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Chapitre 1 : Sources et transmission

1. Un corpus authentiquement cynique

Voyons maintenant plus en détail à quels types de sources se confronte la recherche sur les Cyniques de l’Antiquité. Mentionnons d’abord l’existence de ce que l’on pourrait appeler un corpus authentiquement cynique ; en effet, malgré la perte des sources directes du cynisme, c’est-à-dire les écrits de Diogène et des premiers Cyniques, trois textes d’une origine cynique tardive nous sont parvenus, si l’on suit en cela l’interprétation de M. Clément82. Il s’agit de fragments des Diatribes de Télès83, des Lettres de Diogène et Cratès84 et du traité Les Charlatans (ou magiciens) démasqués

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Parmi les opposants au cynisme, mentionnons les Épicuriens. Quant aux Stoïciens et Pères de l’Église, leur opinion est divisée. Certains sont du camp des opposants, alors que d’autres avaient du cynisme une conception idéalisée. Nous reviendrons sur ces questions dans les prochaines sections de ce chapitre.

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Goulet-Cazé, « Cynisme » in J. Brunschwig & G. E. R. Lloyd (éds), Le savoir grec. Dictionnaire

critique, Paris, Flammarion, 1996, p. 906. Les Discours de Dion Chrysostome en sont un exemple.

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Clément, Le cynisme à la Renaissance…, op. cit., pp. 45-46.

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Télès est un maître de philosophie de tendance cynique du IIIe siècle av. J.-C. Sept fragments de ses textes ont été conservés dans l’Anthologium de Stobée (cf. Goulet-Cazé, « Télès le Cynique » in Revue des

Études Grecques, vol. 94, 1981, p. 166). Ils ont été édités par O. Hense, Teletis Reliquiae, Tübingen, I. C.

B. Mohr (P. Siebeck), 1909 ; et on en trouve une traduction française dans le recueil de Paquet [1992], pp. 172-201 ; ainsi que dans A. J. Festugière, Deux prédicateurs de l’Antiquité : Télès et Musonius, Paris, Vrin, 1978. Signalons également l’édition anglaise de E. N. O’Neil, Teles: The Cynic Teacher, Missoula, Scholars Press, 1977 ; et celle de P. P. Fuentes Gonzalez, Les diatribes de Télès, Paris, Vrin, 1998.

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Ces Lettres sont vraisemblablement pseudépigraphes et l’on s’accorde pour situer leur rédaction entre le IIe siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap. Elles ont fait dernièrement l’objet d’une thèse ; voir F. Junka,

Traduction commentée des Lettres Cyniques, Thèse de doctorat, Paris IV, 2000. Recensées par R. Hercher

(Epistolographi Graeci, Paris, A. F. Didot, 1873), on trouve une traduction française de ces Lettres chez Deleule & Rombi, op. cit. ; et une traduction anglaise chez A. J. Malherbe, The Cynic Epistles. A Study

Edition, Missoula, Scholar Press, 1977. Sur les problèmes d’auteurs et de datation, consulter W. Capelle, De Cynicorum Epistulis, Ph. D. diss., Göttingen, 1896 ; et V. E. Emeljanow, The Letters of Diogenes,

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d’Œnomaüs de Gadara85. À ceux-ci, nous proposons d’ajoutons le traité « Le Cynique », longtemps attribué à Lucien de Samosate86.

D’abord, les fragments des Diatribes de Télès constituent le témoignage le plus ancien que nous possédions sur les Cyniques. Ces fragments ont permis de conserver des citations autrement perdues de Diogène, Cratès et Métroclès87 ; et, dans une plus large mesure, de Bion de Borysthène88. Quoique la valeur littéraire de ce texte s’avère très limitée, il n’en demeure pas moins incontournable, puisqu’il nous renseigne sur le genre de la diatribe, ainsi que sur ce qui pouvait s’enseigner à propos des Cyniques dans la seconde moitié du IIIe siècle av. J.-C.

Il est ensuite manifeste que les Lettres de Diogène et Cratès revêtent une importance particulière. Bien qu’elles n’aient vraisemblablement pas été écrites de leur main, mais par plusieurs auteurs, à différentes époques, elles seraient bel et bien nées dans un contexte cynique tardif (entre le IIe siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap.). Elles auraient cependant été considérées authentiques à la Renaissance, la présence de « Lettres » de Diogène dans les deux listes d’ouvrages que cite Diogène Laërce venant conforter cette opinion89. S’étant cependant révélées pseudépigraphes, elles appartiennent néanmoins à un genre littéraire de l’époque hellénistique, lequel consiste à attribuer à des penseurs des propos qui servent la cause d’écoles philosophiques, et ce, à des fins

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Œnomaüs de Gadara est un Cynique du IIe siècle ap. J.-C. D’importants fragments de sa critique des oracles et des superstitions sont conservés dans la Préparation évangélique (livres V-VI) d’Eusèbe de Césarée. On trouve une traduction française de ce texte dans Paquet [1988], pp. 239-270.

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Lucien de Samosate est un auteur satiriste qui vécut aux environs de 120-190 ap. J.-C. Les informations le concernant sont extraites de Paquet [1988], pp. 5-6, 16 et 295.

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Métroclès de Maronée est un Cynique du IVe siècle av. J.-C., disciple de Cratès et frère d’Hipparchia. Voir Paquet [1992], pp. 143-144. Il est à noter que, même si Goulet-Cazé affirme (dans « Le cynisme à l’époque impériale », art. cit., p. 2727) que Métroclès est un disciple de Diogène, son article (« Une liste de disciples de Cratès le Cynique… », art. cit., pp. 247-252) le présente plutôt comme le premier disciple de Cratès mentionné par Diogène Laërce (VI 95). Voir également « Le livre VI de Diogène Laërce », art. cit., pp. 3905 et 3910.

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Cf. Paquet [1992], p. 31. Bion de Borysthène est un philosophe cynique du IIIe siècle av. J.-C. Il appartient à la deuxième génération de l’ancien cynisme grec. Voir Paquet [1992], pp. 152-162. On trouve également une édition anglaise de ses fragments, chez J. F. Kindstrand, Bion of Borysthenes. A Collection

of the Fragments with Introduction and Commentary, Uppsala, Almquist and Wiksell International, 1976.

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Clément, op. cit., p. 47, n. 1. Cet ouvrage contient un chapitre concernant les Lettres de Diogène et de

Cratès, ainsi qu’une édition critique des Épistres de Diogenes, philosophe cynicque [1546], traduites du

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pédagogiques et certainement propagandistes90. Elles offrent une voie d’accès privilégiée au cynisme ancien, laquelle permet d’interroger sa teneur proprement philosophique, et contribuent fort heureusement à compléter les fragments et témoignages qui nous sont par ailleurs parvenus91.

Troisièmement, malgré une datation tardive (IIe siècle ap. J.-C.), le traité d’Œnomaüs de Gadara contre les oracles et les superstitions constitue le plus ancien texte que nous possédions dont l’auteur est un Cynique reconnu. Contemporain de Démonax92 et de Démétrius93, il est un témoin de la renaissance du cynisme à l’époque impériale94.

Enfin, il convient encore de considérer le dialogue fictif a entre un certain Lycinus et un fervent adepte du cynisme, lequel a longtemps été attribué à Lucien95. L’on doute cependant de la paternité de ce texte, qui aurait plutôt été écrit par un Cynique anonyme d’une époque légèrement postérieure ou contemporaine à celle de Julien. On y trouve une défense du cynisme, laquelle constitue, selon toute probabilité, une réponse aux critiques acerbes de Lucien de Samosate, dans la Mort de Pérégrinus par exemple96.

En dépit, donc, du fait que nous ne possédions aucun des documents qui auraient été écrits de la main de Diogène, de Cratès ou de quelque autre représentant de la première génération de Cyniques, nous disposons néanmoins d’un corpus que l’on peut qualifier de cynique, puisqu’il date du IIIe siècle av. J.-C. pour les fragments des Diatribes de Télès, du IIe siècle de l’époque impériale pour le traité d’Œnomaüs de Gadara et d’une période qui s’échelonne sur près de trois siècles, entre la fin de la période hellénistique et

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Deleule & Rombi, op. cit., p. 7.

91

Ibid., p. 1.

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Démonax de Chypre est un Cynique du IIe siècle ap. J.-C., contemporain d’Épictète. On le connaît grâce à Lucien, qui nous a laissé une Vie de Démonax. Voir Paquet [1992], pp. 272-281 et 281-282, pour des informations provenant d’autres sources.

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Démétrius est un Cynique de l’époque impériale (IIe siècle ap. J.-C.). Sénèque en parle avec éloge dans

Des Bienfaits et les Lettres à Lucilius, voir Paquet [1992], pp. 272-272. Pour plus de détails, consulter

Billerbeck, Die Kyniker Demetrius, op. cit. ; et Kindstrand, « Demetrius the Cynic » in Philologus, no 124, 1980, pp. 83-98.

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Cf. Paquet [1988], p. 5. Hammerstaedt présente une traduction commentée de ce traité : Die Orakelkritik

des Kynikers Œnomaos, Frankfurt am Main, Athenaum, 1988 ; ainsi qu’un article sur Œnomaüs de

Gadara : « Der Kyniker Œnomaus von Gadara » in ANRW II, vol. 36, no 4, 1990, pp. 2834-2865.

95

Voir Paquet [1992], pp. 317-327.

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le début de l’Empire romain, pour ce qui est des Lettres de Diogène et Cratès. En ce qui concerne le traité « Le Cynique », on estime qu’il date de la fin du IVe siècle de notre aire, voire du Ve siècle, avant la chute de Rome.