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Découverte de la psychanalyse : l’atemporalité de l’inconscient

une nouvelle approche de l’esthétique du temps

2.2. De Maeterlinck au surréalisme, l’étrange similitude des contraires ou les influences du renouvellement de l’épistémè et des découvertes technologiques sur les influences du renouvellement de l’épistémè et des découvertes technologiques sur les

2.2.2. Découverte de la psychanalyse : l’atemporalité de l’inconscient

À ce tournant des XIXème et XXème siècles, l’autre grande découverte scientifique qui va modifier considérablement l’épistémè et les représentations, en particulier celle du temps, dans les livres des auteurs de notre corpus, est celle de la psychanalyse. Conçue par Freud comme le troisième « démenti »363 infligée à l’anthropocentrisme, ou à ce que nous nommerions aujourd’hui la conception supranaturelle de l’homme héritée des modèles religieux, elle est d’emblée perçue par son auteur comme une modification épistémique à l’échelle anthropologique.

L’œuvre de Maurice Maeterlinck préfigure ce démenti et, parfois, le revendique. Même si le travail de Freud est essentiellement postérieur à l’œuvre du dramaturge, le concept d’inconscient ne lui est pas totalement étranger, et la dualité entre ces deux états de l’esprit humain forme filigrane de certaines de ses représentations. Une conception embryonnaire de l’inconscient existe chez Maeterlinck, dans laquelle se pose la question de son temps propre.

La pensée sur la temporalité de l’inconscient a évolué au cours de l’existence et de l’œuvre de Maeterlinck. En 1889, plusieurs notes de l’agenda consignées en vue d’un ouvrage qui se serait intitulé L’Éducation des rêves ou Le Rêve avertisseur montrent l’intérêt de Maeterlinck pour la question. Partant du constat, appuyé par la lecture de Tit Bits du 3 août 1889, qu’une computation de l’heure continue lors de notre sommeil, puisque nous serions aptes à nous réveiller à heure dite à condition de l’avoir fixée avant l’endormissement, l’écrivain postule « que nous avons d’instinct en nous la notion exacte du temps, c’est-à-dire que quelque chose en nous se meut sur le rythme exact des astres, des sphères, dont notre temps n’est que le résultat vulgarisé — et mis à la portée des basses intelligences diurnes […] 364». Dans le sommeil l’âme, cette fenêtre sur l’inconnaissable, est en symbiose avec le temps cosmique. Il s’ensuit que notre temporalité consciente est non naturelle, le fruit d’une perversion de notre éducation qui a créé dans la conscience une instance pervertie « qui étouffe toutes nos facultés les plus étonnantes ». Maeterlinck voit dans les modèles théogoniques, comme celui de la chute, un indice qu’a existé une époque où la conscience humaine n’avait pas encore opéré la séparation avec le temps primordial, et il en tire une règle de conduite : « […] pour retrouver l’homme parfait et admirable il faut toujours remonter à

363 Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, (1916), traduction Serge Jankélévitch, Paris, Payot, petite bibliothèque Payot , 1978, p. 266-267.

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l’état d’inconscience et le surprendre en cet état — on nous trompe et nous avons reçu depuis des milliers d’années une éducation qui doit être méphitique et mauvaise365 ».Étrange sentiment de découvrir sous la plume de Maeterlinck des propos contre la perversion de l’éducation et la coercition de la raison que l’on croirait issus de celle d’André Breton. Le projet de nouvelle sur « le rêve avertisseur » devait être l’occasion d’ancrer cette conception de l’atemporalité :

« […] insister à ce propos sur l’inexistence du passé et de l’avenir et qu’il n’y a rien d’extraordinaire à découvrir l’avenir puisque ce n’est que le présent qui nous est caché par quelque inconcevable accident (comme quelqu’un en prison ne verrait pas une fête sur la place) — il est au contraire extraordinaire que nous ne sachions pas exactement et absolument l’avenir et il y a une faculté de notre âme qui doit avoir existé dans le temps (à preuve les nombreux prophètes des religions anciennes et de plus en plus / rares aujourd’hui) et qui voyait et concevait distinctement le futur, atrophiée aujourd’hui et à développer.366 »

De là l’admiration de Maeterlinck pour les mystiques, en particulier pour Ruysbroek dont « l’ignorance merveilleuse retrouve la sagesse de siècles ensevelis et prévoit la science de siècles qui ne sont pas nés367 ». Le mystique, par son accès à l’atemporalité, peut se faire prophète. Curieusement, Breton admirera aussi une figure de l’atemporalité à la capacité de prémonition en la personne purement séculaire de Nadja.

Maeterlinck a plus tard précisé sa pensée sur le temps en le présentant comme un arrière-plan constant, une forme informe, stable et préalable à toute organisation. « Ce n’est pas le temps mais les hommes qui passent. Le temps, lui, ne bouge pas ; il est immobile comme l’espace et l’éternité. Il est l’espace et l’éternité368 », affirme l’auteur d’Avant le grand

Silence. Le temps est présenté comme extérieur à la vie humaine, qui s’y superpose de

manière transitoire et précaire. Il existe ainsi une volonté de fragilisation de la vie face au réel monumental du temps immobile que nous ne retrouverons pas dans le surréalisme. Telle atemporalité est a priori extérieure au temps phénoménologique. Reste à y avoir accès369. Et Maeterlinck a pensé des interférences entre les deux temporalités, parfois en faisant de minuit l’heure du rêve370. « Moi, je ne vois que quand je rêve… » : le dramaturge place dans la bouche du vieil aveugle — dont la sagesse prémonitoire est la plus grande — cette réplique ambivalente. Elle peut à la fois se lire d’une manière pragmatique, si la capacité visuelle perdue dans le handicap est restaurée dans la vie nocturne du psychisme, mais aussi, par un sens symbolique qui échapperait à l’aveugle lui-même, ou qu’il laisserait à deviner371, celui d’un mode de communication par le rêve avec la vérité et le réel. La représentation que Maeterlinck donne du rêve présente aussi d’autres spécificités héritées de conceptions

365 Ibidem, p. 938.

366 Ibidem, p. 944.

367 Maurice Maeterlinck, « Ruysbroek l’admirable » in Le Trésor des humbles, Bruxelles, Labor, 1986, p. 68.

368 Maurice Maeterlinck, Avant le grand Silence, (1934), Montréal, éditions Transatlantiques, 2002, p. 41.

369 Nous voici ainsi placé au cœur de l’aporie du temps décrite par Paul Ricœur entre temps cosmique et temps phénoménologique.

370 « Je ne rêve, d’ordinaire, qu’à minuit », M.M., O II, Les Aveugles, p.321.

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anciennes372 d’une forme de mystérieuse porosité entre l’univers onirique et le contexte duquel le rêveur devrait être coupé. Maeterlinck a imaginé pour La Princesse Maleine « des apparitions » durant le sommeil de la princesse qui « enlèvent ou font tomber quelque chose, qu’à son réveil, Maleine voit réellement tombé373 ». Cette interpénétration de la vie et du songe ouvre à l’efficience de l’univers onirique sur la réalité, les apparitions ayant en quelque sorte anticipé un phénomène qui sera manifeste dans la vie éveillée.

Cette porte d’accès fut aussi explorée dès Onirologie, et sous l’influence de la lecture la

Confession d’un mangeur d’opium de Quincey374. Fabrice Van de Kherckhove rappelle qu’à cette occasion-là, Maeterlinck a commencé à envisager d’aller retrouver les souvenirs antérieurs à ce que la psychanalyse nommera l’âge de la forclusion, voire des « souvenirs » de l’âge prénatal, grâce à un travail d’ « éducation et direction des rêves jusqu’à la période embryonnaire et recherche de paternité375 ». Cette tension du rêve est réaffirmée et précisée dans l’agenda de 1888 à la date du 21 juillet : « Le miroir de la vie antérieure presque vide sauf un coin de scène, une lumière, du noir et d’autres souvenirs tellement embryonnaires que je ne saurais les exprimer376 ». Parce qu’un passage existe entre ces deux temporalités, peut-être ouvert par la prémonition, Maeterlinck s’est aussi intéressé aux questions de synchronie entre rêve et éveil377. Même si, comme nous l’avons vu plus haut, l’homme est capable d’une forme de computation du temps pendant son sommeil qui le verra se réveiller à heure dite, il est incapable pendant l’endormissement d’apprécier le temps, en particulier la durée du rêve. Ainsi le rêve échappe à la logique temporelle de l’éveil conscient et Maeterlinck stipule dans

Onirologie que le temps du rêve est le strict présent du dormeur :

« […] cet égoïsme est tellement intense, aveugle et convergent, qu’il annule le passé et l’avenir au profit du moment où il règne sur l’horizon du cerveau.

En d’autres termes, tout s’actualise dans la conscience du dormeur, et il n’y a pas de rêve que l’on sache prospectif ou rétrospectif au moment où il a lieu.378»

De ce fait, le rêve se rapproche de l’éternel présent qui est celui de Dieu, et l’état de veille que nous assimilons à la vie s’avère une mutilation de l’âme ainsi que Maeterlinck en consigne l’idée dans l’Agenda de 1890 : « En entrant dans la vie, nous semblons avoir subi

372Le modèle de Maeterlinck est L’Acteur romain, pièce de 1626 de Massinger. Ibidem, tome 2, note 569, pp 880-881.

373 Ibidem, p. 880.

374 « « Une proche parente m’a conté une fois qu’étant tombé dans une rivière au temps de son enfance, avant d’être sauvée de la mort par un secours survenu au moment décisif, elle avait vu en un instant toute sa vie, dans les plus menus détails, défiler simultanément devant elle comme un miroir, et elle avait eu la faculté soudaine d’en embrasser l’ensemble et chacune des parties. » (trad. Leyris, p. 135-136). De Quincey vient d’évoquer la reviviscence, dans les rêves faits sous l’influence de l’opium, des « plus menus incidents de l’enfance ». Fabrice Van de Kerckhove, in M.M., CT I, note 195, p. 549.

375 Ibidem.

376 Ibidem, p. 572.

377 « à noter la présence d’esprit du rêve — expression assez ambiguë) ou le pressentiment d’un événement à venir — par exemple, j’entends dans la maison un cri qui m’éveille et il se fait que ce cri est tout juste la conclusion logique et inévitable

(I-V) d’un long rêve précédent — Ce rêve s’est-il formé, avec tous ses détails et l’apparence d’une longue durée, à la minute même de ce cri, afin de l’utiliser pour ainsi dire au confluent de deux mondes, ou bien le rêve existait-il avant le cri et l’avait-il exactement prévu — ?— », M.M., CT II, Agenda de 1889, p. 1196.

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l’ablation d’un sens qui nous donnerait la perception du présent, nous ne / pouvons apprécier que le passé et l’avenir — c’est peut-être la différence essentielle entre Dieu et nous379 ». Ce que, dans notre première partie, nous avons décrit comme une construction de la pensée du temps dans l’enfance et notre libération psychique par rapport à la compacité du réel est considéré par l’écrivain comme une aliénation de l’âme380.

Même si l’écrivain n’a pu bénéficier des travaux de Freud sur le rêve qui ont informé le surréalisme, il possédait, grâce aux travaux du docteur Dechambre381 —qui en préfigurent une forme de socle synthétique —des connaissances sur le rêve de la fin du XIXème siècle. Il connaissait ainsi la capacité du rêve à ramener sur un même plan temporel, aussi bien les souvenirs récents382 — dont Freud fera le matériel fantasmatique du rêve manifeste — qu’anciens.

Vers cette atemporalité, L’Oiseau bleu organise le passage, sur un mode certes amusant mais non dépourvu de sérieux383. La pièce repose sur le parcours des enfants Tyltyl et Mytyl, accompagnés d’animaux et d’éléments familiers, dans un rêve. Cependant le spectateur ignore la dimension onirique et doit attendre le 11ème tableau de l’acte VI pour que s’impose la certitude qu’il s’agissait d’un parcours onirique. Les éléments du songe apparaissent alors comme tirés de l’univers familier des enfants et soumis à une déformation plastique conforme à la théorie du rêve de Freud, la fée Bérylune du songe s’avérant la voisine Berlingot, la Lumière sa fille, l’oiseau bleu la tourterelle de Tyltyl. La pièce donne ainsi accès à ce hors-temps qui ouvre à la fois sur le passé — Tyltyl y rencontrera ses aïeux et ses frères et sœurs morts — mais aussi sur l’avenir. Le royaume de l’avenir permettra à Tyltyl de rencontrer par anticipation ce frère à naître, et déjà programmé pour la mort. La dimension prémonitoire semble en ce cas venir du rêve, ce qui est bien sûr en contradiction avec les théories de Freud. La pièce met en œuvre une conception du temps que Maeterlinck avait envisagée pour les animaux dans l’Agenda de 1889 en imaginant que les pressentiments des animaux proviennent de ce que « l’avenir est peut-être très clairement le présent pour eux384 », et cela ne semble pas un hasard si Maeterlinck fait accompagner les enfants dans le rêve par des animaux. Mais, avec le rêve de Tyltyl (qui est aussi celui de Mytyl, qui a parcouru dans la nuit le même espace onirique et qui en conserve le même souvenir), Maeterlinck fait surtout du rêve l’accès à ce temps monumental immobile où gît tout le passé et où s’avance tout l’avenir, en l’espèce de cette période prénatale qui l’a depuis toujours

379 M.M., CT II, Agenda de 1890, p. 1220.

380 D’où aussi, dans une logique néo-platonicienne et l’héritage de Novalis, le rêve dans l’œuvre de Maeterlinck, qui apparaît comme le médiateur de la communication avec la permanence de l’âme. Davantage qu’un trait hyperbolique, c’est la communion des âmes qui fait dire à Méléandre : « Je crois rêver quand je te vois, je crois rêver quand je t’entends, je crois avoir rêvé quand je ne te vois plus […] ». Le temps n’existe que du côté de l’éveil. M.M., O II, Aglavaine et Sélysette, acte II, p. 599. Sélysette respectera d’ailleurs ce temps de communication de l’âme en refusant d’éveiller Aglavaine : « nous irons l’éveiller tout à l’heure, car elle pleure dans son rêve… »,Ibidem, Acte III, sc. 1, p. 621.

381 Article « Songe » du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (p. 411), cité par Fabrice Van de Kerckhove in M.M., CT I, note 239, p. 561. Dans le même agenda de 1888, Maeterlinck avait noté d’une manière plus générale, et en dehors de l’expérience onirique que « Passé et avenir / sont une même absurdité, comme de se souvenir qu’un paysage est bleu parce que vu à travers des lunettes indigo », p. 551.

382 Ibidem, p. 544, note 182.

383 Maeterlinck considérait la pièce comme une synthèse de sa philosophie.

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fasciné, en tout cas dès la rédaction d’Onirologie. Le rêve, comme nous l’avons vu en deuxième partie, avait toujours été la porte d’entrée potentielle vers une autre dimension de la connaissance qui échappe à l’intelligence humaine délibérée. Maeterlinck a ainsi pu songer à les diriger à la manière des rêves éveillés que pratiqueront les surréalistes, en espérant un « contrôle de son rêve entre un état de rêve et de sommeil385 ».

Il n’est pas anodin que, dans L’Oiseau bleu, cet accès à l’atemporalité se fasse d’abord par une rencontre des morts qui va bien au-delà du simple souvenir. Ceux-ci sont en effet présentés, dans l’œuvre théorique, comme des médiateurs avec un autre état de l’être qui perdure après la mort, ce dernier mot n’ayant d’ailleurs pas cours dans les paroles des grands-parents défunts de L’Oiseau bleu. Pour légitimer cette communication, Maeterlinck s’empare de la notion d’atavisme, ou de souvenirs ataviques qui décrivent une influence complémentaire et différente de l’hérédité directe et, en tous les cas, du simple souvenir par lequel les jeunes personnages de L’Oiseau bleu pouvaient revivifier leurs ancêtres morts et dialoguer avec eux. La pensée de Maeterlinck, dans son oscillation perpétuelle entre spiritualisme et matérialisme, a intégré un modèle explicatif de type matérialiste à la présence continuée des morts en nous qui « ne vivent pas seulement en nous à cause des souvenirs qu’ils ont laissés dans notre mémoire et qui périront avec nous ». Car la véritable vie des morts, « leur vie peut-être immortelle, c’est la vie qu’eux et tous ceux qui les ont précédés ont accumulé dans nos cellules invisibles, qu’ils nous ont transmise, que nous portons en nous, et qu’à notre tour, nous transmettons à nos enfants386 ». Ainsi, l’atemporalité, l’éternel présent de la vie et des morts se perpétue dans des formes ténues de la vie biologique que sont les cellules. Et ces « souvenirs ataviques, prolongés par leur anticipation de l’avenir, contenues dans les mêmes cellules spermatophores (car il y a en nous autant d’avenir que de passé, et l’avenir, pour l’être relativement immortel que nous sommes, existe déjà dans le présent), sont le tout de l’homme387 ». Cette modification constitue pour le moins une évolution dans la pensée du dramaturge, mais aussi un retour à l’hérédité du naturalisme sur et contre lequel s’est érigé le symbolisme. Mais que le point de passage se fasse par la vie onirique ou par la transmission héréditaire du chromosome, le réel en toile de fond conserve le même patron atemporel. Cette atemporalité profonde se présente dès lors comme une porte d’accès à l’inconnaissable dont l’homme s’est en quelque sorte départi, mais dont il conserve en lui des médiateurs du passage, par le rêve, mais aussi par ces permanences liées à l’hérédité et, nous le verrons, par des tensions prémonitoires.

Breton, pour sa part, eut assez tôt388 une connaissance partielle des travaux de Freud, mais suffisante pour appréhender la topique du psychisme et quelques uns des mécanismes décrits

385 Ibidem, tome 1, p. 574.

386 Maurice Maeterlinck, Avant le grand Silence, (1934), Montréal, éditions Transatlantiques, 2002, p. 121.

387 Ibidem, p. 130.

388 Le carnet de 1924 témoigne que Breton avait lu La Psychopathologie de la vie quotidienne dans sa traduction par S. Jankélévitch parue en 1923 aux éditions Payot. Mais Marguerite Bonnet rappelle qu’on trouvait dans la bibliothèque de Breton les ouvrages de Freud suivants dans leur traduction française : La Psychanalyse paru en 1921, Cinq Leçons sur la psychanalyse, 1922, Introduction à la psychanalyse, 1923, Trois essais sur la théorie

de la sexualité, 1923, Totem et tabou, 1923, Essais de psychanalyse appliquée, 1923, Psychologie collective et analyse du moi, 1924. Marguerite Bonnet, Notice et variantes, in A.B., OC I, Manifeste du surréalisme, p. 1347.

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par la psychanalyse. Elle fut déterminante au-delà de toute autre389 pour offrir au surréalisme davantage qu’une caution : un cadre de représentation de la vie psychique et l’assise d’une métaphysique, en d’autres termes toute l’architecture du dispositif de temporalité. Cette lecture, bien que détournée (comme nous le verrons) est fondatrice d’une pensée sur la vie profonde, inconsciente, et légitime l’imaginaire390. Elle oppose, dans un premier temps l’état de rêve391 à celui d’éveil, simple « interférence392 » dans la continuité de l’être. Avec le surréalisme, en tout cas jusqu’en 1930, c’est dans l’intériorité qu’est inscrite l’atemporalité (à l’instar des grands-parents Tyl du rêve de Tyltyl qui ne pensent plus à l’heure393 s’ils ne sont pas visités en pensée par les vivants pour en réactiver la pensée). Nous passons véritablement du réel où le rêve permettait d’avoir accès dans l’œuvre de Maeterlinck au Réel de l’inconscient, et en tout cas du rêve dans un premier temps. Si l’homme confinait au néant dans la représentation maeterlinckienne, il devient un tout chez les surréalistes.

Une étape intermédiaire dans la conception de ces deux temporalités apparaît dans le premier Manifeste du surréalisme à l’appui du refus d’une capacité prophétique. La parole prophétique, confondue — hors de toute transcendance— avec la voix surréaliste relève d’un autre plan temporel que la réalité éveillée : « Mon temps ne doit pas être le sien394 » proclame Breton. Cet écart ôte toute légitimité à sa puissance prophétique. Mais entre le premier et le

Second Manifeste du surréalisme, la position de Breton a largement évolué sur la question de

la temporalité : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement395 ». Ce « point de l’esprit » tend vers l’inconscient dont l’atemporalité exclut les concepts de passé et de futur. Le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis rappelle l’importance de la découverte de l’atemporalité du rêve pour