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detectives salvajes

III. Géographies littéraires et du corps

III.1.3. Le corps comme objet de punition et de dégradation dans

Lodo

L’approche du corps dans Lodo se fait à travers le regard de Benito Torrentera. Il observe la dégradation physique de son propre corps tandis que celui d’Eduarda apparaît comme un objet de plaisir sexuel. Dans la dynamique de leurs rapports, Eduarda devient la cible des punitions de Benito, qui veut à tout prix la contrôler154 : « Si no puedo

gobernarte, al menos durante los primeros días, entonces es mejor separarnos » (LOD,

132). Ce besoin de pouvoir établit un rapport bourreau-victime : « […] ¿por qué haces

cosas sin consultarme? –No tengo por qué hacerlo. De qué me serviría salvarme de la cárcel si voy a vivir con un carcelero » (LOD, 132). Il justifie son comportement

autoritaire par son rôle de protecteur, pourtant il devient son geôlier et lui fait subir de nombreuses humiliations. Néanmoins, le rapport bourreau-victime est réciproque car Eduarda exerce aussi son pouvoir de domination. Alors, ils s’engagent dans une guerre de pouvoir dont le corps est la cible des humiliations.

Dans le récit, Benito voit son corps comme un territoire soumis au temps et aux années qui s’accumulent : « Desde los treinta y cinco años comencé a avergonzarme de

mi cuerpo » (LOD, 140). Il se décrit d’un ton méprisant : « A los cuarenta y nueve era ya un sexagenario medio indecente » (LOD, 11). Dans Surveiller et Punir, Michel

154

Dans Lolita, Humbert Humbert ressent ce même besoin de contrôle : « Dès le début de notre union, je

fus assez malin pour me rendre compte qu’il me fallait m’assurer de sa totale coopération afin de garder secrètes nos relations », Vladimir Nabokov, Lolita, Paris, Gallimard, 2001, p. 227. Sans ce pouvoir sur

l’autre, le risque d’être découverts est grand. Néanmoins, les rapports de force entre lui et Lolita seront réciproques, comme ceux de Benito et Eduarda.

Foucault affirme que le corps subit l’influence du monde et du temps : « Le temps

pénètre le corps, et avec lui tous les contrôles minutieux du pouvoir »155. Dans l’exagération du poids du temps sur son corps, Benito met en évidence sa principale préoccupation : plaire aux femmes. Le temps est une forme de contrôle et de pouvoir, c’est ce qui marque la différence entre le vieux professeur et la jeune Eduarda.

L’autocritique est impitoyable : « En una sola noche la vida […], lo visitó en su

habitación para arrebatarle de un zarpazo su dignidad física » (LOD, 11). Désormais

dans la cinquantaine, Benito ne se sent plus capable de plaire aux femmes et se soucie face aux signes manifestes de vieillesse : « Me palpaba la barriga y sopesaba con la

yema de mis dedos el volumen de mi discreta papada. Aún no estaba tan deteriorado como para ensayar el papel del cínico grotesco » (LOD, 113). Même si sa laideur n’est

pas excessive, il se sert de stratagèmes pour s’approcher des femmes, qu’il désire et poursuit sans cesse.

Son intelligence manipulatrice joue en sa faveur, mais Eduarda détient l’avantage de la jeunesse : « –La juventud y la vejez son un golpe de suerte […]. –Por ahora el

golpe de suerte cayó de mi lado –dijo Eduarda » (LOD, 233). Elle connaît les

faiblesses de Benito : « […] sabía muy bien cuáles eran mis puntos débiles » (LOD, 164). Eduarda obtient ce qu’elle veut car elle se sait désirée : « –¡Quiero sentirte,

Benito! –exclamó, ridícula. Tuve ganas de darle una patada o de escupirla, pero también de bajarme los pantalones » (LOD, 164). Mais la jeunesse joue contre Eduarda

car Benito se hâte de profiter d’elle : « […] yo consumía su juventud » (LOD, 103). Outre Benito, d’autres hommes la désirent : ses deux poursuivants, dont l’un d’entre eux réussit à la posséder, et le policier Linares.

Le lien que Benito établit avec Eduarda se fonde sur le principe du corps comme valeur d’échange. Eduarda lui offre son corps en monnaie d’échange pour sa protection : « […] ella me daría su cuerpo –sus palabras fueron te cuidaré y me tendrás cuando quieras– durante su estancia en mi departamento. A cambio yo la protegería » (LOD, 80). Benito sait qu’il est gagnant : « Había realizado el mejor trato de mi vida […], ninguna idea por muy brillante o profunda que fuera podría darme la felicidad

que me ofrecía un cuerpo de menos de cincuenta y cinco kilos de peso » (LOD, 80).

Cette vision du corps féminin comme produit du marché revient souvent dans le récit, par exemple quand il pense à la situation d’Eduarda : « Muchas mujeres jóvenes poseen

155

sólo su cuerpo y su malicia para enfrentarse a la pobreza » (LOD, 155). Benito est

conscient du grand bénéfice qu’il en tire : « En el mercado un cuerpo como el de mi

compañera se cotiza en mil quinientos pesos la noche. Poseerla más de veinte veces me había ahorrado treinta y tantos mil pesos –sin contar el precio que el voyeurista pagaría sólo por observarla pasear en calzones, o bañarse » (LOD, 168-169). Benito

réalise combien d’argent il aurait dû dépenser pour les plaisirs dont il jouit ; pourtant il pressent que le prix à payer sera plus élevé : « Era evidente que si aspiraba a tener su

cuerpo me vería empujado a pagar un tributo mayor al de haber sido arrancado de mi tranquilidad » (LOD, 168). En effet, à la fin du roman il se retrouve en prison, mais

satisfait d’avoir profité d’elle.

La relation entre Benito et Eduarda est intéressante du point de vue de la réciprocité des humiliations. Chacun cherche à dominer l’autre. Michel Foucault définit le supplice comme une peine corporelle : « […] il est destiné, soit par la cicatrice qu’il

laisse sur le corps, soit par l’éclat dont il est accompagné, à rendre infâme celui qui en est la victime »156. Le corps, selon Foucault, apparaît comme cible de la punition ; la souffrance fait partie du spectacle qui rappelle que la justice est implacable. Eduarda vole dans un supermarché et doit subir la compagnie de Benito, il profite d’elle, la châtie et prend même du plaisir de sa souffrance : « El hecho de pensar que sufriría me

la ponía dura como un tronco » (LOD, 241). Il se sert d’elle comme d’un objet sexuel :

« […] la arrojé sobre el tapete […], y desesperado, como el que intenta llevar oxígeno

a sus pulmones, la penetré » (LOD, 80).

Une fois établie la dynamique, Benito agit sur Eduarda sans la moindre gêne : « […] intenté penetrar a Eduarda mientras dormía […]. –Sigue durmiendo, por favor.

No me hagas caso » (LOD, 114). Même la gêne avec son corps disparaît : « […] no sentía vergüenza de mostrarme desnudo […], el hecho de que Eduarda prefiera dormir o ponerse de espaldas a mí para leer una noveleta o mirar la televisión mientras yo entro en ella, me exime de su mirada » (LOD, 140). L’indifférence d’Eduarda lui donne

la liberté de se faire plaisir sans penser à elle. De cette manière, il exerce le pouvoir : « Después de todo era una asesina y yo su castigo. Nadie se atrevería jamás a robar si

como correctivo fuera condenado a acostarse conmigo » (LOD, 103).

Plus que « purger » le crime, Foucault affirme que le supplice cherche à laisser une trace : « […] il trace autour ou, mieux, sur le corps même du condamné des signes

156

qui ne doivent pas s’effacer »157. Cette trace dans le corps garantit que le crime ne sera pas oublié malgré les défaillances de la mémoire. Très vite, par les humiliations sexuelles constantes, Benito voit les traces qu’il laisse sur elle : « En escasos treinta

días el cuerpo de Eduarda se había moldeado a mis manos. En su nuca mis dientes habían dejado ya los signos de su roer constante » (LOD, 147). Elle subit ces abus

résignée et indifférente : « La empujé sin violencia. Cayó al suelo de espaldas.

Resignada, se dejó hacer » (LOD, 103).

Aux humiliations sexuelles s’ajoute le désir de faire du mal : « Deseaba usar a

Eduarda para después sacarla a patadas a la calle, quería hacerle daño, meterle por el ano un trozo de plátano frito » (LOD, 103). Quand ils sont poursuivis par les deux

hommes qui veulent coucher avec elle, Benito passe aux vrais châtiments : « –Tendrás

que viajar un rato dentro de la cajuela […]. Ella estaba a punto de llorar » (LOD,

193). Il l’oblige même à le regarder avec une autre femme pour lui montrer qu’elle ne l’aime pas : « No aguantarás estar allí, mirándonos, sin vomitar » (LOD, 236).

Toutes ces punitions laissent des traces sur Eduarda158. Son désir de vengeance se manifeste quand elle a des rapports sexuels avec un autre homme, alors Benito constate que tout autre homme lui est supérieur : « […] desconocía esos jadeos pues cuando yo

la penetraba ella prefería hojear alguna historieta, o dormir. Y si en cierta ocasión emitió un gemido fue porque le estaba yo presionando una costilla o había colmado su paciencia » (LOD, 206). Pourtant elle a de l’affection pour lui, affection qui apparaît

fausse aux yeux de Benito : « –Me va a doler verte con otra mujer, pero es tu decisión.

–¿Te va a doler? No digas pendejadas » (LOD, 236). Ainsi, Benito torture le corps et

l’âme d’Eduarda, il devient sa prison et lui rappelle le vol à chaque instant. Elle cherche à fuir la justice et la prison mais Benito s’érige comme une punition plus sévère encore159.

Pourtant, la trahison d’Eduarda est vraiment douloureuse pour Benito. Il est intéressant de noter que, quand il la possède, il décrit à peine la scène, cependant lorsqu’il la voit avec un autre homme, la scène reste fixée dans sa mémoire : « Mirar los

157 Ibid. 158

Foucault affirme que : « Le supplice est une technique et il ne doit pas être assimilé à l’extrémité d’une

rage sans loi […]. Le supplice repose sur tout un art quantitatif de la souffrance », Idem, p. 43. Il est

évident que Benito explore les différents degrés de punition sur Eduarda selon son désir de vengeance, son envie de lui faire du mal ou tout simplement de l’humilier.

159

La justice, selon Foucault, « […] poursuit le corps au-delà de toute souffrance possible », Idem, p. 44. Le vol d’Eduarda est puni par la compagnie de Benito, la fuite de la justice dans le roman n’est qu’une illusion. Benito devient la punition d’Eduarda jusqu’à ce que la police (celle, corrompue, de la justice mexicaine) ne les attrape pour satisfaire ses propres intérêts.

pies mientras era poseída me estremeció […]. Eduarda controlaba el compás de sus piernas abriéndolo apenas lo suficiente. Tenía la rodilla derecha alzada levemente y sus muslos vibraban como efecto del violento movimiento de su pelvis » (LOD,

206-207). La précision de cette scène montre à quel point il est blessé de l’avoir vue avec un autre homme : « La imagen de sus bellos pies, de sus pantaletas rosas, de su rodilla

flexionada hacia arriba para contener mejor el cuerpo de aquel animal: todo estaba en mi memoria y lo estaría hasta después de muerto » (LOD, 217).

Dans le passage précédent, Benito aurait traité l’autre homme d’animal, il fait de même lorsqu’ils sont poursuivis : « En vista de que unos perros venían tras nosotros lo

más conveniente era guardar la carne en un lugar seguro » (LOD, 194). Les

métaphores qui lient l’acte sexuel aux animaux sont récurrentes. Eduarda le traite de porc : « –Está bien, cerdo, pero termina pronto » (LOD, 114). Lui aussi se considère comme tel : « Las cebras no pasean al lado de los puercoespines » (LOD, 168). Il se perçoit comme un animal gros et lent : « Le hice el amor a Eduarda como solía

hacérselo en México: ella bocabajo, resignada, quieta, yo encima como una foca adherida a un arrecife » (LOD, 258).

De son côté, Eduarda est comparée à des animaux légers : « Sus ancas de venado,

lampiñas, tensas, ideales para olfatear en un día soleado » (LOD, 268). Elle apparaît

comme une proie : « Me gustaba acariciar sus nalgas antes de abrir con mis dedos su

hendidura de corderillo » (LOD, 258). Son odeur lui fait penser à des chiennes en

chaleur : « […] aproximando mi rostro a su nuca, oliendo un aroma mucho más

excitante que el de una manada de perras en celo » (LOD, 242). En tant que professeur,

Benito est habitué à cette odeur : « Estoy acostumbrado al olor de las mujeres de veinte

años, un olor a rocío, a humo de yerba recién quemada, a sudor de venado » (LOD,

46).

Son obsession pour Eduarda lui fait oublier qu’il peut posséder d’autres corps, comme celui d’Ivonne : « Estaba tan hundido en los pantanosos influjos de Eduarda

que no fui por entero consciente de una obviedad: nunca en mi vida habría soñado tener en mis brazos, sin pagar un solo centavo, a una mujer con las vitaminadas, colosales, piernas de Ivonne » (LOD, 240). Il agit toujours mené par le désir de

vengeance : « Si desvestí torpemente a Ivonne, si besé con la impaciencia de un

adolescente sus caderas y su cuello, si mordisqueé como un castor adulto sus nalgas, sus pantorrillas, no fue empujado por la lujuria, sino por un deseo de venganza »

voy a querer » (LOD, 242). De son côté, Benito la considère comme son ennemie :

« ¿Para qué huir si el enemigo principal está siempre a mi lado? » (LOD, 219). La relation devient une guerre que Benito sait qu’elle va gagner : « Ganaría la guerra, ni

hablar. La guerra, pero no todas las batallas. Y aquella tarde obtuve una inesperada victoria cuando renuncié a penetrarla […]. –¿Y qué tal si mejor te mato? » (LOD,

164-165). La dernière question garde une certaine vérité. Vers la fin du récit, Eduarda est kidnappée, victime du désir que son corps éveille.

Benito peut changer le destin mais il s’obstine à profiter d’elle : « […] el deseo de

poseer un cuerpo erosiona tu espíritu haciéndolo naufragar a la deriva » (LOD, 169).

Il paie ce désir du prix de sa liberté et c’est en prison qu’il réfléchira aux conséquences : « Cuántos crímenes se habrían evitado de estar todos estos hombres en lugares más

adecuados, no tras las ancas de una tipa común y corriente » (LOD, 302).

Tout au long du roman le couple joue sur le rapport bourreau-victime. La prison les accompagne métaphoriquement dans leur voyage : Eduarda vole car elle veut améliorer sa vie mais le prix qu’elle paie (la compagnie de Benito) est très élevé. De son côté, Benito renonce à sa bulle à Mexico et paie de sa liberté la joie de jouir d’un corps féminin, jeune et frais. Il est conscient de la dégradation du corps d’Eduarda, mais il veut prolonger le plaisir et l’humiliation jusqu’à la fin : « Mi semen tiene virus

desconocidos para ti, india puta, chupavergas » (LOD, 291). Le corps dans Lodo est le

centre du plaisir et la cible des punitions des personnages dans la lutte pour la domination de l’autre.