après avoir tâtonné » et s’en voit satisfait (Chauviré, 2010, p. 31). C’est d’ailleurs cette satisfaction qui initie l’arrêt de la recherche et le trouble qui animait le sujet. Tel que le précise en effet Chauviré (2010), « la recherche d’une explication satisfaisante, faite d’analogies, de juxtapositions, de comparaisons, (qui) apaise leur trouble » (p. 28). Autrement dit, une fois parvenu à ce qu’il recherchait, c’est-à-dire après avoir obtenu ce qu’il cherchait et l’avoir authentifié comme convenable et satisfaisant, celui qui était dans les tâtonnements les stoppe. En effet, « la satisfaction (est) sanctionnée par l’arrêt de la recherche » (Chauviré, 1992, p. 66). De façon complémentaire, il est à noter que la satisfaction faisant suite à cette recherche esthétique trouve, pour ainsi dire, sa source dans le résultat d’une comparaison. « La satisfaction suscite une authentification rétrospective (c’est ce que je voulais, je cherchais, avais en vue) » (Chauviré, 2010, p. 32). Il s’agit de la satisfaction que ressent le musicien qui trouve enfin la mélodie ou le bon tempo après les avoir cherchés : « le tempo de cette chanson sera juste lorsque je pourrai entendre distinctivement telle ou telle chose. J’ai indiqué un phénomène qui, s’il se réalise, me satisfera » (Chauviré, 1992, p. 66). Il s’agit aussi de la satisfaction exprimée par celui qui cherche un mot en vain et qui trouve alors ce mot alors qu’il l’avait « au bout de la langue ». La satisfaction peut donc être considérée comme résultant d’une comparaison entre, d’une part, un aspect attendu, exemplaire et souhaité et, d’autre part, un aspect trouvé qui convient (Narboux, 2009). Dans le cas de l’obtention de la justesse préalablement envisagée, c’est-à- dire d’une authentification rétrospective, le sujet éprouve alors de la satisfaction (Narboux, 2009).

Mis en discussion avec l’objet de cette étude, cette avancée théorique permet d’interroger les circonstances de formation source potentiellement d’une satisfaction professionnelle chez les EN.

Comme nous avons pu préalablement l’expliciter, la satisfaction professionnelle peut être considérée comme directement corrélée à la justesse du travail du point de vue de ceux qui le réalisent, c’est-à-dire corrélée à une authentification rétrospective par les travailleurs de ce qui était attendu. Autrement dit, aboutissant aux résultats attendus lors des suivis des règles considérées, les EN devraient s’en trouver finalement satisfaits. A ce niveau, il est possible de poser comme hypothèse que ce constat peut relever de deux types de circonstances de formation. Tout d’abord, la satisfaction des EN peut être alimentée par les situations de

formation concourant à l’apprentissage de nouvelles règles. La satisfaction est alors consubstantielle au constat par les EN des résultats attendus suite à leurs premiers suivis de toute règle préalablement enseignée par les formateurs et encore en cours d’apprentissage. Ensuite, la satisfaction des EN peut être alimentée par les situations de formation concourant à l’émergence de nouveaux usages des règles préalablement apprises. En élargissant les circonstances dans lesquelles il est possible de « faire jouer » les règles apprises, les EN les ajustent au cours de leurs suivis jusqu’à aboutir à ce qu’ils attendent en termes de résultats. C’est au cours de cet usage « extensif » des règles apprises qu’ils se trouvent consubstantiellement satisfaits de leur activité. Une première forme d’insatisfaction du travail réalisé émerge lorsque ces usages renouvelés des règles ne parviennent pas à obtenir les résultats obtenus dans les circonstances antérieures et actuellement attendus. C’est dans ces cas ordinaires de formation qu’un « problème » émerge (Olszewska & Quéré, 2009), accompagné d’un jugement d’insatisfaction des actions réalisées. Une deuxième forme d’insatisfaction peut être engendrée par l’organisation elle-même du travail en formation (contraintes d’efficacité factices imposées sur la base de référentiels d’activités imposées et non liées aux règles du métier, prescription de qualité trahissant la qualité attendue du travail au profit d’un plus grand rendement ou d’une rationalisation du travail etc.). Cette insatisfaction profonde et durable produit des « empêchements » (Clot, 2008) ou des dilemmes chez les EN, qui se trouvent ainsi dans l’impossibilité de suivre correctement les règles apprises et en souffrent (Donahue, 1999). Bien que les cas « d’empêchement » et de souffrance au travail des EN soient récurrents et cruciaux pour la compréhension des phénomènes de santé au travail et de démission lors des premières années d’exercice du métier (Schmidt & Knowles, 1994), dans cette étude nous nous limiterons à l’étude de cas « d’insatisfaction » que l’on retrouve dans des circonstances ordinaires de formation dans lesquelles des « problèmes » d’efficacité se posent aux EN, sans que leur santé en soit affectée profondément et durablement.

La satisfaction peut être aussi considérée comme résultant d’une explication qui convient au sujet. Il s’agit alors de « la bonne explication » c’est-à-dire de « l’explication qui lui parait telle ou qui le satisfait (comme en philosophie, « le mot qui délivre ») » (Chauviré, 2010, p. 31). Autrement dit, le sujet trouve satisfaction lorsqu’il produit des explications qui conviennent. Il est satisfait des explications qu’il fournit car elles fournissent les raisons de son appréciation de tel ou tel aspect dans la situation. Ainsi, « la bonne explication est celle qui le satisfait (…) elle exprime les raisons qu’a l’intéressé d’apprécier une œuvre d’art ; ces

raisons, lui seul peut les donner ; une explication… est personnelle en premier personne, et elle doit satisfaire » (Chauviré 2010, p 31). Il est à ce niveau possible de poser comme hypothèse que l’aboutissement à ce type de satisfaction professionnelle peut relever de certaines circonstances de formation. Ce sont plus précisément l’ensemble des circonstances au sein desquelles les EN seront en quelque sorte placés dans la possibilité de pouvoir s’expliquer sur ce qui a été ou n’a pas été réalisé en situation de travail. Profitant de l’occasion qui leur sera offerte par les formateurs de s’expliquer, les EN pourront alors s’engager dans une activité d’explication source potentiellement de satisfaction. Cette hypothèse théorique permet, par exemple, de questionner autrement les logiques dialogiques entre les formateurs et les EN en cours d’ECP. Il apparaît en effet possible de considérer que les formateurs ont un rôle à jouer dans l’appréciation professionnelle de ce qui a été réalisé par les EN pour permettre ensuite à ces derniers d’entrer dans une activité d’explication source potentiellement de satisfaction en situation de formation.

2. Vers l’établissement de liens entre la satisfaction et le bien-

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