• Aucun résultat trouvé

0.5 Le schéma du plan de la thèse

1.1.1 Définition du neuromarketing

L’origine et la paternité de l’expression « neuromarketing » revient à un profes- seur en Management, Ale Smidts1 qui a formé ce concept en 20022 : « le terme neuromarketing désigne l’utilisation de techniques d’identification des mécanismes cérébraux pour comprendre le comportement des consommateurs, afin d’améliorer les stratégies marketing ». Depuis une douzaine d’années, nous assistons à l’essor de cette discipline tant sur le plan théorique que sur le plan pratique : le neuro- marketing puisant ainsi ses racines dans les sciences et les techniques permettant d’appréhender le comportement du consommateur sous l’angle des sciences dites du cerveau ou neurosciences cognitives, elles-mêmes héritées d’une longue tradi- tion multidisciplinaire remontant à la cybernétique et qui bouscule les théories et l’approche traditionnelle du marketing.

« Le neuromarketing est l’étude des processus mentaux, explicites et implicites, et des comportements du consommateur, dans divers contextes marketing concernant aussi bien des activités d’évaluation, de prise de décision, de mémorisation ou de consommation, qui s’appuie sur les paradigmes et les connaissances des neuros- ciences »(Droulers 2007)3.

Les neurosciences cognitives ont donné naissance à la « neuro-économie » dans le champ de l’économie comportementale, puis au « neuromarketing », dans le champ du marketing (en tant que science de gestion). Olivier Droulers4 indique que « de-

1. Le Professeur Ale Smidts est Professeur à l’Institut Erasmus Centre de Neuroéconomie, voir sa fiche détaillée sur le site : http://www.erim.eur.nl/people/ale-smidts/.

2. The term of neuromarketing designates the use of identification techniques of cerebral mechanisms to understand the consumer’s behaviour, in order to improve the marketing strategies.

3. O. Droulers and B. Roullet. (2007). Émergence du neuromarketing : apports et perspectives pour les praticiens et les chercheurs. Décisions Marketing, pages 9-22.

vançant les gestionnaires de quelques années dans l’expérimentation neuroscienti- fique, les économistes ont été les premiers à avancer le terme (et créer le champ dis- ciplinaire) de « neuroéconomie », dont la raison d’être était de mieux comprendre les processus de décision des agents économiques à l’aide des approches de la psychologie cognitive et des neurosciences. L’économie étant moins suspecte de « sombres desseins mercantiles » que le marketing, la « neuroéconomie » apparaît alors plus respectable dans les milieux de l’information ».

Pour Zak (2004)5, la neuro-économie « est un champ interdisciplinaire émergent,

qui recourt aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associés aux décisions économiques ». On pourrait facilement transposer le propos dans un contexte marketing, en posant que le neuromarketing est un champ inter- disciplinaire émergent, qui recourt aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuronaux associés aux décisions et aux comportements du consom- mateur.

Au fil du temps, les traditionnels questionnaires, sondages, groupes de discussion ont montré leur limite. En 2005, on pouvait déjà observer que 75% des nouveaux produits et 52% de nouvelles marques échouent en moyenne au cours de la première année de mise en marché6. Pourtant, des études ont précédé leur lancement. Il y a donc un fossé entre ce que les gens disent et ce que les gens font. Les questionnaires sont biaisés : le fait même de poser la question fausse la réponse. Les groupes de discussions peuvent être complètement « phagocytés » par un personnage qui pren- drait le pouvoir sur les autres. Neurologues et psychologues du raisonnement se sont penchés sur la question et leur réponse est sans appel : les consommateurs ne disent pas la vérité. Et même parfois, ils ne le savent pas eux-mêmes ! Pourquoi ? Parce que si on regarde vraiment comment nos décisions sont prises, on peut alors

5. Zak. P.J. (2004). Neuroeconomics. Philosophical Transactions of The Royal Society London, B. 359 : 1737-1748. 6. Martin Lindstrom,« In 2005, more than 156,000 new products debuted in stores globally, the equivalent of one new product release every three minutes. Globally, according to the IXP Marketing Group, roughly 21,000 new brands are intro- duced worldwide per year, yet history tells us that all but a few of them have vanished from the shelf a year later. In consumer products alone, 52 percent of all new brands, and 75 percent of individual products, fail », in Buy.ology.

constater qu’il n’y a pas de théorie de la décision qui soit totalement rationnelle d’une part, et que les émotions sont responsables du processus décisionnel, d’autre part. En effet, nous ne sommes pas des « agents rationnels », ou « consommateurs rationnels ». Le mythe de « l’homo œconomicus » ne tient plus sous les coups de semonce des neurosciences cognitives qui nous montrent qu’en moyenne, 85% de nos actions sont profondément irrationnelles et « entachées d’émotionnel ».

C’est notamment ce dont parle le neurophysiologiste Antonio Damasio dans son ouvrage devenu célèbre : « L’erreur de Descartes » (1996)7 où il développe sa

théorie des émotions. La théorie de Damasio implique une relation entre les émo- tions et la rationalité pratique : c’est l’hypothèse des marqueurs somatiques. « Les marqueurs somatiques sont constitués pour Damasio par la simple sensation, ce qu’il appelle les « émotions » ou plutôt les « états d’arrière-plan », qui constituent une sorte d’état de fond : jamais trop positifs, ni trop négatifs, ils sont l’état du corps tel qu’il se présente entre des émotions. Ce ne sont pas à proprement parler des humeurs, mais ces dernières peuvent justement être décrites comme un état de fond restant du même type suffisamment longtemps. Les états affectifs, de manière générale, sont donc ce que Damasio appelle des « marqueurs somatiques », c’est-à- dire des bouleversements physiologiques associés à nos représentations. Ces mar- queurs somatiques joueraient selon Damasio un rôle actif dans nos raisonnements pratiques, dans la mesure où ils constituent une forme de signal positif ou négatif, c’est-à-dire agréable ou désagréable, et conscient ou non, activé par l’élaboration d’une représentation mentale. »8. En réalité, selon lui, nous allons associer des sen- sations corporelles agréables ou désagréables, c’est-à-dire positives ou négatives, à nos représentations mentales, qui vont entrer dans la prise de décision. Ces mar- queurs sont motivants : et c’est ainsi que nous pouvons notamment comprendre le phénomène de l’empathie, comme processus émotionnel nous faisant partager avec une véritable motivation le sort d’autrui, à travers une représentation mentale du point de vue d’autrui.

7. Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, Odile Jacob, nouvelle édition, Paris 2010.

Dès lors, comment mesurer de façon sûre et objective l’impact d’une publicité, d’une marque, d’un message publicitaire ? C’est Read Montague9, un neurologue

Américain, qui en a eu l’idée. Pepsi mena une série de campagnes publicitaires entre 1970 et 1980, montrant des consommateurs effectuant un test à l’aveugle de leur boisson comparée à celle du leader du marché : Coca-Cola. Le Pepsi sortait largement vainqueur de ces tests. Pour Read Montague, les sujets se rappelaient des images et des messages publicitaires de Coca-Cola et la marque se substituaient dans leur cerveau à leur propre jugement et faculté de juger10.

C’est cette expérience et ces résultats qui formèrent les bases d’un nouveau do- maine de recherches : le neuromarketing ou l’étude des réactions du cerveau aux publicités, aux marques et aux messages qui font partie du paysage culturel.

Discipline récente, le « neuromarketing » offre un éventail de méthodes et d’outils plus ou moins techniques et complexes, afin d’aider les praticiens du marketing à mieux comprendre le comportement des consommateurs et, notamment, en mesu- rant l’impact et l’efficacité marketing et publicitaire indépendamment de la média- tion du langage (pour dépasser le « déclaratif ») et en utilisant l’observation directe du cerveau (imagerie médicale) ou des mécanismes cérébraux périphériques (EEG, rythme cardiaque, sudation...).

En 2010, Martin Lindstrom, un gourou du marketing, va tenter de « jeter un pavé

9. Selon Wikipedia, Read Montague est né en 1960, il est un neuroscientifique de renommée mondiale, il dirige le La- boratoire de Psychiatrie Computationnelle et de Neuroimagerie Humaine en Virginie où il est aussi Professeur de physique : "Read Montague (born 1960) is an American neuroscientist and popular science author. He is the director of the Human Neuroimaging Lab and Computational Psychiatry Unit at the Virginia Tech Carilion Research Institute in Roanoke, Virginia and is also a professor in the department of physics at Virginia Tech in Blacksburg, Virginia. His work focuses on computa- tional neuroscience - the connection between the physical mechanisms present in real neural tissue and the computational functions that these mechanisms embody. He gave a Ted Talk in 2012 and graduated from The Lovett School in Atlanta, Georgia in 1978".

10. Read Montague : "We report a consistent neural response in the ventromedial prefrontal cortex that correlated with subjects’behavioral preferences for these beverages. In the brand-cued experiment, brand knowledge for one of the drinks had a dramatic influence on expressed behavioral preferences and on the measured brain responses", Neural Correlates of Behavioral Preference for Culturally Familiar Drinks, Neuron, Vol. 44, 379-387, October 14, 2004.

FIGURE 1.1 – Copie d’écran extraite de l’article de Montague et al (2004).

dans la marre » du marketing traditionnel en publiant un ouvrage « buy.ology » se fondant sur la plus grande étude en neuromarketing réalisée aux Etats-Unis. Philip Kotler lui rend hommage sur la postface de « Buy.ology »11 : « plein d’histoires

intrigantes sur le fonctionnement du cerveau, les marques, et sur les émotions qui dictent les décisions des consommateurs. Un brillant mélange de Martin Lindstrom entre marketing et neurosciences qui nous fournit une compréhension plus profonde des forces dynamiques, largement inconscientes qui façonnent notre prise de déci- sion. Une lecture de ce livre et vous regarderez le comportement du consommateur et du producteur avec un éclairage entièrement nouveau »12. Mais nous verrons, au

11. Martin Lindstrom. Buyology : Truth and Lies About Why We Buy, Crown Business, 2010

12. « Full of intriguing stories on how the brain, brands, and emotions drive consumer choice. Martin Lindstrom’s brilliant blending of marketing and neuroscience supplies us with a deeper understanding of the dynamic, largely unconscious forces that shape our decision-making. One reading of this book and you will look at consumer and producer behavior in an

FIGURE 1.2 – Copie d’écran extraite de l’article de Montague et al (2004). cours de notre analyse, que les écrits de Martin Lindstrom vont être malmenés par 44 neuroscientifiques qui vont démontrer l’usage d’une contre-vérité scientifique : l’expert en branding sera victime d’une erreur de logique dite de « reverse infe- rence »que nous détaillerons dans le Chapitre 5 de la thèse dédiée aux controverses qui frappent le neuromarketing.

1.1.2

A l’origine du neuromarketing : l’émergence des neuros-