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Création de normes autour des mortinaissances évitables

Dans le document Être gouverné : entre science et politique (Page 135-151)

CHAPITRE 3 – Être gouverné par la prévention

3.1 Créer des normes

3.1.1 Création de normes autour des mortinaissances évitables

Si certaines mortinaissances sont jugées évitables, c’est qu’il doit y avoir des critères pour les distinguer. Ainsi, dans les séries de 2011 et 2016 du The Lancet, une mortinaissance évitable correspond à une mortinaissance de troisième trimestre. La distinction s’avère toutefois plus claire et explicite dans une publication antérieure du The Lancet :

Stillbirths can be subclassified according to the gestational age at birth, typically into early stillbirths (20-28 weeks’gestation) and late stillbirths (after 28 weeks). Although this division is somewhat arbitrary, this stratification allows for fairly reliable international comparison of late losses, and allows stillbirths to be divided into those that are difficult to prevent (i.e. early losses) and those that are potentially preventable (i.e. late losses). Stillbirths are also subclassified by whether death occurred before or after the onset of labour – termed antepartum and intrapartum, respectively.

(Smith et Fretts 2007 : 1715)

La normalisation de la catégorie mortinaissance évitable correspond initialement à deux grands partages. D’une part, celui des mortinaissances tardives jugées (potentiellement) évitables en comparaison des mortinaissances précoces jugées difficiles à prévenir. D’autre part, celui entre les décès antepartum jugés plus ou moins évitables selon le premier partage et les décès intrapartum jugés d’autant plus évitables si les nourrissons sont nés à terme. Aux deux grands partages initiaux, s’ajoute donc un troisième partage, tripartite, pour juger du caractère évitable des mortinaissances : naissance avant terme/naissance à terme/naissance après terme. Ces trois grands partages servent de base pour créer des normes qui vont elles- mêmes servir à normaliser les gens.

Le premier grand partage reprend l’ancien seuil de viabilité. Au chapitre 2, j’ai évoqué ce seuil comme convention d’équivalence pour établir des estimations statistiques nationales comparables. En cela, les mortinaissances sont « définies comme les décès fœtaux au cours du troisième trimestre (≥ 1000 g ou ≥ 28 semaines) » (OMS 2015 : 31). Cette convention sert ici à départager les mortinaissances entre elles (entre mortinaissances précoces et tardives) et tout particulièrement à mesurer les mortinaissances tardives puisqu’elles sont jugées

évitables. Ce qui équivaut à mortinaissance dans le calcul du taux statistique de mortinaissance est ainsi conventionnellement le nombre de mortinaissances tardives (les mortinaissances de troisième trimestre). Au chapitre 2, en plus d’avoir souligné la distinction entre nombre absolu et nombre estimé, j’ai souligné quelques effets des conventions d’équivalence sur les mesures, dont celle-ci : « moving from a 28-week to a 22-week threshold can lead to a 40% increase in numbers of stillbirths » (Lawn et al. 2011 : 1451). Le nombre total de mortinaissances ou plus largement de morts fœtales est donc beaucoup plus grand que le nombre de mortinaissances au cours du troisième trimestre80. Il n’en reste pas moins que c’est cette base conventionnelle des mortinaissances tardives qui équivaut au nombre de mortinaissances (nombre de mortinaissances = nombre de mortinaissances de troisième trimestre) dans le calcul du taux de mortinatalité : « nombre de mortinaissances pour 1000 naissances (enfants vivants et mort-nés) » (OMS 2015 : 31)81. Le taux de mortinatalité varie largement d’un pays à l’autre. Selon la série du The Lancet de 2011, « le Niger et le Pakistan ont les taux de mortinaissance les plus élevés (42 et 46 par 1000 naissances, respectivement) alors que la Finlande et Singapour ont les taux les plus bas (deux par 1000 naissances) » (Lawn et al. 2011a : 3). Le calcul du taux de mortinatalité dépend non

80 Le nombre estimé de mortinaissances dans le monde, même ainsi défini, reste pourtant suffisamment

impressionnant pour avoir été transformé en une dite épidémie. Mais, il est intéressant de souligner que même si le projet du The Lancet et de l’OMS se réalisait et que toutes ces mortinaissances jugées évitables étaient éradiquées, il suffirait de changer la définition (abaisser la convention d’équivalence) pour créer une nouvelle épidémie. C’est très précisément ce qui s’est passé avec ladite épidémie d’obésité comme le précise Hacking : «les facteurs de risque (et non de mortalité) s’accroissent lorsque l’IMC [indice de masse corporelle] dépasse 25. Pour cette raison, les experts ont décrété que le surpoids commence à 25. Si on ramène la limite de la bonne santé de 27,5 à 25, on crée une épidémie instantanée ! Je ne nie pas que la proportion des gens ayant un IMC supérieur à 30 ait augmenté dans les années récentes. Mais il est trop facile de confondre l’obésité avec le surpoids dans le climat actuel des médias » (Hacking 2005c : 18).

81 Dans sa traduction du sommaire exécutif, le The Lancet traduit « stillbirth rate » par taux de mortinaissance,

alors que l’OMS réfère au taux de mortinatalité. L’objet de la mesure est le même : les mort-nés. La différence réside dans les logiques distinctes de la langue française et de la langue anglaise, la première disposant du concept abstrait de mortinatalité (parallèle à mortalité et à natalité) dont il n’existe aucun équivalent en langue anglaise : « l’anglais, qui possède “still-birth” (fait) et “stillborn” (objet), ne dispose d’aucun vocable pour exprimer le phénomène abstrait en cause » (Vincent 1953 : 119 – c’était exact en 1953 et c’est toujours exact en 2018). À l’inverse, avant 1953, la langue française ne disposait d’aucun terme pour désigner le fait en question : « nous disposons bien du mot “mort-né” pour désigner l’objet, mais pour exprimer le fait correspondant, nous sommes obligés d’employer la périphrase fort incommode : “naissance d’un enfant mort- né” » (Vincent 1953 : 119). Si Paul Vincent va introduire le néologisme mortinaissance dans le langage démographique de langue française (en 1953, dans la revue Population), il n’existe toujours aucun vocable équivalent à mortinatalité en langue anglaise. On comprend mieux à présent que taux de mortinaissance est une traduction littérale de stillbirth rate selon la logique de la langue anglaise, mais qu’en français, il est plus juste de se référer à taux de mortinatalité, parallèle logique en langue française à taux de mortalité et à taux de natalité. Puisque cette thèse porte attention au discours du The Lancet, j’ai conservé la traduction taux de mortinaissance dans les citations, mais je me réfère par ailleurs à taux de mortinatalité.

seulement des conventions d’équivalence, mais aussi des données disponibles et de la méthode d’estimation : « Pour les données des pays dotés de registres d’état civil et d’une bonne couverture, les données satisfaisant aux critères de poids supérieur ou égal à 1 000 g ou de gestation de 28 semaines révolues sont directement tirées des registres sans être ajustées. Pour les autres pays, on estime les taux de mortinatalité à l’aide d’un modèle de régression » (OMS 2015 : 31). Le taux mondial de mortinatalité est donc nécessairement un taux estimé, mais les promoteurs du The Lancet ne le soulignent pas : « Dans le monde entier en 2015, il y a eu 18,4 mortinaissances pour 1 000 naissances totales, par rapport à 24,7 mortinaissances en 2000 » (Samarasekera et al. 2016 : 5, je souligne). Les objectifs à atteindre pour réguler les mortinaissances sont résumés dans le Plan d’action de l’OMS (2014) suivant les travaux du The Lancet (Lawn et al. 2014), sous l’objectif « ending

preventable stillbirths » :

All countries will reach the target stillbirth rate (SBR) of 10 or less stillbirths per 1 000 total births by 2035 and continue to close equity gaps. Achieving this goal will result in an average global SBR of 8 per 1 000 total births. By 2030, all countries will reach 12 or less stillbirths per 1 000 total births resulting in an average global SBR of 9 deaths per 1 000 total births (other interim goals are shown in Fig. 5). All countries should focus on addressing inequalities and use audit data to track and prevent stillbirths.

(OMS 2014 : 19)

En somme, le taux normal de mortinatalité à atteindre après une période de 20 ans (2015- 2035) est de 10 ‰ à l’échelle nationale (variation normale estimée en 2008 : entre 2 ‰ et 46 ‰) et de 8 ‰ à l’échelle mondiale (taux normal estimé en 2015 : 18,4 ‰). Mais, il y a plus, puisque pour les pays qualifiés à revenu élevé, il s’agit de radicalement mettre fin aux mortinaissances évitables, objectif jugé possible par le The Lancet : « Dans chaque région, il y a des pays qui progressent plus rapidement pour prévenir les mortinaissances. Même entre les pays à revenu élevé, le taux de mortinaissance (au troisième trimestre) varie considérablement, allant de 1,3 à 8,8 pour 1 000 naissances, ce qui montre qu’il est possible d’obtenir plus de réduction, avec six pays ayant un taux de mortinaissance de 2,0 ou moins pour 1 000 naissances » (Samarasekera et al. 2016 : 5). Ainsi, le taux normal de mortinatalité projeté pour 2035 varierait, au plan national, entre 0 ‰ et 10 ‰. Pour régulariser le taux de

mortinatalité et ainsi créer une nouvelle norme et sa variation minimale, le The Lancet a identifié cinq actions prioritaires pour changer la tendance des mortinaissances :

1. DIRECTION INTENTIONNEL : Maximiser le leadership existant ; s’assurer que les organisations mondiales intègrent la mortinaissance lorsqu’ils agissent pour les femmes et les enfants, impliquer intentionnellement les parents et encourager les champions.

2. AUGMENTER LES VOIX, en particulier chez les femmes : Autonomiser les femmes pour qu’elles exigent une bonne qualité de vie et de soins de santé, et soutenir les personnes touchées par une mortinaissance à élever leur voix pour le changement ; élaborer des protocoles culturellement appropriés pour les soins respectueux après le décès ; réduire la stigmatisation.

3. MISE EN ŒUVRE des interventions intégrées avec des investissements proportionnels : Assurer des soins de haute qualité pour toutes les femmes pendant la grossesse, le travail et l’accouchement, et après la mortinaissance ; mettre l’accent sur les interventions d’impacts les plus élevés, en particulier les soins intrapartum dans les contextes les plus affectés ; résoudre les goulots d’étranglement du système de santé, notamment la nécessité d’avoir un personnel de santé qualifié, en particulier les sages-femmes ; augmenter le financement et l’innovation à la hauteur de l’ampleur des 2,6 millions de décès par an ; promouvoir ces actions dans les processus aux niveaux mondial, régional et national en appui à la Stratégie mondiale pour la santé des femmes, des enfants et des adolescents.

4. INDICATEURS POUR MESURER L’IMPACT et suivre les progrès : Compter chaque grossesse et chaque bébé, y compris les mortinaissances, notamment en améliorant les statistiques démographiques et les enregistrements à l’état civil (CRVS) ; intégrer des composantes spécifiques à la mortinaissance dans les plans concernés pour l’amélioration des données, en particulier pour suivre la couverture programmatique et la qualité, ainsi que la prévention de la mortinaissance et le soutien post-mortinaissance ; remplir et utiliser les outils d’audit périnatals et un système mondial de classification.

5. ENQUÊTE sur les importantes lacunes en matière de connaissances : Combler les lacunes en matière de connaissances en établissant des priorités de recherche liées à la prévention de mortinaissance et du soutien aux personnes endeuillées, y compris la découverte scientifique, la recherche translationnelle et la recherche appliquée pour stimuler l’innovation ; développer les capacités de recherche. (Samarasekera et al. 2016 : 9)

En continuité avec le The Lancet, l’OMS a également identifié cinq actions associées :

1. Renforcer, à l’aide d’investissements, les soins fournis pendant la période cruciale du travail, de l’accouchement et le premier jour et la première semaine de vie.

2. Améliorer la qualité des soins maternels et néonatals.

3. Atteindre chaque femme et chaque nouveau-né et réduire les inégalités.

4. Utiliser l’influence des parents, des femmes et des communautés pour faire évoluer les choses.

5. Recenser chaque nouveau-né : améliorer les systèmes de mesure et de responsabilisation, y compris l’enregistrement des naissances et des décès. (OMS 2014 : 20)

Il y a là tout le plan d’action pour faire la prévention des mortinaissances et mettre fin aux mortinaissances évitables à travers une série de techniques d’incitation. Ce que je veux souligner pour le moment, c’est qu’avec ces actions prioritaires, il y a un déplacement dans l’usage de la quantification. Les promoteurs du The Lancet en font l’usage suivant : « Le taux de mortinaissance devrait être utilisé comme indicateur de qualité des soins pendant la grossesse et l’accouchement, et un indicateur sensible de la force du système de santé » (Samarasekera et al. 2016 : 4). De fait, en 2015, le taux de mortinatalité est devenu l’un des indicateurs de l’état de santé dans la Liste mondiale de référence des 100 indicateurs

sanitaires de base de l’OMS, et pour les raisons suivantes : « Dans de nombreux cas, les

mortinaissances reflètent les insuffisances de la couverture par les soins prénatals, ou des soins pendant la période intrapartum » (OMS 2015 : 31). Ce premier grand partage nous amène à porter notre attention vers le second grand partage.

Nous inspirant des travaux d’Alain Desrosières, il importe, avant de poursuivre, de souligner trois points. Premièrement, « le thème de la quantification englobe non seulement la statistique proprement dite, mais aussi la comptabilité, les indicateurs de performance, les palmarès (ou ranking) et tous les outils quantitatifs du new public management (ou NPM) » (Desrosières 2014 : 36). Deuxièmement, l’usage de la quantification se trouve par là lié à une logique de suivi, d’évaluation et de performance où les indicateurs « induisent des effets de

Desrosières précise que « le fait de créer des catégories, en principe pour simplifier le monde et le rendre lisible, tout à la fois le modifie et en fait un autre monde. Les acteurs, changeant de système de référence, ne sont plus les mêmes acteurs, puisque leurs actions sont désormais orientées par ces indicateurs et ces classifications, qui deviennent des critères d’action et d’évaluation de celles-ci » (Desrosières 2014 : 46). Troisièmement, à ces indicateurs statistiques est confié un rôle central dans l’État néolibéral ; « des outils peu évoqués dans les débats publics, alors qu’ils constituent les espaces et les langages mêmes qui les délimitent et les structurent » (Desrosières 2014 : 45-46). Desrosières soutient ainsi que l’usage des indicateurs soulève de nouvelles questions et introduit une discontinuité dans l’usage de la quantification, ce qui fait dire à Richard Rottenburg et Sally Engle Merry que « there is something new about the use of quantitative knowledge for governing social life in the twenty-first century » (Rottenburg et Merry 2015 : 1). Le présent chapitre contribue à mieux cerner ce changement.

Le deuxième grand partage raffine la catégorie de mortinaissances évitables de manière à subdiviser le taux de mortinatalité : « Les mortinaissances peuvent survenir pendant la période antepartum ou intrapartum » (OMS 2015 : 31). Ainsi, les promoteurs du The Lancet énoncent que « le taux de mortinaissance intrapartum, une mesure directe à l’accès aux soins de qualité intrapartum, doit être collecté et rapporté pour accroître la redevabilité locale » (Samarasekera et al. 2016 : 4). Le The Lancet estime d’ailleurs que la moitié des mortinaissances évitables concerne des mortinaissances intrapartum : « La moitié des mortinaissances survient pendant le travail – 1,3 million chaque année » (Samarasekera et

al. 2016 : 6). Reste que l’autre moitié des mortinaissances évitables estimées concerne des

mortinaissances antepartum ; « dans les pays à revenu élevé, 90 % des mortinaissances surviennent dans la période ante-partum » (Samarasekera et al. 2016 : 6). La prévention des mortinaissances évitables concerne ainsi les deux sphères de ce deuxième grand partage : « Inscrits au cœur des programmes de santé publique pour la santé des femmes et des enfants... les soins prénatals et intrapartum de haute qualité protègent la mère et son bébé, et représentent quatre fois un retour sur investissement, sauvant la vie des mères et des nouveau- nés, prévenant la mortinaissance, et de plus, améliorant le développement de l’enfant » (Samarasekera et al. 2016 : 1). On comprend que la prévention des mortinaissances suppose

des coûts financiers, mais aussi tout un processus d’évaluation dans lequel l’indicateur du taux de mortinatalité intrapartum participe à vérifier le retour sur investissement et par-là à accroître la redevabilité locale, y compris en incitant à remplir et utiliser les outils d’audit périnatals. Mais il y a plus. En effet, pour rendre effective la prévention des mortinaissances, tout particulièrement celle concernant les mortinaissances intrapartum, les promoteurs du

The Lancet cherchent à normaliser l’assistance professionnelle à l’accouchement et à

normaliser la césarienne, particulièrement dans les pays où ce n’est pas déjà le cas et où les taux de mortinatalité estimés sont les plus élevés : « These are the areas of the world [south Asia and sub-Saharan Africa] where, if the median proportion of births attended by a skilled delivery assistant were 100% rather than 50%, or if the median caesarean section rate was 20% instead of 3%, most of these tragedies would not have happened » (Mullan et Horton 2011 : 1291).

Au nom de la prévention des mortinaissances et plus particulièrement de la prévention des mortinaissances intrapartum, il faudrait, pour le monde entier, normaliser l’assistance professionnelle à l’accouchement à 100 % et normaliser la césarienne à un taux de 20 % ? C’est très exactement ce qui a eu lieu et ce qui se perpétue dans les pays dits développés ou à revenu élevé, par exemple au Québec : pour un taux de mortinatalité de 2,7 ‰82, il y a un taux de naissance assistée par un médecin de 99 %, un taux d’accouchement en centre

82 Taux établi pour 2009, selon la convention d’équivalence de 28 semaines et plus de gestation, d’après les

données suivantes : http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/deces-mortalite/312.htm, consulté le 17 février 2017. Quarante ans plus tôt, au Québec, en 1969, soit avant la première politique de périnatalité (1973) et l’entrée en vigueur du régime d’assurance maladie (1970) mais après la mise en place de l’assurance hospitalisation (1961), le taux de mortinatalité était de 9,6 ‰ selon la convention d’équivalence du poids du fœtus de plus de 1 000 g (MAS 1973 : 20, tableau 1). Avant l’implantation de l’assurance hospitalisation au Québec, les données sur les mortinaissances sont éparses, mais une étude sur les mortinatalités (convention d’équivalence : 28 semaines ou plus de gestation) à Montréal, sur la période 1926- 1958, donne une bonne idée en milieu urbain : taux de mortinatalité de 42,6 ‰ en 1926 ; 28,9 ‰ en 1936 ; 21 ‰ en 1946 ; 20 ‰ en 1956 (Henripin 1961 : 10, tableau 2).

hospitalier de 97 %83, et un taux de césarienne de 23,2 %84. La normalisation de l’assistance

professionnelle à l’accouchement (le plus souvent en centre hospitalier) et la normalisation de la césarienne ne sont pourtant pas que des solutions ; elles sont de nouveaux problèmes. Ironiquement, la lutte pour mettre fin au problème des mortinaissances entraine la gestion de nouveaux problèmes. Comme le dit Hans Blumenberg : « the progress of knowledge doesn’t unburden the future from problems but rather increases them as the legacy of the present and it’s supposed “successes” for the future » (Blumenberg [1987] 2010: 151).

Le recours à l’assistance d’un médecin en milieu hospitalier a mené par exemple au problème de l’anesthésie durant l’accouchement. La volonté de sauver des vies peut occasionner l’effet inverse. Au Québec, le recours à l’anesthésie générale jusqu’aux années 1970 a directement contribué à la mortalité maternelle, à la mortalité périnatale et à la morbidité périnatale (MAS 1973 : 39-41). L’actuel recours à « l’analgésie péridurale seule augmente les interventions obstétricales, les césariennes, l’utilisation de l’ocytocine et l’extraction instrumentalisée et diminue les chances de succès de l’allaitement » (INESSS 2012 : 38). La solution de l’assistance d’un médecin en centre hospitalier durant l’accouchement pour prévenir les mortinaissances en général et les mortinaissances intrapartum en particulier, multiplie les problèmes et leur gestion et équivaut, ni plus ni moins, à normaliser la médicalisation et la médicamentation de l’accouchement. Pour autant, la proportion de femmes qui n’ont pas recours à une forme ou une autre d’anesthésie durant l’accouchement est resté à peu près constante au Québec : 11.6 % en 1971 (MAS 1973 : 40) et 10 % en 2010 (INESSS 2012 : 14). Le taux normal d’anesthésie durant l’accouchement au Québec se situe ainsi autour de 90 %, soit (en 2009-2010) 69 % sous analgésie péridurale auxquels s’ajoute

83 Montreuil et Piedboeuf précise : « Au Québec, 97 % des enfants naissent dans un centre hospitalier (hôpital).

Les autres voient le jour soit dans l’une des six maisons de naissance où pratiquent des sages-femmes, soit dans une province voisine ou encore, dans les régions peu densément peuplées, dans un centre de santé ou dans un dispensaire. Les naissances à domicile sont rares (environ 150 par an). Presque toutes les naissances (99 %) sont assistées par un médecin, deux fois sur trois par un obstétricien-gynécologue » (Montreuil et Piedboeuf 2004 : 172). Historiquement, l’accouchement à l’hôpital au Québec se présente comme suit : 5,9 % en 1926-1930 ; 9,1 % en 1931-1935 ; 13 % en 1936-1940 ; 23,8 % en 1941-1945 ; 41,7 % en 1946-1950 ; 59,8 % en 1951-1955 ; 78,7 % en 1956-1960 ; et 96 % en 1961-1965 (tiré de Baillargeon 2004 : 62, tableau 9). Notons de nouveau que 1961 est l’année de la mise en vigueur de l’assurance hospitalisation au Québec.

84 Taux pour 2009 selon l’INESSS (2012 : 80). Historiquement, le recours à la césarienne au Québec se présente

comme suit : moins de 5 % en 1969 ; moins de 20 % en 1987 ; autour de 23 % en 2006-2009 (INESSS 2012 : 81, figure 11).

le 23 % de césariennes sous anesthésie (INESSS 2012 : 1, 14, 80)85. La réalisation de la

mutation technique à la base de l’anesthésie est élevée à la dignité de progrès, pour s’exprimer comme Ulrich Beck ([1986] 2003 : 435). Cela implique une transformation dans la manière de concevoir la douleur de l’accouchement et d’y répondre, ici résumée :

La pensée médicale et sociale du vingtième siècle concernant la douleur obstétricale a beaucoup évolué et la position du Collège américain d’obstétrique et de gynécologie exprime bien l’état d’esprit qui prévaut au début des années 2000 : « There is no other circumstance in which it is considered

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