• Aucun résultat trouvé

Le contrôle de l’action administrative de l'État et du PRDS

Pour influencer les décisions prises dans les institutions étatiques, les groupes tribaux cherchent à être présents par l'intermédiaire de leurs membres dans l'administration comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, mais les décisions ne concernent pas seulement l'utilisation des fonds publics ou la localisation des aménagements. Elles débouchent également sur la nomination d'un ministre, d'un wali ou encore d'un directeur d'école. L'influence du groupe tient alors dans sa capacité à faire nommer ses propres membres. Pour cela, ils procèdent de différentes manières. Ces actions nous sont connues à travers quelques entretiens menés avec des responsables de l'administration, des journalistes ou encore des protagonistes impliqués. Toutes correspondent à la manifestation par les groupes tribaux de leurs opinions de sorte que les décideurs en tiennent compte suivant l'importance politique que représente ces groupes. Ces derniers n'agissent pas que de manière souterraine et font connaître, publiquement ou non aux intéressés, leurs opinions ou leurs positions concernant un problème donné.

Les déclarations publiques

Ces déclarations font en général suite à une réunion de la gemaa d'un groupe sur un point particulier de l'actualité politique. D'après les quelques articles de journaux relatant ces faits, il s'agit effectivement d'une expression collective. Les noms de personne ne sont pas toujours mentionnés. Les seuls qui le soient sont ceux de l'hôte qui a accueilli ou organisé la réunion ou bien le nom de la personnalité la plus connue qui a assisté à la réunion. Les déclarations publiques ont également un caractère officiel soucieux de rester dans la légalité. Le terme “tribu”n'est jamais officiellement écrit ou prononcé. Il est souvent remplacé par les termes “collectivité”. Les derniers termes des communiqués ressemblent par leur formulation aux communiqués de presse de partis politiques. “La collectivité des Oulad untel apporte son soutien à tel candidat”.

L'exemple de la gemaa des Oulad Nacer à Ayoun en août 2003 confirme ce souci de légalité. Le déroulement de la réunion a été rapporté dans la presse229. Le journal précise également qu'un procès verbal de la réunion a été dressé et qu'il a été remis à un membre de l'administration. Puis, quatre participants à la réunion ont été mandatés pour transmettre la position arrêtée par l'assemblée aux autorités de l'État à la capitale. Outre son aspect formel, l'objectif de la déclaration publique était de faire connaître leur position pour qu'elle soit entendue et qu'elle puisse influencer les décisions des dirigeants.

Propositions et consultations

Les points discutés lors de ces réunions peuvent porter sur la proposition d'un candidat pour une élection ou bien pour sa nomination à un poste important. D'après un journaliste d'Ayoun, chaque nomination est précédée d'une proposition. Cela signifie qu'il y a communication entre celui qui nomme et ceux qui proposent. Le Président de la République au niveau national, comme le wali au niveau régional ont le pouvoir de nommer des responsables. Outre les compétences des candidats, leur choix se fondent sur leur stratégie politique. Lorsqu'un groupe tribal apporte son soutien au président, il cherche également à obtenir une contrepartie. Il peut alors faire savoir que pour le poste à pourvoir, un de ses membres est candidat. Si celui qui nomme estime que le soutien de ce groupe tribal est nécessaire, il peut lui donner satisfaction. Il arbitre ainsi entre les différentes revendications.

D'après un haut fonctionnaire, il n'y a pas réellement de représentation officielle des tribus. Par conséquent, il ne peut y avoir de rencontre officielle entre un représentant de l'État et un représentant d'une tribu. En revanche, il pense que “certains parlent et disent leur mécontentement à haute voix”. Les représentants de l'État doivent alors arbitrer ces mécontentements. Ils font de la “gestion d'opinion”, ce qui influe sur les décisions. L'opinion de ce haut fonctionnaire fournit un éclairage intéressant sur les arbitrages mais elle élude les rencontres officieuses entre l'État et les groupes tribaux. À la suite de leur gemaa, les Oulad Nacer ont envoyé quatre d'entre eux à Nouakchott pour rencontrer le président et ils ont effectivement été reçus, or, même déguisée, il s'agissait bien d'une rencontre entre les représentants d'une tribu et le représentant de l'État.

La rencontre peut être sollicitée par la tribu lorsqu'elle a une proposition à formuler, mais elle peut également être sollicitée par les représentants de l'État. Le Président sollicite parfois l'avis de certains individus et les reçoit parce qu'ils sont membres d'un groupe tribal avec lequel l'État a des difficultés, même si ces individus exercent par ailleurs des fonctions dans l'administration de ce même État. Lors de la création des communes rurales en 1987, chaque groupe tribal a essayé d'obtenir un découpage communal qui lui soit favorable afin qu'il puisse contrôler les conseils municipaux. D'après la procédure, le wali devait effectuer une première proposition de découpage. Ensuite le gouvernement envoyait une mission dans la wilaya pour finaliser ces propositions, or d'après plusieurs entretiens, le wali a, en plus des critères définis, consulté les principaux groupes tribaux pour proposer un découpage qui les satisfasse. De même, chaque groupe qui se sentait floué s'est également déplacé chez le wali pour lui faire part de ses insatisfactions.

La communication entre les lieux-noyaux et l'État passe donc par la voie publique autant que par la voie officieuse. La démarche n'est pas uniquement à l'initiative du groupe rattaché au lieu-noyau. Il sollicite autant qu'il est sollicité et ces sollicitations se traduisent souvent par des rencontres physiques qui débouchent sur une négociation puis sur une décision. C'est ainsi que les groupes tribaux influencent en partie l'action administrative de l'État.

Le PRDS, un autre canal pour contrôler l'administration

Nous avons jusqu'ici assimilé dans nos démonstrations la matrice étatique à l'administration, mais en parallèle de celle-ci, le PRDS joue un rôle tout aussi important. D'un côté, l'adhésion à ce parti est presque une nécessité pour être un candidat victorieux ou pour être nommé dans cette administration. De l'autre, il est un canal possible pour faire remonter des doléances ou des revendications jusqu'au centre de la matrice.

Hors de Nouakchott, l'État est représenté par le wali au niveau de la wilaya et par le

hakem au niveau de la moughataa. Le wali et le hakem sont affectés dans des

circonscriptions avec lesquelles ils n'ont pas de liens de parenté. Un premier raisonnement nous amène à penser qu'ils occupent une position confortable vis-à-vis des habitants de ces circonscriptions puisque les groupes tribaux ne peuvent exiger de ces

Documents relatifs