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Une critique à l’origine d’un canon exclusif et excluant

Chapitre II. Performativité de la critique

III. Quelle place pour la nouvelle et la littérature populaire ?

1. Une critique à l’origine d’un canon exclusif et excluant

En évoquant la centralité de la question impériale pour la culture moderne anglaise, Said considère que l’identité anglaise s’est construite au XIXe siècle autour de l’empire.

Néanmoins, malgré l’omniprésence de l’empire dans la culture anglaise victorienne, la construction de la tradition littéraire anglaise, notamment par Leavis, repose sur l’effacement, la dissimulation de certaines œuvres dont le discours sur l’empire était perçu comme problématique. Nombre d’œuvres littéraires du XIXe siècle qui appartiennent toujours aujourd’hui au canon anglais sont de celles qui n’évoquent l’empire qu’en arrière-plan, tels les romans de Jane Austen ou ceux des sœurs Brontë. On a évoqué précédemment la proposition de Martin Green selon laquelle les récits d’aventure sont considérés comme un genre secondaire de la littérature précisément parce qu’ils sont un lieu propice à, et privilégié

de, l’évocation de l’empire396. Alors que le roman d’aventure peine à être reconnu face à d’autres types de romans397, la catégorie qui lie la nouvelle et le récit d’aventure, lui-même potentiellement associé à l’empire, souffre d’un handicap décuplé, à l’origine de sa double minorisation dans l’histoire de la littérature anglaise.

Le canon, loin de refléter un quelconque ordonnancement naturel des œuvres, est un lieu de confrontation idéologique, un espace culturel qui trouve ses origines dans une violence faite à l’encontre de certaines œuvres au profit d’autres. Comme le rappelle Bill Ashcroft :

A canon is not a body of texts per se, but rather a set of reading practices (the enactment of innumerable individual and community assumptions, for example about genre, about literature, and even about writing). These reading practices, in their turn, are resident in institutional structures, such as education curricula and publishing networks.398

La canonisation de certaines œuvres repose en somme sur l’exclusion d’autres, comme l’évoque le poéticien Derek Attridge dans un article sur J. M. Coetzee : « All canons rest on exclusion; the voice they give to some can be heard only by virtue of the silence they impose on others »399. C’est surtout ce que disait Said lorsqu’il écrivait dans The World, the Text and the Critic : « culture is a system of discriminations and evaluations…it also means that culture is a system of exclusions »400.

Des disparités significatives sont aujourd’hui encore visibles lorsque l’on s’interroge sur la présence d’auteurs féminins et/ou non britanniques dans le canon littéraire anglais. Les auteurs issus des anciennes colonies se distinguent aujourd’hui tantôt par leur « ultra » visibilité dans les cursus universitaires, tantôt par leur absence, deux éléments qui signalent le poids occupé par la question idéologique dans l’élaboration institutionnelle du canon. Suite à ce qu’on pourrait nommer la décanonisation des œuvres coloniales, mouvement dans lequel Kipling et Maugham furent pris, on assiste aujourd’hui à une véritable post-colonisation du

396 Citation de Martin Green in LAWRENCE Karen R., Decolonising Tradition: New Views of Twentieth-Century « British » Literary Canons, Urbana ; Chicago : University of Illinois Press, 1992, p. 3 : « the liberal ideology of British aesthetic culture has excluded as well certain writers and genres whose politics of imperialism were insufficiently disguised ».

397 Cf. BRANTLINGER Patrick, Rule of Darkness, op. cit., p. 12. Brantlinger oppose par exemple ce qu’il nomme le roman domestique au roman d’aventure.

398 ASHCROFT Bill, GRIFFITHS Gareth, TIFFIN Helen, The Empire Writes Back, London ; New York : Routledge, 1989, p. 189.

399 ATTRIDGE Derek, « Oppressive Silence: J. M. Coetzee’s Foe and the Politics of the Canon » in LAWRENCE Karen R., Decolonising Tradition, op. cit., p. 226.

400 SAID Edward, The World, the Text and the Critic, London : Faber, 1984, p. 11.

canon littéraire britannique, si l’on en croit le nombre d’auteurs dits « postcoloniaux » aujourd’hui reconnus par les institutions académiques. Il existe donc une violence structurelle inhérente à la construction de l’histoire littéraire anglaise. Là où Harold Bloom voit dans The Western Canon (1994) la possibilité de s’en tenir à un certain canon de la littérature occidentale, on considèrera que le canon repose au contraire sur des conflits et des formes de violence constamment redéfinis dans l’histoire.

À regarder les variations dans l’appréhension des écrits de Kipling et de Maugham au fil du temps et la décanonisation contemporaine dont ils font l’objet – Kipling dans une moindre mesure que Maugham – on peut se demander si ces auteurs ne sont pas devenus marginaux au fil du temps. Cela est d’autant plus vrai de Kipling qu’il est toujours considéré comme le grand auteur de Kim, des Jungle Books et des Just So Stories en Angleterre. C’est finalement le Kipling auteur de nouvelles qui fait l’objet d’une minorisation par la critique et les institutions académiques, et surtout, les nouvelles elles-mêmes. En revanche, la décanonisation des écrits de Maugham est générale, tenant moins à la question de l’empire ou au genre de la nouvelle qu’au statut middlebrow de l’auteur. Peut-on tout de même en conclure que le genre même de la nouvelle serait devenu marginal au cours du temps ? Cela semble le cas, au vu de la faible production critique sur le genre, même aujourd’hui et dans un contexte anglo-saxon, alors même que le genre continue d’être prisé des lecteurs et l’était considérablement à la fin du XIXe siècle et durant l’entre-deux-guerres.

Outre l’évolution de la perception des genres, la création de canons obéit donc à des conditions historiques. Kipling et Maugham cristallisent tous les éléments susceptibles de rendre problématique leur canonisation aujourd’hui : auteurs de nouvelles sur l’empire, ils sont populaires de leur vivant. Certes, on ne prônera pas de façon normative l’égalité de toutes les œuvres et une absolue relativité en matière de goût. En effet, le corpus étudié implique de se confronter aux différences entre l’écriture de Kipling et celle de Maugham en termes de qualité littéraire, d’innovation stylistique, etc. Néanmoins, cette réflexion autour de la politique du canon et des opérations de minorisation et d’effacement engendrées par cette dernière est capitale pour réfléchir aujourd’hui au statut de ces auteurs.

Certains critiques, féminins en majorité, ont cherché à réhabiliter des œuvres populaires féminines et à replacer celles-ci au sein de la littérature féminine anglaise401. La nécessité éprouvée il y a quelques décennies de construire une tradition d’écriture féminine

401 SHOWALTER Elaine, A Literature of Their Own: British Women Novelists From Brontë to Lessing. 1977.

London : Virago, 1978. C’est l’objectif affiché d’Elaine Showalter qui redéfinit des ponts entre les différentes écrivaines afin de construire une véritable tradition d’écriture britannique féminine : « establish the continuity of the female tradition from decade to decade, rather than from Great Woman to Great Woman ».

anglophone est bien le signe que l’institutionnalisation repose sur des critères qui ne sont pas uniquement esthétiques. Selon Karen Lawrence : « Contemporary theory and criticism have forced the recognition that literary tradition and canon formation have always involved cultural narratives, disguised as aesthetic principles but constructed upon assumptions about class, gender, language, and race »402. La décanonisation de Kipling et de Maugham, de ce fait, apparaît peu surprenante au sens où l’un comme l’autre sont issus de milieux qui ne les destinaient pas à devenir de grands auteurs403. S’il est possible d’évoquer une forme de critique féminine (gynocriticism), l’existence d’une entreprise similaire qui viserait à reconsidérer l’écriture masculine dite « populaire » par rapport au canon n’est pas évidente404. Il paraît donc pertinent de chercher à combler ce vide, l’idée n’étant pas de réhabiliter à tout prix certains auteurs mais de réfléchir aux conditions de création et de transformation du canon.

En définitive, les textes eux-mêmes performent des opérations susceptibles de bouleverser les catégories créées par les critiques. La critique, toujours ancrée dans un mouvement idéologique, contribue à l’élaboration et à la transformation du canon littéraire.

En revanche, sa dimension politique s’articule avant tout au fait que son objet d’étude, le littéraire, est lui-même un objet politique.

2. La littérature, lieu de pouvoir et d’autorité culturelle ?

On terminera cette réflexion sur le fait que la littérature est perçue, par de nombreux critiques, comme un lieu de pouvoir et d’autorité culturelle405. C’est là ce qui ressort du parcours critique que l’on a dressé, notamment des observations concernant le dédain de

402 LAWRENCE Karen R., Decolonising Tradition, op .cit., p. 4.

403 Kipling sera longtemps complexé de ne pas avoir été à l’Université comme ses contemporains, membres de la scène littéraire anglaise. Quant à Maugham, ses origines modestes et bourgeoises le disqualifient de la scène littéraire de l’entre-deux-guerres, occupée largement par les auteurs de Bloomsbury, mais ne le privent pas d’une popularité extrême auprès du grand public.

404 On note toutefois que certaines études postcoloniales sur des corpus de « New Literature » entreprennent ce type de démarche.

405 Selon le comparatiste Yves Clavaron, la littérature peut être conçue comme « système de déligitimation ou de production de normes sociales » in CLAVARON Yves, Poétique du roman postcolonial, Saint-Etienne : Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2011, p. 27.

certains critiques et de certaines avant-gardes envers le middlebrow et ces autres productions textuelles qui ne sont pas perçues comme de la « grande littérature ».

Tout texte contient pourtant en son sein des possibilités d’interprétations infinies, mises en œuvre par ses différents lecteurs et par le rapport transhistorique au texte. Lire Kipling au XIXe siècle ne signifie pas la même chose que lire Kipling au XXIe, de même que l’appréhension de ses nouvelles par ses contemporains métropolitains, par des militaires en poste dans les colonies ou par des universitaires anglais ou français, il y a deux siècles et aujourd’hui, produisent des effets de lecture différents. Le lecteur apporte avec lui un certain bagage culturel, une histoire, un contexte qui engendrent un travail de renouvellement du sens à chaque nouvel acte de lecture406. L’art n’est donc pas politique parce qu’il évoque le politique ou adopte un positionnement ouvertement idéologique, mais bien parce qu’il a des effets sur le réel susceptibles de modifier ou de créer de nouvelles conditions éthiques et politiques dans le monde actuel407. Il est possible d’articuler cette proposition au postulat meschonnicien selon lequel on ne saurait séparer le texte littéraire du politique et de l’histoire, du sujet et du langage.

Dans Pour la poétique II, Henri Meschonnic propose de penser la poétique comme

« théorique-politique et pratique théorique »408. Ce travail s’inscrit dans la démarche meschonnicienne visant à proposer une anthropologie historique du langage engageant une pensée du « rythme » dans un rapport à l’histoire et au temps, dans et par l’énonciation. S’il reconnaît que l’écriture s’inscrit dans une idéologie, il s’intéresse avant tout à la transformation que celle-ci produit sur cette dernière :

À l’intérieur d’une idéologie, une écriture modifie, par son historicité et par sa propre cohérence, cette idéologie, au point d’opérer une transformation (variable, parfois ce n’est qu’une variation) et de produire sa propre idéologie. Un texte, s’il est texte, n’est jamais dans une seule idéologie. Tout en étant dedans, il est (par un ou plusieurs points de rupture : car il n’y a pas la rupture, il y a toujours eu, quand il y a eu texte, des points de rupture) contre, et il est hors, vers une autre idéologie, qu’il construit, – et plutôt même il se construit comme indéfini opérateur de glissement idéologique, jeu historique de variables et d’invariants.409

406 C’est ainsi que le sujet est susceptible de devenir un « transsujet » au sens de Meschonnic, traversé qu’il est par son expérience et la mémoire qui est la sienne, la situation dans laquelle il aborde le poème, dans son propre corps.

407 On retiendra la très belle formule de Gérard Dessons : « Le poème invente, déplace, critique les valeurs » in DESSONS Gérard, « Engager le poème » in DESSONS Gérard, MARTIN Serge, MICHON Pascal (dirs.), Henri Meschonnic, la pensée et le poème, Paris : In press, 2005, p. 37.

408 MESCHONNIC Henri, Pour la poétique II : Épistémologie de l’écriture. Poétique de la traduction, Paris : Gallimard, 1973, p. 139.

409 Ibid., p. 140.

Si les nouvelles de Maugham dérangent peut-être certaines catégories, concernant notamment ce que l’on entend par « littérature populaire », la relative mansuétude des critiques face à ses écrits suggère qu’ils inquiètent moins, ou différemment, que ceux de Kipling. Mais lorsque les récits kiplingiens qui mettent en scène de petites gens, de simples soldats, troublent certains lecteurs à certains moments-clés de l’histoire d’Angleterre, on comprend aisément que « la littérature n’est pas seulement un objet esthétique », qui serait coupé du monde et de l’histoire, mais qu’elle est « capable de penser » dans les termes de Pierre Macherey410, voire qu’elle peut donner à penser.

Ce que la virulence de certaines réactions montre, c’est aussi la difficulté à appréhender certains textes, difficulté qui semble découler du présupposé selon lequel tout texte littéraire devrait être « moderne » au sens de Woolf, ou devrait être un poème au sens meschonnicien du terme. Or, pourquoi serait-ce le cas ? Ce travail vise justement, par la démarche comparatiste, à analyser les effets que produisent certains textes par rapport à d’autres, de réfléchir au type de « performance » qu’ils mettent respectivement en œuvre face aux conceptions de la culture et de la littérature.

Or, si les textes middlebrow ne relèvent peut-être pas de la modernité au sens de Woolf, leur mode de publication leur confère une modernité qui relève d’une prise directe sur le monde. On rappellera que le marché des magazines était à l’époque en plein essor et que nombre d’écrivains victoriens commencèrent leur carrière en publiant des nouvelles, des poèmes ou des essais journalistiques dans de tels supports. Poe indiquait ainsi dans une lettre à son ami Charles Anthon dès 1844 : « I perceived that the whole…energetic, busy spirit of the age tended wholly…to the Magazine literature – to the curt, the terse, the well-timed, and the really-diffused, in preference to the old forms of the verbose and ponderous & the inaccessible »411. S’il mentionne les États-Unis, le rapport qu’il propose entre l’explosion des périodiques et le zeitgeist de la modernité est aussi valable pour l’Angleterre. L’importance de l’impact de ces magazines sur la psyché des Anglais et leur imbrication à l’idéologie est aisément mesurable lorsque l’on se remémore que le texte « Falk » de Conrad fut refusé parce qu’il mettait en scène un héros cannibale, et en cela, allait à l’encontre de la politique éditoriale du magazine Cornhill : « an inoffensive subject, simplicity of style and treatment,

410 DESSONS Gérard, « Engager le poème », in DESSONS Gérard, MARTIN Serge, MICHON Pascal (dirs.), Henri Meschonnic, la pensée et le poème, op. cit., p. 28. Gérard Dessons fait ici référence à l’ouvrage de Pierre Macherey, A quoi pense la littérature, (Paris : Presses Universitaires de France, 1990).

411 POE Edgar Allan, The Letters of Edgar Allan Poe, John Warm OSTROM (ed.), 2 volumes, New York : Gordian Press, 1966, vol 1, p. 268.

and a happy ending »412. De tels magazines se devaient de satisfaire les goûts des classes moyennes et couvraient des domaines multiples et variés, allant du Gentleman Journal aux family journals. En revanche, on notera que tous ne s’opposaient pas radicalement à la présence de thèmes provocateurs ou de techniques expérimentales, ce qu’indique le fait que des textes tels « An Outpost of Progress » ou « Heart of Darkness » furent publiés respectivement dans Cosmopolis (juin-juillet 1897) et le Blackwood’s Edinburgh Magazine (1902). Ce dernier périodique marqua le marché des magazines en Angleterre durant plusieurs décennies413. Il disait d’ailleurs offrir à ses contributeurs une liberté absolue : « license to strain their imaginations and to press at the boundaries of taste and sensation »414.

Les textes courts publiés dans les magazines prenaient directement part aux questions de société, en particulier celles qui concernaient le déclin de la masculinité britannique. Selon Gail Fraser, spécialiste de Conrad, l’élaboration du caractère national anglais par Marlow dans « Heart of Darkness » a une dimension clairement idéologique qui répond à la ligne éditoriale du périodique : « [it was] to endorse the traditionalist values celebrated by Blackwood’s since the early 1800s, and thus to involve his readers in the outgoing debate about England’s perceived weakening of spirit, body, and will »415. Elle ajoute que quelques années plus tard, Ford Madox Ford s’infiltra dans la brèche et prit position contre ceux qui évoquaient l’idée d’une crise de la masculinité britannique, « [those who] proclaim all day long that we are growing effeminate…open to invasion, lacking in patriotism…our hardihood all gone, our manhood degenerate »416. Cette invective fut publiée à un moment où en Angleterre, des rapports sur la dégénérescence nationale faisaient leur apparition quasiment quotidiennement dans les périodiques anglais417.

Plusieurs interventions publiques signalent aussi une inquiétude autour du déclin de l’esprit anglais, comme celle de Rider Haggard au sujet de ceux qu’il nomme « puny pygmies

412 FRASER Gail, « The Short Fiction », in STAPE J. H., The Cambridge Companion to Joseph Conrad, op. cit., p. 31.

413 Au nombre des magazines ayant marqué la fin de siècle et les décennies suivantes, on compte Albemarle et The Yellow Book, deux périodiques plutôt portés sur l’avant-garde littéraire, et The Strand, mensuel dans lequel parurent les premières aventures de Sherlock Holmes, mais aussi des nouvelles de Bret Harte, Walter Besant ou encore quelques traductions anglaises des contes de Maupassant. Les magazines publient leurs premières nouvelles dans les années 1820. Au début du siècle, outre le Blackwood’s (1817-1980), on repère également le London Magazine, plus mondain que le premier, ainsi que le New Monthly caractérisée par une ligne intellectuelle moins érudite que le London Magazine et moins audacieuse que le Blackwood’s. Pour une discussion plus détaillée sur ces questions, cf. KILLICK Kim, British Short Fiction in the Early Nineteenth Century, op. cit.

414 Ibid., p. 32.

415 Ibid., p. 31.

416 Editorial de The English Review, cité dans Gail Fraser, ibid., p. 31.

417 Ibid., p. 34. L’inversion des rôles traditionnels assignés à l’homme et à la femme, l’homme public et l’ange domestique, dans les nouvelles de Kipling et de Maugham s’apparente bien à une réponse ou à une participation à cette question qui occupe toutes les sphères de la société anglaise, populaires et moins populaires.

growing from towns or town bred parents » ; intervention dans laquelle il exprime sa nostalgie d’une anglicité ancienne supposée plus forte, « [yearning for] the blood and sinew of the race »418. Parallèlement, en 1907, le ministre des Affaires Étrangères australien, en visite en Angleterre, fustigea le pourrissement de la vie morale britannique, ajoutant : « the rottenness is spreading like a cancer through every fibre of the social organism »419. L’idée de dégénérescence allait de pair avec l’imaginaire concernant la fin attendue de l’empire britannique, comme le suggère cette note du philosophe Bertrand Russell datant de 1931 :

« As a patriot I am depressed by the downfall of England, as yet only partial, but likely to be far more complete before long »420.

D’autres grands thèmes de société prégnants dans la société anglaise fin de siècle et au début du XXe siècle font leur apparition exclusivement dans les magazines. Conrad, dans des textes également publiés initialement dans des magazines, interroge ainsi certaines des valeurs nationales britanniques dont le patriotisme, notamment dans « Typhoon »421. Lorsque l’équipage décide de remplacer le pavillon anglais par un pavillon asiatique, l’un des mâtelots, Jukes, s’offusque, révélant sa peur irrationnelle des coolies ainsi qu’un puissant sentiment xénophobique. Or, le fait que MacWhirr ne comprenne pas la réaction nationaliste

D’autres grands thèmes de société prégnants dans la société anglaise fin de siècle et au début du XXe siècle font leur apparition exclusivement dans les magazines. Conrad, dans des textes également publiés initialement dans des magazines, interroge ainsi certaines des valeurs nationales britanniques dont le patriotisme, notamment dans « Typhoon »421. Lorsque l’équipage décide de remplacer le pavillon anglais par un pavillon asiatique, l’un des mâtelots, Jukes, s’offusque, révélant sa peur irrationnelle des coolies ainsi qu’un puissant sentiment xénophobique. Or, le fait que MacWhirr ne comprenne pas la réaction nationaliste