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Les débats théoriques sur les mécanismes de régulation des marchés agricoles

Partie I: Prix internationaux des produits alimentaires et régulation des marchés

Chapitre 2 : politiques de prix et régulation du marché du blé en Algérie

1. Les débats théoriques sur les mécanismes de régulation des marchés agricoles

Les prix des produits agricoles ont toujours été soumis à des changements dans le temps et sur des périodes relativement longues, qui prennent parfois des proportions alarmantes, pénalisant les producteurs dans leurs activités agricoles et les consommateurs dans leurs capacités à se procurer une alimentation suffisante, ce qui a amené les décideurs politiques à tester de nombreux instruments de régulation. Au niveau des marchés domestiques, dans de nombreux pays en développement, l’encadrement des prix et la protection des marchés intérieurs ont été des éléments clés des stratégies d’autosuffisance mises en place juste après leur indépendance. Cependant, dans le milieu des années 80, les tendances économiques ont radicalement évolué, sous l’effet de la libéralisation et de la dérégulation des marchés, les efforts vers une plus grande ouverture des marchés restent à ce jour fortement encouragés.

Ces modes d’intervention pour la régulation des marchés intérieurs des produits alimentaires sont divers, répondant à des situations totalement différentes selon l’ampleur du niveau des prix et suivant le contexte particulier de chaque pays9.

Pendant longtemps, les instruments publics de stabilisation ont prédominé dans la régulation des prix agricoles et alimentaires, mais force est de constater que ces instruments ont été contestés, le retrait de ces mesures s’est fortement accéléré avec les mouvements de libéralisation à la fin des années 1980. C’est à cette période qu’apparaissent les instruments basés sur les marchés, d’autant plus que l’intervention sur les prix n’est plus soutenable

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politiquement et financièrement. L’idée dominante est que l’intervention directe sur les prix est peu efficiente, car d’une part elle empêche les prix de jouer leur rôle de signal guidant les comportements de production et d’échange (Sharma. 2003) et d’autre part, en déconnectant l’évolution des prix de celle de la production, elle empêche les producteurs de bénéficier de « l’assurance naturelle » procurée par la relation autorégulatrice entre le prix et le niveau des récoltes (Galtier. 2009). Le système de soutien aux prix de marché des produits agricoles de base est un choix de politique qui s’est clairement avéré inefficace dans de nombreux pays sur plusieurs décennies et on y a moins recours. Le soutien aux prix occulte les signaux du marché aux producteurs, déstabilise les marchés mondiaux et conditionne un comportement de consommation dépendant des mesures de soutien. Le soutien aux prix influence également le soutien envers les gros producteurs et encourage l’intensification aggravant potentiellement les effets négatifs sur l’environnement, et l’essentiel de l’avantage obtenu est soit capitalisé en immobilisations (par exemple en terre ou en quotas), ce qui a pour effet d’augmenter les coûts de production au fil du temps, soit transféré en dehors de l’exploitation agricole. De telles mesures devraient être évaluées en comparaison à d’autres alternatives occasionnant moins de distorsions. Les interventions publiques visant à déconnecter les prix intérieurs du prix international restent très conjoncturelles, répondant à des situations d’urgence et peu viables à long terme.

Il faut toutefois garder à l’esprit que l’enjeu majeur des interventions publiques reste la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables. En effet ces interventions permettent à la base de procurer un filet de sécurité (qu’il soit de type social ou productif) aux populations vulnérables (distribution alimentaire, cash transfert et coupons alimentaires pour les consommateurs ou la distribution d’engrais pour les producteurs). Un large consensus des économistes est observé sur cette priorité absolue. Quant à sa réelle faisabilité, certaines questions restent à ce jour en suspens, comme celle du financement sur le long terme de ces filets de sécurité, ou bien celle relative à la durabilité des mesures de soutien à l’accès aux intrants pour les producteurs, comme les systèmes de coupons pour l’achat d’engrais à un prix subventionné.

Cependant, face à la brutalité de la crise alimentaire de 2007-2008 et ses conséquences sur la sécurité alimentaire, l’intervention publique sur les prix est redevenue incontournable pour une stabilisation rapide des prix et ainsi éviter des crises alimentaires pouvant avoir des conséquences sociales et politiques insoutenables, notamment dans les pays du Maghreb.

C’est dans ce contexte particulier que les subventions à la production et à la consommation prennent tout leur sens. Les pays sud-méditerranéens sont au cœur de ce débat sur les subventions alimentaires. Face à la hausse des prix de 2008, les pouvoirs publics ont automatiquement mobilisé cet outil de régulation des prix, mais malgré tout, la hausse des prix a eu de sérieuses conséquences sur l’inflation et sur la détérioration de la balance budgétaire due à l’utilisation des subventions. Marga et Ronald. (2011) sont parmi les rares auteurs à avoir étudié la relation entre le niveau des prix et la politique de subvention dans les pays sud-méditerranéens. L’angle d’analyse choisi dans leur étude est celui de l’impact sur les finances publiques et sur l’inflation domestique relevant à la fois du niveau des prix internationaux et des subventions mises en place pour y faire face. À l’aide d’estimation économétrique, ils démontrent que la politique de subventions ne fait qu’accentuer l’inflation domestique, ce qui augmente leur valeur et absorbe une part importante des dépenses courantes des administrations publiques. Dans les pays étudiés, la valeur des subventions était en moyenne de 10 % en 2007-2008 et 2010-2011. Ils suggèrent que des études beaucoup plus poussées sur les déterminants des choix publics dans ces pays devraient faire la lumière sur les réels enjeux et les causes de ces subventions élevées et non optimales.

Face à cette polarisation du débat, opposant l’intervention publique sur les prix et la dérégulation du marché, d’autres recherches ont tenté de développer des mécanismes alternatives, pouvant réconcilier les différentes catégories d’instruments et d’essayer de trouver le moyen optimal de réguler les prix. Ces approches essayent de faire un arbitrage entre la sphère publique et privée. En reprenant des travaux théoriques plus anciens Timmer. (1989), Dawe (2001) tentent de trouver des mécanismes de substitutions aux distorsions de marché (domestique et international) inhérent aux interventions publiques sur les prix. Bien entendu, la non-intervention de l’État n’est pas une politique crédible (Poulton et al. 2006). L’expérience a démontré qu’en cas de forte hausse ou de baisse des prix, le gouvernement interviendra inévitablement. Mieux vaut donc avoir une politique de stabilisation assumée, réaliste, annoncée à l’avance et respectée.

Pour la réforme des subventions, l’idée principale est qu’il faudrait passer d’une logique de régulation conjoncturelle des prix à une logique de changement structurel.

Les politiques de stabilisation des prix devraient être jugées avant tout en fonction de leurs capacités à « promouvoir un changement structurel », c’est-à-dire une modernisation de la production, dans le but d’exercer des effets d’entraînement sur le reste de l’économie (Galtier.

2009). Ceci implique également que les dispositifs mis en place à un moment donné puissent être allégés puis supprimés à mesure que s’opère la transformation structurelle souhaitée, ce qui reste le but de toute intervention des pouvoirs publics.

Afin de concilier l’objectif de la sécurité alimentaire de la population et le libre fonctionnement du marché, certaines pistes de politique de régulation sont développées dans la littérature. Elles offrent des combinaisons de mécanismes, associant les pouvoirs publics et les opérateurs privés dans une mission commune de régulation. Elle repose sur des instruments nouveaux de régulation des prix, qui rompent avec les mesures de distorsion de marché initialement appliquées, et qui dans une certaine mesure continuent à assurer l’objectif de protection des producteurs et des consommateurs, comme cela est souhaité par les États.