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Conventions d’équivalence autour du seuil de naissance vivante

Dans le document Être gouverné : entre science et politique (Page 104-127)

CHAPITRE 2 – Être gouverné par la quantification

2.2 Quantifier

2.2.2 Conventions d’équivalence autour du seuil de naissance vivante

On pourrait penser que la question des conventions d’équivalence relativement au seuil de naissance vivante doit être beaucoup plus simple à résoudre. Or, Catherine Rollet écrit sans détour qu’« un des cas les plus étranges que nous ayons rencontré concerne la statistique des mort-nés » (Rollet 1998 : 116). Et elle poursuit : « À cause du Code civil [le Code civil de 1806 accordait trois jours pour la déclaration d’une naissance], les services statistiques français ont dû distinguer deux catégories de mort-nés » (Rollet 1998 : 116), soit respectivement les « vrais mort-nés » et les « faux mort-nés ». En 1874, le médecin et démographe Louis-Adolphe Bertillon résumait la distinction entre les deux catégories de mort-nés comme suit :

Les mort-nés déclarés par l’État-civil (par les registres des mairies) se composent : 1. de vrais mort-nés au sens médico-légal, n’ayant pas respiré et morts, soit avant, soit après l’accouchement ; 2. de faux mort-nés ayant respiré, ayant vécu quelques heures ou même quelques jours (un ou deux), mais morts avant l’inscription de leur naissance sur les registres de l’État-civil, et dès lors enregistrés comme mort-nés.

(Bertillon 1874 : XXXIII, cité par Fagot-Largeault 1989 : 57).

Cette pratique suit « le modèle belge qui distingue clairement les différentes catégories de mort-nés, selon que l’enfant est mort avant, pendant ou après la naissance » (Gourdon et Rollet 2009 : 691)65.

Qu’est-ce que cet exemple permet de saisir ? Principalement deux choses : la variété des pratiques nationales de déclaration et d’enregistrement des statistiques vitales, et les discussions sur les signes de vie conditionnels pour définir le seuil de naissance vivante.

65 En cela, Bertillon applique en France les leçons du statisticien belge Adolphe Quetelet, pionnier de la

quantification des types de gens et de l’application de la théorie de la probabilité aux sciences morales et politiques et à l’anthropométrie.

Tenir compte des législations nationales est donc incontournable ; à savoir si les mortinaissances sont déclarées et enregistrées, d’une part et, si oui, comment elles le sont. En cela, l’exemple de la France n’est pas unique concernant la diversité d’appréciation du seuil de naissance vivante :

Dans certains pays, les nouveau-nés ne sont enregistrés comme nouveau-nés vivants que s’ils ont survécu pendant les premières 24 heures (par exemple en Pologne), ou s’ils vivent encore au moment de l’enregistrement à l’état civil (Algérie, Espagne, France, Grèce, Luxembourg, Maroc). Cet usage vient grossir le nombre de morts fœtales tardives par rapport aux morts néonatales précoces. (OMS 1971 : 16)

Dans certains pays, les nouveau-nés qui n’ont pas survécu au-delà de 24 heures sont enregistrés comme « morts fœtales » et non pas comme naissances vivantes. (ONU 1993 : 23)

À cet égard, Anne Fagot-Largeault énonce, à partir de l’exemple de Bertillon concernant la deuxième moitié du XIXe siècle, que « la comparabilité internationale était rendue presque impossible par des législations disparates » (Fagot-Largeault 1989 : 57). Les extraits ci-haut de l’OMS (1971) et de l’ONU (1993) mènent aux mêmes conclusions à propos de la fin du XXe siècle : « Ces divergences dans l’enregistrement des morts fœtales tardives et des naissances vivantes rendent la comparaison des statistiques entre différents pays difficile, sinon illusoire » (OMS 1971 : 16). Quant au cas français, « ce n’est que depuis 1993 que la catégorie des “faux mort-nés” a disparu des statistiques françaises » (Gourdon et Rollet 2009 : 687). On comprend mieux que l’appel actuel du The Lancet (2011 : 3) pour une classification simplifiée et standardisée des mortinaissances ne concerne pas seulement la question des conventions d’équivalence du seuil de viabilité, mais aussi celle relative à la notion de signe de vie et autres critères associés au concept de vitalité sous-jacent à la définition du seuil de naissance vivante. De même, on commence à comprendre en quoi « les mort-nés ont toujours été une croix pour les statisticiens » (Fagot-Largeault 1989 : 57).

En effet, Robert Woods écrit : « The question of which appropriate vital signs to use is even more difficult to answer. Here, again, conventions vary and change. In the early decades of the twentieth century there was a considerable discussion among British medical statisticians about how stillbirths should be defined and how they might be registered » (Woods 2009 : 21). Ainsi est-il nécessaire d’être attentif aux signes de vie retenus dans l’établissement du seuil qui départage une mortinaissance d’une naissance vivante. L’interrogation centrale identifiée par Woods est la suivante : « What vital signs ought to be used, and should breathing be given a privileged position? » (Woods 2009 : 19). Dans les signes de vie en usage, la primauté de la respiration est en débat et figure comme un des critères parmi les quatre critères discriminants généralement admis : « four signs of life – movements, heartbeat or its resulting pulsation (in the umbilical cord, at the wrist, at the ankle, and elsewhere), breathing, crying » (Woods 2009 : 23). C’est une question qui a fait couler beaucoup d’encre. Puisque c’est un passé qui n’est pas dépassé, nous allons nous y intéresser de plus près.

Les importantes discussions des médecins-statisticiens britanniques auxquelles fait référence Woods prennent précisément place en 1912-1914 dans le cadre de publications savantes concernant la définition et l’enregistrement des mortinaissances. Ces discussions sont entreprises face aux définitions de dictionnaire considérées dès lors comme « a “legislative and lexicographic jungle” » (Woods 2009 : 22, note 16). Parmi les protagonistes, Reginald Dudfield, de la Royal Statistical Society, prend parti de considérer l’arrêt de battement du cœur, démontré par l’absence de pulsations associées, comme le critère premier de l’absence de signe de vie ; la respiration, les pleurs et les mouvements étant jugés des signes de vie secondaires. À propos de ces derniers, Dudfield précise : « can be relied upon as signs of life, but the absence of either or both is not to be proof of the absence of life in the child » (Dudfield 1912 : 12, cité par Woods 2009 : 22). Comme le souligne Woods, le choix de Dudfield repose sur au moins deux raisons : « He [Dudfield] insisted that the “persistence of the heart’s action” should be made the test of “live born”, partly because such a test was “within the capacities of a competent midwife” and partly because the other possible signs, of breathing, crying, and movement, could be regarded as secondary; that is, ultimately dependent on the heart’s function » (Woods 2009 : 22). En somme, Dudfield insiste sur le

battement du cœur comme signe de vie pour établir une naissance vivante, et son absence (« stillbirth ») signifie la naissance d’un enfant mort-né. Pour sa part, John W. Ballantyne, obstétricien et pathologiste écossais réputé, répond à Dudfield et la Royal Statistical Society avec une nouvelle approche en considérant les mouvements du corps et le battement du cœur comme des signes de vie anténatale et la respiration et les pleurs comme des signes de vie postnatals ; « with breathing as the best test of (postnatal) live birth and heartbeat the favoured test of antenatal life » (Woods 2009 : 23, à propos de Ballantyne 1914 : 132-149). Woods précise le sens de l’argumentation de Ballantyne : « The line of argument allowed Ballantyne to separate dead-born and stillborn, with some who were apparently stillborn (i.e. showing “temporary stillness at birth, not the definitive stillness of death”) being resuscitated to full postnatal life » (Woods 2009 : 23). Ainsi, pour Ballantyne, les signes de vie « movements-heartbeat/breathing-crying » sont à juger relativement à une période de la vie « antenatal/intranatal/postnatal », à un événement « dead-birth/still-birth/live-birth » et, pour s’exprimer comme Hacking (2007), à un type de gens « dead-born/still-born/live-born »66.

Si Dudfield et Ballantyne s’opposent sur le signe de vie à privilégier pour juger d’une naissance vivante (le battement du cœur pour Dudfield, la respiration chez Ballantyne), ils s’entendent pour dire que le jugement d’une naissance vivante comme d’une mortinaissance doit avoir lieu après « the complete expulsion from the maternal birth-canals » (Ballantyne), « when completely born (the head, body and limbs of the child, but not necessarily the afterbirth, being extruded from the body of the mother) » (Dudfield) (Woods 2009 : 21-22, 24). On comprend mieux à présent que la sélection et la hiérarchisation des signes de vie portent ses effets sur la manière d’établir le seuil de naissance vivante et de classifier, définir, distinguer, déclarer et enregistrer les mortinaissances. Ainsi, peut-on saisir comment la création d’un type de gens est complexe et encore empreinte de controverse, ce qui entraine,

66 Comme le précise Woods, Ballantyne en vient à établir des distinctions d’autant plus fines : « This led to

further distinctions between antenatal, intranatal, and postnatal deaths : deaths in utero that might be subject to maceration (the dead-born, antepartum stillbirths); fetuses showing signs of life at the start of labour but showing no signs of antenatal life at the moment of birth (dead-in-birth children, intrapartum stillbirths); and two varieties of live-born children; those which after complete expulsion from the mother show only the signs of antenatal life, and consequently soon die; and those showing signs of antenatal life prior to assuming the signs of postnatal life (breathing, crying, indications of pulmonary respiration) » (Woods 2009 : 23).

par exemple chez les promoteurs du The Lancet, le recours à des procédures de gommage, notamment.

Pourquoi ce débat du début du XXe siècle entre Dudfield et Ballantyne est-il encore pertinent aujourd’hui ? À cela, il y a trois raisons.

La première raison est l’appréciation qu’en fait Robert Woods : « More recent attempts to define the key terms and make them practical and universally applicable have not fared any better than those of Dudfield and Ballantyne in the early twentieth century » (Woods 2009 : 24). Comme le dit Hans Blumenberg, cet héritage de problèmes n’est pas dépassé et les définitions en jeux participent de la continuité de l’histoire : « La continuité de l’histoire ne repose pas dans la permanence de substances idéales, mais plutôt dans l’héritage de problèmes » (Blumenberg 1983, cité par Rabinow 2003 : 152). D’ailleurs, la plupart des définitions ultérieures se rapportent aux propos de Dudfield et Ballantyne, d’une manière ou d’une autre, même si c’est souvent de manière implicite.

La seconde raison de l’actualité de cette discussion est qu’elle permet de mieux apprécier et juger les définitions officielles de l’OMS et de l’ONU et le concept sous-jacent de vitalité sur lesquels les promoteurs du The Lancet cherchent à la fois à se fonder (« nous utilisons la définition de l’OMS » (Lawn et al. 2011a : 2)) et à refonder (« Une attention immédiate doit être appliquée à la classification simplifiée et standardisée des mortinaissances » (Lawn et

al. 2011a : 3)). Ces définitions officielles sont importantes puisque ce sont elles qui sont

recommandées pour adoption et application par les administrations nationales et dans les systèmes de collecte de données de tous les pays. Le Tableau 5 présente les définitions initiales de la naissance vivante et de la mort fœtale de l’OMS67 et leur révision la plus

récente :

67 C’est plus précisément le « sous-comité de la définition de la mortinatalité et de l’avortement » institué par

le Comité d’experts des statistiques sanitaires de l’OMS, en 1950, qui a défini ce qu’est une « naissance d’enfant vivant » et une « mort fœtale » (OMS 1950 : 10).

Tableau 4

Terminologie comparée de naissance vivante et mort fœtale d’après l’OMS en 1950 et 2010

Terminologie OMS (1950) OMS (2010)

Naissance vivante*

*Initialement libellée comme « Naissance d’enfant vivant » (OMS 1950 : 12).

On entend par « naissance d’enfant vivant » l’expulsion ou l’extraction complète du corps de la mère, indépendamment de la durée de la gestation, d’un produit de conception qui, après cette séparation, respire ou manifeste tout autre signe de vie, tel que le battement du cœur, pulsation du cordon ombilical ou contraction effective d’un muscle soumis à l’action de la volonté, que le cordon ombilical ait été coupé ou non, et que le placenta soit ou non demeuré attaché. Tout produit d’une telle naissance est considéré comme « enfant né vivant ».

(OMS 1950 : 12)

La naissance vivante est l’expulsion ou l’extraction complète du corps de la mère, indépendamment de la durée de la gestation, d’un produit de la conception, qui, après cette séparation, respire ou manifeste tout autre signe de vie, tel que battement de cœur, pulsation du cordon ombilical ou contraction effective d’un muscle volontaire, que le cordon ombilical ait été coupé ou non ou que le placenta soit ou non demeuré attaché ; tout produit d’une telle naissance est considéré comme enfant né « vivant » (tous les enfants nés vivants devront être enregistrés ou comptés comme tels, quelle que soit la durée de la gestation, qu’ils soient morts ou vivants à l’époque de l’enregistrement ; ceux d’entre eux qui décèdent à n’importe quel moment après la naissance devront également être enregistrés et comptés comme décédés).

(OMS CIM-10, révision 2010, tirée de ONU 2015 : 3) Mort fœtale** **« Également désignée sous l’appellation “fœtus mort-né” et “mortinaissance” » (ONU 2015 : 3, note 2).

On entend par « mort fœtale » le décès d’un produit de conception, lorsque ce décès est survenu avant l’expulsion ou l’extraction complète du corps de la mère, indépendamment de la durée de gestation ; le décès est indiqué par le fait qu’après cette séparation, le fœtus ne respire ni ne manifeste aucun autre signe de vie, tel que battement du cœur, pulsation du cordon ombilical ou contraction effective d’un muscle soumis à l’action de la volonté.

(OMS 1950 : 12)

La mort fœtale est le décès d’un produit de la conception lorsque ce décès est survenu avant l’expulsion ou l’extraction complète du corps de la mère, indépendamment de la durée de la gestation ; le décès est indiqué par le fait qu’après cette séparation le fœtus ne respire ni ne manifeste aucun autre signe de vie tel que battement de cœur, pulsation du cordon ombilical ou contraction effective d’un muscle volontaire [cette définition couvre de manière générale toutes les fins de grossesse autres que les naissances vivantes (définies plus haut)].

(OMS CIM-10, révision 2010, tirée de ONU 2015 : 3-4)

La définition d’une naissance vivante recommandée par l’OMS fait l’objet d’un commentaire du Bureau de statistique de l’ONU : « Dans cette définition recommandée, le concept de vitalité est implicite. Deux conditions préalables sont posées pour que le produit d’un accouchement soit considéré comme une naissance vivante » (ONU 1993 : 22)68. La première condition identifiée pour être en présence d’une naissance vivante est la suivante : « afin que le corps de l’enfant puisse être considéré comme complètement séparé de la mère, il faut que le nouveau-né (tête, tronc et extrémités) soit sorti du ventre, peu importe que le cordon ombilical ait été coupé ou non et que le placenta soit ou non demeuré attaché » (ONU 1993 : 22). On reconnaît ici ce sur quoi Dudfield et Ballantyne s’entendaient, en rendant explicite l’expression de Dudfield « not necessarily the afterbirth » par « peu importe que le cordon ombilical ait été coupé ou non et que le placenta soit ou non demeuré attaché ». La seconde condition stipule : « Après cette séparation, le produit de la conception doit respirer ou manifester tout autre signe de vie, même si c’est pour une brève période. Tout moyen de prouver que la vie existe peut être utilisé. Cette définition comprend quatre exemples de signes de vie : la respiration, le battement du cœur, la pulsation du cordon ombilical et des mouvements nets des muscles volontaires » (ONU 1993 : 22). C’est là que se situe toujours le nœud des discussions, car convenir des signes de la présence d’un être vivant est au fondement des actions possibles sur les choix souhaitables pour les intervenants et la population à gouverner.

L’héritage de problèmes de Dudfield et Ballantyne concernant les signes de vie n’est donc pas dépassé ; si les pleurs ne figurent plus dans la liste, les autres signes y figurent toujours. À première vue, la définition de l’OMS donne l’impression que le signe de vie préconisé par Ballantyne pour juger d’une naissance vivante, celui de la respiration, est privilégié et qu’historiquement il a gagné la lutte face à Dudfield (qui préconisait le battement du cœur). Mais à lire de plus près, la définition de l’OMS élimine elle-même sa propre hiérarchisation des signes par une formulation pour ainsi dire relativiste, « respire ou manifeste tout autre

68 Que le commentaire de l’ONU date de 1993 ne fait pas de différence puisque la définition de 1993 et celle

de 2010 sont sensiblement les mêmes, sauf pour le libellé « naissance vivante » qui était initialement désigné sous « naissance d’enfant vivant » et un changement de formulation dans les deux définitions de « contraction effective d’un muscle soumis à l’action de la volonté » en 1950 à « contraction effective d’un muscle volontaire » en 2010.

signe de vie », manière efficace de ne pas trancher le débat. Cet aplatissement du jugement est confirmé par la remarque du Bureau de statistique de l’ONU citée plus haut, qu’il vaut la peine de répéter : « Tout moyen de prouver que la vie existe peut être utilisé. Cette définition comprend quatre exemples de signes de vie : la respiration, le battement du cœur, la pulsation du cordon ombilical et des mouvements nets des muscles volontaires » (ONU 1993 : 22). Après tout, ces signes de vie ne sont que des exemples. On comprend mieux maintenant l’appréciation de Woods selon laquelle les tentatives récentes de définition n’apportent rien de mieux que celles de Dudfield et Ballantyne. En fait, les définitions de l’OMS ont peut- être quelques mérites, soit ceux de rehausser le niveau de confusion et de laisser pour compte ceux qui déclarent et enregistrent les naissances vivantes et les mortinaissances face au choix épineux (puisque sans critère univoque) de prouver que la vie existe ou d’en constater l’absence.

Enfin, la troisième raison de l’importance actuelle de considérer la discussion de 1912-1914 entre Dudfield et Ballantyne est pour marquer l’introduction de trois nouveaux développements dans cet héritage de problèmes. Premièrement, l’OMS use des termes « fetal

death » et « stillbirth » comme des synonymes, à l’encontre de la distinction de Ballantyne

entre « death-birth » et « stillbirth », tout en considérant une parenté entre les morts fœtales et les décès néo-natals précoces sous l’étiquette commune de mortalité périnatale. Deuxièmement, les définitions de l’OMS considèrent sans distinction ceux nés-vivants et ceux nés-morts comme des « produits de conception », tout en conservant pour le premier seulement le terme « enfant », rendant momentanément désuet l’expression de Dudfield « stillborn child ». Troisièmement, les définitions de naissance vivante et de mort fœtale de l’OMS insèrent l’expression « indépendamment de la durée de gestation » afin de déclarer et enregistrer tous les produits de conception qui manifestent un signe de vie (classer : naissance vivante) ou non (classer : mort fœtale) sans égard au critère de durée de gestation retenu pour délimiter le seuil de viabilité et sans distinctions nominatives entre des types de morts fœtales ou avec l’avortement, sauf pour des raisons statistiques où les critères de poids devraient

primer69. Voici bel et bien une étape dans la progression qui vise à nommer la catégorie sur

laquelle il faut agir.

Sans trop entrer dans les détails ici, ces nouveautés historiques relatives au seuil de naissance vivante, introduites par les experts-créateurs de l’OMS, ne sont pas restées sans commentaires. À ce propos, Woods est sans détour à l’endroit de l’OMS : « By taking this line, the WHO recognizes that “stillborn” and “stillbirth” are confusing English words, partly because in other languages there is no distinction between “dead-born” and “dead birth” » (Woods 2009 : 25). Mais il existe aussi des avis divergents à l’intérieur même de l’OMS, comme en témoigne le rapport du Séminaire sur la prévention de la morbidité et de la

mortalité périnatale qui en 1969 réunissait 45 participants de 29 pays de la région

européenne : « il y aurait peut-être lieu de fixer, pour la définition d’un enfant vivant, une durée minimale (une demi-heure ou éventuellement une heure) pendant laquelle les signes de vie (respiration et action cardiaque) ont pu être observés » (OMS 1971 : 21). À l’extérieur comme à l’intérieur de l’OMS existerait ainsi une ligne de litige, déjà soulignée, entre les pratiques américaines et les pratiques européennes. L’expression « indépendamment de la durée de gestation » s’inscrit de même dans cette dynamique, l’organe officiel de l’OMS

Dans le document Être gouverné : entre science et politique (Page 104-127)