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7. L’humanité au tribunal 77

7.4 Le crime contre l’humanité 86

Les crimes totalitaires procèdent d’une véritable acosmie qui détruit tous les liens possibles entre les hommes. De toute évidence, ces crimes ont franchi un point de non-retour, ils sont impardonnables autant qu’impunissables, et ils mettent immanquablement en échec la réconciliation exercée par la peine. Arendt admet que la seule réponse appropriée réside dans le respect de l’esprit et de la procédure du droit. L’inadéquation des crimes avec le cadre juridique ne peut que ressortir à l’intérieur de ce cadre. Leur singularité est uniquement soulignée par le prononcé d’un jugement et d’une sentence qui de cette manière fonde un précédent. Arendt précise ainsi que « si un crime inconnu auparavant, tel le génocide, apparaît brusquement, la justice elle-même exige qu’il soit jugé en vertu d’une nouvelle loi »311.

Cette exigence est à l’origine de la catégorie de crime contre l’humanité. Cette catégorie juridique a été créée par les procureurs mandatés par les Alliés en prévision du procès de Nuremberg en 1945 où les principaux responsables nazis ayant survécu à la défaite ont été jugés. Pour la première fois, un tribunal faisait face à des crimes qui n’étaient pas justifiés par le contexte de la guerre. Les crimes de guerre et ceux contre la paix étaient des catégories usuelles qui ne pouvaient s’appliquer aux atrocités et aspirations génocidaires des nazis. Ces derniers témoignaient d’un plan d’assassinat systématique, indépendant de toute nécessité ou visée guerrière. Le crime contre l’humanité « constitue une attaque contre la diversité humaine en tant que telle, c’est-à-dire contre une caractéristique du “statut d’être humain” sans lequel les mots mêmes de “genre humain” ou d’“humanité” n’auraient plus aucun sens »312.

Lors du procès d’Adolf Eichmann, Arendt se montre très critique à l’égard du jugement émis par le tribunal de Jérusalem. Elle accuse celui-ci d’avoir précisément échoué à établir une définition du crime contre l’humanité313. Selon elle, le tribunal a strictement jugé

Eichmann pour des crimes commis contre une nation particulière plutôt que contre la communauté internationale ou l’humanité comprise comme une pluralité de peuple.

311 ARENDT, « Eichmann à Jérusalem », p. 1264. 312 Ibid., p. 1277.

Pourtant, il est évident, soutient Arendt, que l’humanité dans son ensemble a été attaquée par les systèmes totalitaires, et qu’il en revient à cette même humanité de juger et de punir ceux qui ont participé à cette attaque314. En jugeant Eichmann pour ce qu’il a commis

uniquement contre le peuple juif, le tribunal a omis de prendre en considération ce qu’impliquait le crime de génocide au-delà d’une radicalisation de l’antisémitisme nazi : « c’est lorsque le régime nazi déclara que le peuple allemand non seulement ne voulait d’aucun Juif en Allemagne mais aussi qu’il désirait faire disparaître l’ensemble du peuple juif de la surface de la terre que le nouveau crime apparut, le crime contre l’humanité — au sens du crime “contre le statut d’être humain” ou contre l’essence même de l’humanité »315.

Ainsi, bien qu’il soit évident que les Juifs ont été tués en tant que Juifs, le génocide viole des principes qui dépassent l’identité des victimes. Le génocide c’est d’abord « l’aboutissement du refus de traiter les Juifs en hommes»316soutient Raymond Aron. Avec

ce crime, pour Arendt, c’est « un tout autre ordre qui est brisé et une toute autre communauté qui est violée »317. En reprenant l’expression de George Clémenceau, Arendt

martèle que les crimes nazis sont « l’affaire de tous les hommes ». Le procès et le jugement doivent en conséquence avoir lieu selon une procédure criminelle qui établit que le génocide n’est pas commis contre un peuple en particulier, mais qu’il est plutôt exercé contre la totalité des peuples organisés en communauté mondiale : « lorsqu’un peuple [...] une ville ou même seulement un groupe de personnes est détruit, ce n’est pas seulement un peuple, une ville ni même un certain nombre d’hommes qui est détruit, mais une partie du monde commun qui se trouve anéantie : un aspect sous lequel le monde se montrait et qui ne pourra plus jamais se montrer »318.

314 Ce qui ne veut pas dire qu’Arendt s’oppose à la tenue du procès en Israël. Au contraire, elle convient qu’en

tant qu’État juif, Israël avait le droit de juger les crimes commis contre son peuple au même titre que les autres pays occupés par les nazis qui ont tenu des procès similaires après la guerre. Pour les mêmes raisons, elle ne se formalise pas de la nationalité des juges. Pour Arendt, c’est le contenu du jugement qui importe. ARENDT, « Eichmann à Jérusalem », p. 1268-9.

315 Ibid., p. 1277. 316 ARON, op. cit., p. 58.

317 ARENDT, « Eichmann à Jérusalem », p. 1281. 318 Id., Qu’est-ce que la politique?, p. 153.

Pour ces raisons, Arendt insiste sur la nécessité d’élaborer un code pénal international. Lorsque des membres de la communauté internationale sont menacés, il est juste et approprié que cette communauté protège et rende justice. Un code pénal international permettrait ce type d’intervention, à la condition qu’il s’inscrive au-dessus des nations, et qu’il transcende le domaine du droit international classique. Une telle implantation signifie qu’il serait désormais possible pour la communauté internationale d’intervenir sans avoir à tenir compte des droits et règles de la souveraineté nationale319.

L’instauration d’un code pénal international est indispensable pour une autre raison. Dès lors qu’il est un précédent, le crime contre l’humanité s’inscrit du même coup comme une possibilité réelle, déplaisante, mais difficile à nier, d’être à nouveau commis dans le futur :

il est dans la nature des choses humaines que tout acte, une fois apparu et inscrit dans le cours de l’histoire de l’humanité, demeure dans l’humanité en tant que potentialité, longtemps après que sa réalité s’est fondue dans le passé. Aucun châtiment n’a jamais eu le pouvoir d’empêcher que des crimes soient commis. Au contraire, quel que soit le châtiment, tout crime apparu une première fois a plus de chances de réapparaître qu’il n’en avait d’apparaître au départ.320

Nous savons aujourd’hui que ces observationssont malheureusement vraies.

319 Hannah ARENDT, « En guise de conclusion », Les Origines du totalitarisme — Eichmann à Jérusalem,

Paris, Gallimard, [1951] 2002, p. 871.

Conclusion

Les Origines du totalitarisme de Hannah Arendt ont élucidé les conditions d’implantation propres aux régimes totalitaires. Dans le cadre de notre mémoire, l’étude de ce texte nous a permis de suivre un phénomène qui accompagna l’émergence du totalitarisme, celui du déclin du concept d’humanité. Sous l’impérialisme du dix-neuvième siècle, le concept d’humanité a été relégué à l’arrière-plan du politique dont les priorités furent dévolues à la poursuite d’impératifs économiques. Les impérialistes européens poursuivent une accumulation des richesses qui les amène à usurper celles des pays du continent africain. Dans son analyse, Arendt prouve que c’est à ce moment que nous assistons à une modification décisive des motivations des puissances européennes : le politique est dorénavant subordonné à l’économique. L’importance qu’elle accorde à l’impérialisme réside dans cette subordination où pour la première fois le politique fut au service d’une motivation étrangère aux intérêts des hommes en tant que communauté. Le déclin du concept d’humanité débuta par ce changement et fut consolidé par la méthode adoptée pour atteindre l’objectif d’une augmentation continue de la richesse, soit la domination. Comme nous l’avons vu, on retrouve cette nécessité de la domination dans la philosophie de Thomas Hobbes qu’Arendt présente comme le philosophe de la bourgeoisie, classe que l’on identifie comme étant derrière le développement de l’impérialisme. La domination permet d’acquérir les richesses au détriment des populations locales qui sont alors dominées par une bureaucratie européenne chargée de l’administration.

Pour Arendt, cette séparation draconienne entre les Européens et les Africains est justifiée par l’adhésion à une idéologie raciste tributaire de différentes théories raciales pseudo- scientifiques qui divisent les peuples en deux catégories, ceux issus de races supérieures et ceux issus de races inférieures. Elle souligne que le racisme a permis les pires abus, n’hésitant pas à affirmer qu’il est à l’origine « des massacres les plus terribles de l’histoire récente »321. Derrière ces massacres, on retrouve des méthodes de dominations qui seront à

nouveau employées des années plus tard au cœur de l’Europe. Comme le résume Enzo Traverso « avec sa combinaison d’extermination des peuples autochtones et

d’administration bureaucratique des territoires conquis, le colonialisme fut le premier laboratoire des massacres planifiés et rationalisés du XXe siècle »322.

Le racisme mis en branle par l’impérialisme moderne est la première forme du déclin du concept d’humanité. Dans son analyse, Arendt insiste sur la compréhension pervertie de la différence, et rappelle que le racisme n’est pas un accident arbitraire, mais bien une convention. Il incarne un rapport social institué dans le but d’instaurer et de consolider la domination européenne en Afrique. Conséquemment, les populations locales africaines sont exclues du domaine politique en étant administrées par les colons européens. L’appartenance à une humanité inférieure justifie leur mise à l’écart.

La deuxième forme du déclin du concept d’humanité présentée par Arendt est l’apatridie qui toucha des populations entières durant l’entre-deux-guerres. Tout comme le racisme, l’apatridie est d’origine humaine. Elle peut être le résultat d’une mauvaise planification géopolitique ou d’une décision délibérée de retirer la citoyenneté à certains individus. Dans tous les cas, l’apatridie a les mêmes conséquences pour ses victimes, elles deviennent des exclus. Les individus perdent leur citoyenneté et les droits qu’elle implique, ce qui rend leur existence précaire. Sans patrie, sans citoyenneté et sans droits, les heimatlos sont totalement impuissants, ils n’ont aucun recours pour changer leur condition. Ils se retrouvent dans une situation de complète acosmie. Leurs paroles et leurs actes n’ont aucune incidence sur leur vie ou sur le monde dans lequel ils vivent. Ils sont relégués au strict domaine privé dont la pérennité est de surcroît soumise au bon vouloir des autorités. Ces deux formes du déclin de l’humanité témoignent d’une exclusion du politique. Le politique — tout comme l’humanité — est intrinsèquement lié à l’appartenance à une communauté, il ne constitue pas une caractéristique propre à une quelconque nature de l’homme. Sans cette appartenance, il est impossible d’être fondamentalement libre, puisque la communauté est l’incarnation de la condition humaine de la pluralité qui rend possible la prise de parole et surtout l’action. La parole et l’action sont des modes d’apparition de l’être humain, grâce à eux il a la possibilité de s’affirmer comme une personne singulière et

unique. Ce dévoilement dépend d’une accessibilité au domaine public où l’homme apparaît comme un pair, et où, surtout, il est reconnu comme tel.

Le politique reflète l’artificialité de l’homme. Il témoigne de la capacité humaine à construire et organiser un monde qui lui est propre, c’est-à-dire un monde qui n’est pas celui de la nature. Lorsqu’on lui enlève la possibilité de participer à la vie politique, l’homme est du même coup relégué à l’extérieur de l’humanité, il ne peut plus appliquer les caractéristiques qui fondent son humanité (la parole et l’action). Ce qui définit le déclin du concept d’humanité, c’est le fait que pour la première fois des populations entières sont exclues du politique parce qu’on leur refuse tout accès à une quelconque communauté. Cette situation fait en sorte que ces populations sont parfois soumises à de mauvais traitements sans quelles puissent se défendre ou obtenir une protection.

L’ineffectivité des droits de l’homme à protéger les individus et les populations rend compte du déclin du concept d’humanité. Essentiellement, Arendt déplore que pour bénéficier de ces droits, il faille impérativement devenir membre d’une communauté politique reconnue. L’humanité qu’ils évoquent est donc abstraite, elle fait abstraction de l’organisation du monde divisé en différents États-nations, du fait que ce n’est pas le Monde, mais un État particulier qui garantit les droits. La seule solution pour profiter des droits de l’homme est l’intégration dans une communauté. Or, quant aux victimes du racisme colonial et de l’apatridie, les États n’ont aucune obligation de les intégrer. Les droits de l’homme concernent exclusivement leurs citoyens, ils ne s’appliquent pas aux colonisés qui sont considérés comme des citoyens de deuxième classe ni aux apatrides qui sont tenus pour des étrangers.

L’exclusion du politique est plus radicale sous le totalitarisme, qui incarne l’apogée du déclin du concept d’humanité. On peut affirmer qu’une implantation réussite du totalitarisme dépasse même la notion de déclin : elle mène directement à une liquidation de l’humanité telle qu’on la connaît. Dans les derniers chapitres des Origines, Arendt soutient que l’idéologie totalitaire cherche à créer un homme nouveau. Cette création est réalisée par l’usage de la domination qui instaure un processus de déshumanisation qui permet de faire

l’expérience d’un monde sans les hommes, c’est-à-dire un monde où l’homme est transformé en animal humain. Les différentes étapes de déshumanisation, l’assassinat de la personne juridique, la destruction de la personne morale et la destruction de la différenciation tendent à dépouiller l’homme de son humanité jusque dans le profond de son cœur, avant de l’assassiner physiquement.

La poursuite d’une finalité qui nécessite l’édification des camps, et dont l’accomplissement ne peut que résulter en une destruction de l’humanité, soulève inévitablement un questionnement sur l’humanité de ceux qui ont participé à son élaboration. Plusieurs années plus tard, Arendt revient sur cette question qu’elle a simplement évoquée dans les Origines. Son compte-rendu du procès du criminel nazi Adolf Eichmann permet, par un cas de figure, de comprendre les agissements de ces exécutants. Sa conclusion bien connue explique que derrière ces crimes on ne retrouve que la banalité du mal, plutôt qu’une volonté diabolique, perverse ou dérangée. Le totalitarisme et ses crimes ne sont pas le résultat de personnes inhumaines, ils procèdent d’individus qui refusent d’être des humains. L’exemple d’Eichmann démontre que les responsables de sa trempe ont été eux aussi déshumanisés par le système totalitaire. La déshumanisation qui les touche diffère toutefois de celle que subissent les prisonniers des camps; elle sollicite l’obéissance aveugle et l’absence de réflexion. Ils sont de simples rouages anonymes qui accomplissent des tâches sans s’interroger sur leur nature ou leurs conséquences. Ainsi, tout comme leurs victimes, les exécutants sont superflus.

***

Loin d’être inaltérable, le concept d’humanité continue de se transformer selon les contextes sociohistoriques et politiques. La disparition de certaines conjonctures politiques ne garantit pas la sauvegarde de l’humanité. Bien au contraire, la persistance des formes du déclin du concept d’humanité dans le temps nous appelle à la prudence. Les problématiques identifiées par Hannah Arendt il y a maintenant un demi-siècle n’ont toujours pas été décisivement résolues – c’est d’ailleurs ce qui fonde encore aujourd’hui l’intérêt

philosophique de son œuvre. Le racisme n’est pas éradiqué. L’Afrique et l’Europe ont connu des conflits ethniques qui ont mené à des massacres et à des génocides. La question de l’apatridie touche plusieurs peuples, et elle est malheureusement irrésolue. Bien qu’il soit difficile de colliger des statistiques entourant le nombre exact d’apatrides, l’Organisation des Nations Unies (ONU) estime que cette condition touche douze millions de personnes dans le monde aujourd’hui323.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les droits de l’homme ont certes été actualisés avec la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les membres de l’ONU en 1948. Cette nouvelle déclaration contient des articles contre la discrimination sous toutes ses formes (article 2), et elle affirme aussi que « tout individu a droit à une nationalité » (article 15)324. Mais, une telle refonte ne garantit en rien l’efficacité de ces

droits. Le droit d’avoir des droits, le véritable droit fondamental des êtres humains selon Arendt, a besoin de plus qu’une déclaration pour être réellement effectif. Il nécessite la création d’un droit international qui aurait autorité au-delà de la souveraineté nationale des États. Force est d’avouer que malgré la formation de l’ONU « un monde qui serait au- dessus des nations n’existe pas »325.

Pis encore, même dans un monde de plus en plus globalisé, l’un des dangers que craignait Arendt se produit malgré les efforts de la communauté internationale d’éradiquer les atteintes aux droits de l’homme : « le danger est qu’une situation globale, coordonnée à l’échelle universelle, se mette un jour à produire des barbares nés de son propre sein, à force d’avoir imposé à des millions de gens des conditions de vie qui, en dépit des apparences, sont les conditions de vie de sauvages »326. Ce danger qui s’attaque au concept

d’humanité n’est pas extérieur au monde, il est toujours issu de son organisation déficiente. L’impérialisme et le totalitarisme en sont des exemples du passé. Aujourd’hui, nous

323 UNHCR. « Conférence ministérielle : Le chef du HCR salue “l’avancée décisive” sur l’apatridie ». In

UNHCR, [En ligne]. www.unhcr.fr/4ee12c21c.html. Consulté le 12 avril 2014. Les apatrides sont par définition non enregistrés auprès des instances étatiques, donc ils sont, pour la plupart, absents de toute forme de recensement.

324 ONU. Déclaration universelle des droits de l’homme, [En ligne].

http://www.un.org/fr/documents/udhr/index2.shtml. Consulté le 12 avril 2014.

325 ARENDT, « L’Impérialisme », p. 602. 326 Ibid., p. 607.

assistons de nouveau à une remise en question de la primauté du concept d’humanité. Dans nos sociétés capitalistes, la primauté de ce concept a été jusqu’à tout récemment décriée comme un idéal s’opposant au rationalisme des intérêts économiques. En cette période d’austérité qui inflige des compressions économiques drastiques aux populations — telles des hausses des tarifications de toutes sortes, gels des salaires et pensions, réduction du filet social, etc. —, ceux qui sont touchés par ces décisions réclament que l’humanité soit considérée comme le principe directeur des décisions politiques. Les tenants de la stabilité économique à tout prix refoulent quant à eux cette revendication, et ils n’hésitent pas à user de la répression pour consolider leurs décisions. Les nombreuses manifestations qui ont secoué l’Europe durant les dernières années l’ont d’ailleurs démontrée.

Quant au rôle de la philosophie dans la défense du concept d’humanité, c’est un constat d’échec que Hannah Arendt a prononcé contre elle au moment de la publication des Origines :

je soupçonne la philosophie de n’être pas tout à fait innocente quant à ce qui nous est donné là. Pas dans le sens naturellement où Hitler pourrait être rapproché de Platon. [...] Mais sans doute au sens où cette philosophie occidentale n’a jamais eu une conception du politique et ne pouvait en avoir parce qu’elle parlait forcément de l’homme individuel et traitait accessoirement de la pluralité effective.327

Pour Arendt, la philosophie serait coupable d’une omission, d’un mépris envers le politique, voir d’un refus de penser la pluralité des hommes. Et elle le répètera : la philosophie s’est toujours occupée de l’homme singulier plutôt que des hommes au pluriel328. Ce constat ne sonne cependant pas le glas de la philosophie. Au contraire,

confrontée aux différentes catastrophes du vingtième siècle et à l’exigence corrélative de penser notre monde, Arendt appellera au renouvellement de la philosophie : « qui, à défaut des philosophes, est susceptible de nous instruire? »329.

327 ARENDT, Correspondance 1926-1969, p. 244. 328 Id., Qu’est-ce que la politique?, p. 39.