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CHAPITRE 3. LA RÉVÉLATION DE LA VALEUR PERSONNELLE D’AUTRUI:

3.2.1. Définitions négatives et positives de l’amour

Avant de procéder à l’étude phénoménologique positive de l’amour, Scheler commence en donnant des définitions négatives à ce sujet, en vue d’écarter certaines idées répandues qui ne reflètent pas la véritable essence de l’amour. Ainsi, notre philosophe conteste la thèse –défendue par les empiristes anglais- qui soutient qu’il y aurait nécessairement un élément de bienveillance (Wohlwollen411) dans tout amour, voire que les

deux notions seraient équivalentes, en rattachant ainsi l’amour à l’idée du bien et, plus précisément, à l’idée d’une tendance ou d’une aspiration vers le bien (de quelque chose ou de quelqu’un). Cependant, Scheler remarque que le bien ou la bienveillance ne constitue pas « un élément nécessaire et essentiel de l’amour »412, et cela pour deux raisons :

premièrement, nous pouvons aimer des objets envers lesquels l’attitude de bienveillance – au sens de viser le bien de l’objet aimé- est vide de sens, par exemple, lorsque nous aimons Dieu, l’art ou la science. Deuxièmement, l’amour ne peut être réduit à aucun type de tendance que ce soit, puisque toute tendance possède deux caractéristiques incompatibles avec l’amour : d’une part, celle-là cherche toujours à obtenir quelque chose ou, dit autrement, « à réaliser un certain contenu »,413 et d’autre part, une fois que la tendance a satisfait ce but, elle disparaît totalement. Mais autant l’obtention de quelque chose que la satisfaction qui s’ensuit sont des concepts étrangers à l’amour. En fait, l’amour « suit même une loi opposée à celle de la tendance ou du désir »414, car tout désir cesse au moment

d’être satisfait, tandis que l’amour « reste inchangé ou bien manifeste une activité plus intense, dans le sens d’une pénétration plus profonde dans son objet »,415 ne pouvant

simplement cesser comme cesse le désir pour quelque chose une fois que celle-ci est obtenue.

Scheler critique ensuite l’idée très répandue que l’amour ne constituerait plus qu’un sentiment ou une passion, étant donné que les sentiments en général renvoient à des réactions, à des attitudes passives, en allant ainsi à l’encontre de la nature de l’amour qui est

411 Max Scheler, Wesen, p. 145. 412 Max Scheler, Nature, p. 211. 413 Ibid., p. 212.

414 Ibid. 415Ibid.

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avant tout un mouvement actif ou « un acte spontané ».416 De cette façon, l’amour et la haine ne peuvent pas être ramenés à des faits plus simples en général, comme des tendances ou des sentiments. Au contraire, l’amour est même « indépendant des variations des états psychiques ; comme des rayons calmes et fermes, les manifestations de l’amour restent concentrées sur l’objet une fois choisi, malgré et en dépit de ces variations ».417

L’amour –tout comme son contraire, la haine- ne constitue pas non plus un acte cognitif, c’est-à-dire qu’il n’entraîne pas une connaissance ou un jugement rationnel par rapport à l’objet aimé et aux valeurs qu’il porte.418 Comme l’affirme M. Frings, « love (and

hatred) is an immediate mode of response to objects of value and does not in any way have anything to do with judgments about objects and their values ».419 En ce sens, l’amour et la haine possèdent un « caractère élémentaire [...], encore plus élémentaire et plus primitif que celui des ‘jugements’ »,420 puisqu’ils s’adressent « nécessairement au noyau individuel des

choses, au noyau-valeur, pour ainsi dire, qui échappe à tout jugement, voire à toute perception ».421

Dans cet ordre d’idées, l’amour n’équivaut pas strictement à la perception de valeurs, mais en fait il la précède : l’amour est un acte par lequel nous tournons notre attention, notre intérêt vers l’autre, condition pour ensuite devenir sensibles aux valeurs que celui-là porte. Dit autrement, avant que je sois capable de découvrir les valeurs propres à quelque chose, il faut d’abord que celle-ci devienne l’objet de mon attention, que je me dirige vers elle.422 Pour reprendre les mots de G. Mahéo, « sans un acte d’amour pour

416 Ibid. p. 214.

417 Ibid., p. 221.

418 Scheler s’oppose donc à la conception intellectualiste de l’amour de Platon, d’après laquelle l’amour – éros- ne serait qu’un mouvement, une tendance « de la connaissance imparfaite à la connaissance parfaite ».

Max Scheler, « Amor y conocimiento » dans Max Scheler, Amor y conocimiento y otros escritos, trad. Sergio Sánchez-Migallón, Madrid, Palabra, 2010, p. 23, ma traduction; Alfredo Álvarez Lacruz, El amor: de Platón

a hoy, Madrid, Palabra, 2006, p. 210.

419Manfred S. Frings, Max Scheler, p. 68-69. Souligné dans l’original.

420 Scheler ajoute encore que l’amour et la haine « représentent des attitudes émotionnelles, primitives et

directes à l’égard de ce qui possède une valeur, sans que la perception même de la valeur [...] y intervienne ». Max Scheler, Nature, p. 222, 224.

421Ibid., p. 224.

422Comme l’affirme A. Deeken, « there can be no knowing [de valeurs] without the knowing subject going

out of himself and participating in another being. This self-transcending movement is love or self-surrender ». Alfons Deeken, op.cit., p. 186.

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quelque chose (ou quelqu’un) le sujet serait incapable de percevoir la moindre valeur ».423

Bref, la profondeur dans notre perception de valeurs est en fonction de la profondeur de notre amour : plus notre amour s’élargit, plus s’élargira aussi notre horizon axiologique ou, en d’autres termes, plus nous aimons, plus nous sommes capables de percevoir des nouvelles valeurs dans la personne ou chose aimée.424

Effectivement, si l’amour était une conséquence d’un jugement ou de la perception d’une valeur, il constituerait une réaction et non pas un acte, ce qui s’opposerait à sa nature spontanée. Scheler insiste donc sur le fait que l’amour n’est pas « une réaction subséquente à une valeur préalablement perçue ».425 En fait, toutes les valeurs que nous pourrions percevoir dans l’objet aimé ne se présentent comme telles que parce que c’est l’objet aimé

qui les porte. Par exemple, je n’aime pas une personne parce que je la trouve « belle » ou,

en d’autres termes, mon amour n’est pas une réaction à la beauté d’autrui, mais je suis capable d’apprécier sa beauté unique parce que je la regarde avec des yeux d’amour ; ou bien, je ne l’aime pas parce qu’elle est juste, mais j’apprécie le caractère juste de cette personne au moment où elle devient l’objet de mon amour. Ainsi, « toutes les caractéristiques, toutes les activités et toutes les œuvres de l’objet aimé ne reçoivent toute leur valeur que de cet objet lui-même qui en est le porteur, ou du sujet qui les réalise ».426 C’est n’est pas donc la valeur qui est la cause de l’éveil de mon amour, mais c’est en fait l’amour qui est la condition qui permet que je sois capable de percevoir ces valeurs. D’après Scheler, la preuve que l’amour n’est pas le résultat de la perception de telle ou telle valeur se trouve au moment où nous essayons de donner aux autres des raisons de notre amour pour quelqu’un ou quelque chose, car « on constate alors que les ‘raisons’ alléguées sont des raisons trouvées après-coup et ne sont en aucune manière adéquates à ce qu’elles sont destinées à justifier, à fonder ».427 Une deuxième preuve est le fait que l’apparition des mêmes valeurs de la personne aimée dans une autre personne n’éveille pas nécessairement notre amour pour cette dernière, l’objet original de notre amour demeurant ainsi

423Gabriel Mahéo, op.cit., p. 144.

424 Max Scheler, « Amor y conocimiento », p. 45-46. 425 Max Scheler, Nature, p. 230.

426 Ibid., p. 224-225.

427 Ibid., p. 224. Scheler même affirme que le fait de vouloir répertorier et ranger les qualités et les valeurs de

la chose aimée serait « une ‘faute’, une ‘indélicatesse’, une ‘profanation’ de l’amour [...]. On ne lit pas une lettre d’une personne aimée en lui appliquant les ‘normes’ de la grammaire, de l’esthétique ou du style. On croirait commettre une ‘profanation’ en le faisant ». Max Scheler, Nature, p. 224.

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irremplaçable.428 En outre, Scheler souligne qu’à la différence de la sympathie ou de la pitié, l’amour et la haine ne constituent pas des attitudes émotionnelles intrinsèquement sociales, puisque l’on peut s’aimer ou se haïr soi-même, de sorte que « pour qu’il y ait amour et haine, il n’est donc nullement nécessaire que l’acte soit dirigé sur ‘autrui’ »,429

que ce soit un autre individu ou une collectivité.430

Scheler approfondit ensuite les définitions positives de l’amour et de la haine, en commençant par l’identification des similitudes et des différences entre les deux. À cet égard, le seul point commun entre eux est que « they do not fall within the zone of indifference, but take a strong interest in the object as the bearer of some value ».431 En ce sens, si l’amour peut être considéré comme « un mouvement qui se dirige des valeurs inférieures aux valeurs supérieures »,432 la haine « représente un mouvement en sens inverse »,433 c’est-à-dire que la haine fait abstraction des valeurs les plus hautes, tout en dirigeant son regard positivement vers les valeurs les plus basses. En d’autres termes, dans l’amour, c’est une valeur supérieure qui est donnée immédiatement, tandis que dans la haine c’est une valeur inférieure qui est saisie de la même façon.434 Cela entraîne que la

haine ne constitue pas une négation des valeurs en général, puisqu’elle implique une « intention positive »435 envers les valeurs inférieures. Un exemple serait l’acte de haïr une personne qui se révèle à nos yeux comme injuste: dans ce cas il est évident que la haine ne nie pas cette valeur; au contraire, elle la perçoit clairement et se dirige positivement vers elle.

428 Ibid., p. 224; Leonardo Rodríguez Duplá, « La esencia y las formas del amor según Max Scheler », Anuario Filosófico 1, 45, 2012, p. 79-82.

429 Max Scheler, Nature, p. 226.

430Dans ce cadre, Scheler rejette les théories positivistes qui prétendent identifier l’amour avec l’altruisme,

étant donné que celui-ci entraîne nécessairement un « oubli de soi » pour aller vers autrui, c’est-à-dire « une sollicitude de l’homme pour les autres hommes, une forte tendance à faire abstraction de soi-même et de ses propres faits et expériences psychiques » (Max Scheler, Nature, p. 226). Mais cet oubli de soi ne constitue pas une caractéristique essentielle à l’amour, puisque si tel était le cas, l’amour de soi-même ne serait pas possible. Il faut également souligner que Scheler ne nie pas qu’il y ait un « amour d’autrui », puisque, tel que nous l’avons vu dans notre chapitre sur la sympathie, il reconnaît l’existence d’un amour de l’humanité (collectif) ainsi que d’un amour personnel (individuel). Ainsi, Scheler vise seulement à souligner que l’altérité n’est pas essentielle à l’expérience de l’amour. Ibid., p. 226-228.

431 Max Scheler, « Ordo amoris », p. 125. 432 Max Scheler, Nature, p. 229.

433 Ibid. 434 Ibid. 435 Ibid.

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Toutefois, le fait que l’amour et la haine soient les deux mouvements antithétiques qui gouvernent la vie intérieure de l’homme n’entraîne pas qu’ils soient « equi-primordial modes of behaviour »,436 c’est-à-dire que la haine en particulier n’est pas aussi originaire

que l’amour, puisque « our heart is primary destined to love, not to hate ».437 En fait, la

haine présuppose l’amour pour quelque chose de valeur supérieure qui devrait exister ou avoir la place de la chose de valeur inférieure visée par la haine : en reprenant l’exemple de la personne injuste, si je la hais c’est parce que je considère que c’est la personne juste qui devrait exister à sa place, parce que je perçois le juste comme la valeur qui devrait prédominer dans le monde. La haine découle ainsi de l’intuition que l’ordre objectif des valeurs est en train d’être renversé, de sorte que celle-là « is always and everywhere a

rebellion of our heart and spirit against a violation of ordo amoris ».438

Examinons maintenant de plus près les caractéristiques propres à l’amour.439 À ce

sujet, le fait que l’amour constitue un mouvement implique que celui-ci « n’est pas une contemplation fixe [...] d’une valeur existant devant nos yeux et donnée une fois pour toutes »,440 c’est-à-dire que l’amour ne cesse pas après avoir perçu telle ou telle valeur,

mais il possède un dynamisme intrinsèque qui l’amène à découvrir constamment des valeurs de plus en plus hautes dans son objet. Pour mieux saisir ce point, il convient de retenir l’échelle schelerienne des valeurs (sensuelles, vitales, spirituelles de culture et spirituelles religieuses)441, étant donné que tout objet potentiel d’amour possède une

image axiologique idéale et particulière qui se fonde plus ou moins sur l’image axiologique générale représentée par la hiérarchie mentionnée.442 Par exemple, un être humain concret

possède idéalement certaines valeurs sensibles, vitales-psychiques et spirituelles et c’est l’amour qui est capable de pressentir ces dernières par voie d’un mouvement ascendant. En effet, ces valeurs ne se présentent pas toutes d’un coup dans l’acte d’aimer ; l’amour s’éveille là où il y a un objet porteur de valeur, cette valeur pouvant correspondre

436 Max Scheler, « Ordo amoris », p. 126. 437 Ibid. Souligné dans l’original.

438 Ibid., p. 127. Souligné dans l’original.

439 Il convient de remarquer qu’« all that Scheler says about love pertains to hatred, too, only with a negative

sign ». Manfred S. Frings, Max Scheler, p. 69.

440 Max Scheler, Nature, p. 230. 441 Cf. le tableau 1 en annexe.

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initialement, par exemple, à la sphère vitale ou psychique, de sorte que c’est le dynamisme propre à l’amour qui dévoilera graduellement les valeurs supérieures initialement cachées ou existant jusqu’à ce moment « à titre de potentialités »,443 à savoir les valeurs spirituelles

et personnelles.444

Cela dit, il est important de souligner que l’amour n’impose pas « à son objet des valeurs extrinsèques à sa nature »,445 puisqu’il dévoile plutôt les valeurs supérieures qui

correspondent à l’essence axiologique particulière de cet objet. Ainsi, cette essence ou image axiologique idéale « existe déjà d’une façon latente dans les valeurs données qui s’offrent à notre perception, ce qui exclut toute ‘projection’ dans les choses d’une valeur qu’elles ne comportent pas et, avec la projection, toute illusion ».446 Dans cet ordre d’idées,

l’amour possède un caractère créateur, mais non pas dans le sens où l’amour créerait « les valeurs ou leur supériorité »,447 mais dans le sens où il est capable de découvrir de nouvelles valeurs, ces valeurs étant nouvelles pour l’amant, c’est-à-dire inconnues par ce dernier avant l’éveil de l’amour. Bref, ces valeurs « ne sont supérieures et nouvelles que par rapport à notre perception ».448

Par ailleurs, Scheler s’oppose à l’idée que l’homme serait le seul sujet ainsi que le seul objet d’amour ou, autrement dit, « qu’il s’agit dans l’amour et dans la haine de faits spécifiquement ‘humains’, c’est-à-dire propres à l’espèce humaine, se rattachant à la nature psychologique particulière de cette espèce ». En effet, l’amour ne porte pas sur l’être humain en particulier, mais sur le royaume des valeurs, de sorte qu’il ne se dirige vers l’être humain que parce que celui-ci constitue un objet –parmi bien d’autres- porteur de valeurs. D’après Scheler, la preuve que l’homme ne constitue pas l’axe de l’amour est que « nous aimons une foule de choses qui n’ont rien à voir avec l’homme et dont la valeur est absolument indépendante de celle de l’homme », comme c’est le cas de l’amour de la

443 Max Scheler, Nature, p. 231.

444 Antonio Pintor Ramos, op.cit., p. 249-250. 445 Ibid., p. 250. Ma traduction.

446 Max Scheler, Nature, p. 231. 447 Ibid.

448 Ibid. Si l’amour est un acte créateur dans le sens indiqué en haut, la haine est, au contraire, un acte

destructeur, « car elle tend à détruire les valeurs supérieures [...] et a pour conséquence de nous rendre incapables de discerner et de préférer ces valeurs supérieures ». Ibid.

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nature, de la connaissance, de l’art ou de la patrie.449 L’insistance de Scheler sur ce point

répond d’ailleurs à un objectif spécifique : réfuter la thèse de Feuerbach selon laquelle la seule façon d’aimer la réalité extrahumaine (mondaine et divine) serait par voie d’un « transfert anthropopathique »,450 qui consiste à attribuer des traits ou des valeurs humaines

à tout ce qui ne l’est pas. Ainsi, notre amour pour la nature serait le résultat d’une projection de sentiments et de caractères humains dans celle-là. Également, nous aimerions l’art seulement par le fait qu’il constituerait une expression, un reflet de la vie et de la nature humaine. Enfin, même l’idée de Dieu comme sujet qui aime et comme objet de notre amour ne serait « qu’une conséquence de l’introjection affective de tous les états psychiques de l’homme dans l’ensemble de l’Univers ».451 Cette perspective donc réduit

toute la réalité à des projections humaines, de sorte que tout objet d’amour serait tel seulement lorsqu’il serait possible de le ramener au niveau anthropologique.

Toutefois, Scheler qualifie cette vision plutôt comme « une forme apparente [...] et fantomatique »452 de l’amour, puisque l’amour véritable de la nature se caractérise par le fait d’apprécier cette dernière par elle-même, parce qu’elle possède des qualités axiologiques propres et tout à fait différentes de celles de l’être humain. Pour sa part, l’amour de l’art ne consiste pas à voir ma propre condition humaine ou mes propres sentiments reflétés dans telle ou telle œuvre, mais à découvrir des valeurs au-delà des valeurs humaines, plus hautes que ces dernières, dans une œuvre donnée. Tel que l’affirme Scheler, « le véritable amour de l’art porte sur quelque chose d’extra-humain, sur quelque chose qui élève l’homme, en tant qu’homme, au dessus [sic] de lui-même ».453 De même,

l’amour de Dieu n’est pas l’amour pour ce qui serait en réalité une projection illusoire, un reflet de l’homme lui-même, mais cet amour porte sur « quelque chose de transcendant, qui

449 Leonardo Rodríguez Duplá, « La esencia », p. 73; Max Scheler, Nature, p. 233. Évidemment, Scheler

renvoie ici à la conception plus générale de l’amour en tant qu’orientation vers un objet précieux, c’est-à-dire vers un objet dans lequel on pressent des valeurs, conception qui élargit nécessairement les possibles objets d’amour. En ce sens, même si cette idée peut aussi s’appliquer à l’amour humain –puisque celui-ci constitue aussi une orientation de notre attention vers la personne aimée, porteuse de valeurs-, la spécificité de cet amour et ses degrés de perfection seront abordés dans la section suivante, concernant les formes de l’amour.

450 Max Scheler, Nature, p. 233. 451 Ibid.

452 Ibid., p. 233-234. 453 Ibid., p. 234.

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dépasse l’homme, et non seulement l’homme, mais tous les êtres finis, et qui est ‘sacré’, ‘infini’ et ‘bon’ en soi ».454

Scheler rejette également toute « attitude pédagogique »455 associée à l’amour :

l’amour n’est pas un effort pour améliorer l’objet ou la personne aimée ; il ne cherche pas à lui dicter un pathos spécifique, car la prescription est une caractéristique incompatible, voire contraire, à l’essence de l’amour. De cette façon, l’amour n’est pas un « devoir-être », puisqu’il « se porte sur les objets tels qu’ils sont ».456 Il faut toutefois préciser que Scheler

ne dit pas que l’amour demeure fixé sur les valeurs réelles ou empiriques que l’on perçoit déjà dans l’objet aimé, mais son caractère dynamique entraîne qu’il se déplace toujours vers le haut, en aspirant à la réalisation des valeurs supérieures propres à l’objet, conformes à sa particulière image (ou essence) axiologique idéale. Ainsi, l’amour ne dit pas « ‘tu dois devenir ceci ou cela’ »,457 mais plutôt « ‘deviens ce que tu es’ ».458 L’amour serait donc

« soif ontologique par rapport à l’autre » ;459 c’est-à-dire que l’amour « vise à faire accéder son objet à sa perfection spécifique ». 460 Bref, comme l’affirme Scheler, « l’amour est un mouvement à la faveur duquel tout objet individuel et concret, porteur de valeurs, réalise les valeurs les plus hautes compatibles avec sa nature et sa destination idéale ; ou encore : l’amour est un mouvement à la faveur duquel l’objet individuel et concret réalise la valeur