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Approche épistémologique et méthodologique de l’ANT

La sociologie de la traduction s’est intéressée aux conditions de production de la science, et les contributions qu’elle a apportées à la sociologie de la science sont

14. Latour B. Changer de société - Refaire de la sociologie (éd. originale, 2005, Re-Assembling the Social. An Introduc- tion to Actor-Network Theory, Oxford : Oxford University Press). La Découverte, Paris, 2006

15. Ibidem 16. Ibidem

marquées par des positions épistémologiques bien tranchées. Pour Callon et Latour, il est tout d’abord nécessaire de rejeter à la fois les explications de type « externa- listes » de la science, et la vision rationaliste de la science. Selon eux, en effet, en se focalisant sur la méthode scientifique, les épistémologues survalorisent la place de l’internalité dans les processus de production des faits scientifiques. Enfin, Callon et Latour rejettent la naturalisation (le réalisme), la sociologisation (le fait scienti- fique est la résultante des jeux de pouvoir) et la déconstruction (le relativisme naît de l’illusion du locuteur et des jeux de langage).

L’Actor Network Theory considère la société comme une construction ou perfor- mation continuelle accomplie par des êtres sociaux actifs. Cette sociologie de la traduction associe une série d’entités hybrides contenant des éléments humains ou non-humains. Comme le suggère Vygotsky (1978), des ressources additionnelles à la simple cognition individuelle sont nécessaires dans les sociétés humaines pour as- surer une stabilité sociale, en particulier des ressources matérielles et symboliques.

L’usage de ces différents artefacts permet aux hommes de simplifier la tâche de création de la société et de traduire leurs comportements auprès de leurs homo- logues. La notion de traduction est centrale dans l’Actor Network Theory et se ré- fère à l’ensemble des opérations par lesquelles des énoncés sont mis en relation non seulement les uns avec les autres, mais également avec des éléments matériels (des substances, des instruments techniques), des compétences incorporées dans des êtres humains, des procédures et des règles (Akrich et al., 2006).

La notion de traduction conduit à celle de réseaux de traduction, qui désigne à la fois un processus (celui des traductions qui s’enchevêtrent) et un résultat (celui tou- jours provisoire des équivalences réussies). Ces réseaux de traduction sont des as- semblages hétérogènes, également appelés réseaux sociotechniques. Le lien social n’est plus à rechercher dans les relations entre les acteurs, mais se découvre dans la façon dont les acteurs l’accomplissent au cours de leur tentative de définition de ce qu’est la société.

Cette réunion du social et de la technique accorde nécessairement plus d’impor- tance à la robustesse de l’association plus qu’à sa composition et plaide pour une approche sociotechnique des controverses. Les controverses sont des débats de fond sur des idées nouvelles et peuvent s’apparenter à une co-construction de connais- sances. Chacune de ces controverses fournit à l’analyste « une ressource essentielle pour rendre traçables les connexions sociales » (Latour, 2006). Le but de l’Actor Network Theory n’est donc pas de proposer une forme stable du social à la place des acteurs observés, mais au contraire, de laisser les acteurs « faire le travail de composition à notre place »(Latour, 2006).

Les controverses sont beaucoup plus bavardes que des groupes d’acteurs présup- posés, dont l’association est généralement muette. Malgré la perte d’une notion de groupes constitués d’individus, l’Actor Network Theory gagne en regroupements ou associations dynamiques. Pour convaincre leurs interlocuteurs, les acteurs vont enrôler d’autres actants et constituer un réseau d’entités hétérogènes. Le terme ré- seau décrit dans ce cadre des alliances d’entités en perpétuelle évolution. Les entités comprises dans ces alliances peuvent être : « documents, reports, academic papers, models, books, and computer programs »(Callon, 1986). Bruno Latour suggère une méthodologie simple d’analyse de la création du social (Latour, 2006) :

— Détecter les types de connecteurs qui permettent de convoyer des formes d’existences sur de grandes distances et comprendre pourquoi ils formatent le social de façon si efficace.

— Identifier la nature des actants ainsi transportés et donner un sens plus précis à la notion de médiateur.

Lorsque les connecteurs sont visibles, mettre en évidence le social qui résulte.

L’Actor Network Theory n’a pas pour vocation d’expliquer mais de représenter, d’imager le social « sous forme de liaisons tout aussi entremêlés et diversifiés que ceux qu’un anatomiste pourrait voir en coloriant simultanément tous les conduits nerveux, veineux, lymphatiques et hormonaux qui maintiennent l’organisme vi-

vant »(Latour, 2006)17.

En suivant la méthodologie de l’ANT, nous présenterons les entités, les intermé- diaires, les médiateurs, les métriques de réseau sociotechnique « neuromarketing » et surtout les associations résultantes, telles qu’elles sont mobilisées dans l’Actor Network Theoryet que nous utiliserons dans notre processus de construction et de traduction du réseau et des acteurs-réseaux du neuromarketing.

D’après (Latour, 2006), « les intermédiaires sont responsables du transport de l’in- formation mais n’y apportent aucune forme de modification » ou encore « ce qui véhicule du sens ou de la force sans transformation ; définir ses entrées (inputs) suffit à définir ses sorties (outputs)»18. Les intermédiaires sont nécessaires au fonc- tionnement du système et participent implicitement à cette création du social.

Observons à présent les médiateurs, chargés de véhiculer le fluide que l’Actor Net- work Theorydésigne comme le social. Pour Latour (2006), « le médiateur apporte une modification de l’information qu’il transporte. Les médiateurs transforment, traduisent, distordent et modifient le sens ou les éléments qu’ils sont censés trans- porter »19.

L’acteur associe des entités, véhiculées par des intermédiaires, grâce à des média- teurs. Les associations qui en résultent sont polymorphes, en conséquence nous accordons plus d’importance à la robustesse de l’association qu’à sa composition. Nous illustrerons l’association au service de la construction du réseau neuromarke- ting en tant que réseau sociotechnique et proposerons une analyse qualitative com- plémentaire qui aura pour but de confronter, discuter nos analyses bibliométriques, cartographiques, sociotechniques.

17. Latour B. (2006), Changer de société - Refaire de la sociologie, Paris : La Découverte (éd. originale, 2005, Re- Assembling the Social. An Introduction to Actor-Network Theory, Oxford : Oxford University Press).

18. Ibidem. 19. Ibidem.