4 L IMITES ET TRANSGRESSION MODERNES
4.2 Crucifixion des croyances
Dans son travail de mise en perspective de John Milton et de Thomas Hobbes à propos de
l’interprétation religieuse de ces deux auteurs, Thimothy Rosendal420 montre que la chute de
l’homme est dans le rejet du commandement donné par Dieu, ce commandement interdisant de
manger les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, étant la seule limite de l’Éden. Il
symbolise ce qui résiste à l’interprétation et qu’il faut accepter en tant que tel. En transgressant la
limite, et en voulant augmenter leurs connaissances, Adam et Ève expérimentent l’échec de la
reconnaissance des limites de l’expérience d’interprétation.
419 Mikaël Faujour, « La transgression apprivoisée », in Le monde diplomatique, janvier 2017, p. 26.
420 Thimothy Rosendal, est présenté dans le « Bulletin Hobbes XVIII. Bibliographie critique internationale des
études hobbesiennes pour l'année 2004 », Archives de Philosophie 2006/2 (Tome 69) [en ligne] :
https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2006-2-page-335.htm (consulté le 13.10.2017), p.
C’est le comportement social normatif qui est mis en question, où les émotions des
individus jouent un rôle significatif dans la prise de décision. Cette prise de décision influe sur le
comportement, par le biais d’un raisonnement de causes provoquant des effets. Ces effets peuvent
avoir une finalité positive ou négative, et s’ancrent dans des croyances populaires, ou religieuses
notamment. Dans le cas d’une croyance religieuse comme celle qui conseille de ne pas se venger
par exemple, l’individu a un cran d’arrêt le prévenant de ne pas aller trop loin, pour divers motifs
que peuvent être la colère de Dieu s’abattant sur lui. Ou bien, dans le cas d’une croyance populaire,
le rejet et le refus d’intégrer un individu revanchard au sein de la société, le privant d’une certaine
forme de sociabilité. Je suis alors bloqué entre mes appétits et ma volonté finale.
Il y aurait deux manières de concevoir un Ensemble, et ces deux possibilités font référence
à deux volontés humaines différentes : la volonté essentielle, et la volonté arbitraire. C’est la pensée
qui est le ressort ultime de la volonté et qui lui permet de développer des actions. Chaque pensée
contient des sentiments, des pulsions, des désirs activés trouvant un enchainement propre et
débouchant sur une volonté idéelle, ou réelle. Ainsi, la volonté humaine réelle et naturelle se définit
en volonté essentielle ; la volonté humaine idéelle et créée est une volonté arbitraire car dictée par
l’imaginaire sans se conforter aux exigences réelles. La volonté est réalisation possible, ou
fantasme. Le rattachement au réel se fait soit en aval pour une volonté essentielle (donc naturelle),
ou en amont pour une volonté arbitraire rattachée à l’imaginaire construite par les faits passés qui
produisent une réponse impossible à formuler réellement, relevant de l’affect et de la pulsion.
L’individu est dans un présent de flux de désirs dont le dernier, le plus fort, devient une volonté,
pour le penseur précurseur de ce libéralisme individuel. Ces pulsions volontaires peuvent créer des
états de bonheur, mais peuvent nécessiter un comportement violent pour arriver aux fins voulues.
Et l’on distingue plusieurs types de violence : Alfred Hirsch421 opère une distinction entre la violence
d’État et violence privée, l’une étant rationnelle et nécessaire, et l’autre étant une action
irrationnelle sanctionnée. Hannah Arendt distingue la violence du pouvoir, avec la violence qui est
le moyen d’un seul sujet, tandis que le pouvoir repose sur l’action concertée d’un groupe422. Ainsi,
le pouvoir est fondé sur le principe de relations interconnectées entre les individus, constitués de
volontés propres, elles-mêmes constituées de fantasmes construits par leur imaginaire façonné
directement par un inconscient, ou par des stimuli extérieurs. En résultante d’un schème opératoire
interne à l’individu, la violence, elle, est définie selon un contexte particulier, où ce qui est décrit
comme violent peut l’être comme étant bénéfique, ou désastreux. De même, le qualificatif de l’acte
violent peut varier selon la posture adoptée, et variant aussi en fonction de la temporalité utilisée.
La violente tempête de la nuit dernière n’est rien si on la compare à un autre élément climatique ;
et puis, elle peut être qualifiée de magnifique pour un chasseur d’orages. La violence, cet abus de
forces si l’on reprend l’étymologie latine du mot, partage aussi ses racines avec violare, signifiant
agir contre quelque chose. En grec, on parlera d’hubris, de démesure. Cette violence, incontrôlable
et nécessaire, caractérise l’Homme en proie à des désirs irrépressibles, elle serait même
caractéristique de la nature humaine, voire même fondatrice selon René Girard.
Pouvoir et violence formeraient, chez Hobbes dans Léviathan, un moyen de justifier un
contrat social entre les individus cherchant à garantir une paix entre les individus, montrant donc
le pouvoir de la violence et de la peur qu’elle engendre, pour former un pouvoir étatique rassurant
pour ceux qui s’engagent dans le contrat :
« […] si la violence repose sur la transgression des normes, elle suit des règles et s’exprime la plupart du temps de façon ritualisée. »423
La violence est comprise comme un élément de dialogue et de construction qui sert de
moyen communicant, et justifie sa nécessité dans les rapports humains. L’acte violent est une
manière de faire jouer une contre-transgression, en prenant comme exemple l’acte érotique
pouvant faire intervenir des conduites aux limites, voire violentes en elle-même ou par ce qu’elles
422 « Bulletin Hobbes XVIII… », op. cit., p. 354.
423 Vincent Azoulay, « La gloire et l'outrage. Heurs et malheurs des statues honorifiques
de Démétrios de Phalère », in Annales. Histoire, Sciences Sociales 2009/2 (64e année),