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contexte paratextuel (I) : l’épitexte

2 1 Le protocole nominal : premier

A) contexte paratextuel (I) : l’épitexte

Une œuvre littéraire n'est pas faite seulement d'un texte. Elle est constituée aussi d'un ensemble de composants qui va du titre à une exégèse privée ou publique, en passant par la préface ou le prière d'insérer. Depuis les travaux décisifs de Genette sur ce domaine, on appelle cet ensemble le "paratexte" (Genette, 1982, p. 9). Tous les éléments qui le composent sont, à des titres variables, déterminants pour l'orientation de la lecture d'une œuvre.

Dans cet ensemble, il faut distinguer ce qui appartient aux marges de l’œuvre et ce qui est plutôt un prolongement de l’œuvre : toutes les déclarations, commentaires ou mises au point dont elle peut être l'objet par l'écrivain lui-même. Dans la terminologie de Genette, il s'agit d'une part du "péritexte", d'autre part de

"l'épitexte" (Genette, 1987). Ces deux aspects du paratexte ne vont pas avoir la même importance pour notre paramètre contextuel. Par sa situation particulière, l'épitexte ne peut jouer qu'un rôle minime. Coupé en quelque sorte du livre, excentrique à son système d'énonciation, il ne peut agir réellement dans la constitution d'une identification fictionnelle. Par contre, il peut remplir une fonction

d'emphase qui n'est pas négligeable. Un écrivain peut ainsi attirer l'attention du

lecteur, dans son Journal ou dans un entretien, sur le fait que le personnage qui porte son nom est bien un double fictif de lui-même. S'il a transformé son nom ou utilisé un substitut, il peut expliquer le mécanisme de ce change , S'il a mis en œuvre plusieurs formes de fiction de soi, il peut les différencier et éclairer ces différences. A l'inverse, l'écrivain peut insister sur le fait qu'il n'a donné que son identité à son homonyme, qu'il ne s'agit pas de sa personne réelle, qu'il n'a pas voulu faire œuvre autobiographique. Ce type d'indications relèvera alors du discours d'escorte de l'écrivain sur son travail autofictif, sur la nature et les effets de cette mise en scène fictionnelle de soi. Le Journal de Gombrowicz présente par endroits quelques aperçus de cet ordre que l'on ne manquera pas de citer quand l'occasion se présentera - mais ils sont allusifs et rares. Dans l'ensemble, cette fonction d'emphase du péritexte est peu exploitée. En l'absence d'une tradition autofictive, on pouvait s'y attendre.

Reste que l'on peut se demander si, à défaut de l'établir, l’épitexte ne peut

dévoiler une fictionnalisation de soi, révéler les traits cachés d'un protocole

nominal. On aurait alors affaire à une autofiction à effet retardé, qui se rapprocherait de l'identification chiffrée vue dans la section précédente. On peut ainsi imaginer le cas d'un écrivain révélant après coup la signification d’indices qui permettent de l'identifier dans une fiction. Un tel cas est possible, mais il faut être très prudent avec ce genre de déclaration. Pour que l'on ait réellement un tel cas, il faudrait une formulation sans équivoque et explicitant le fonctionnement du déguisement ayant permis cette fictionnalisation celée. On ne confondra pas, en particulier, ce type de révélation avec les déclarations du type "Mme Bovary, c'est moi" que l'on trouve chez Flaubert bien sûr, mais aussi chez Hugo, Gogol, Fitzerald etc.

Cette phrase si célèbre de Flaubert est une confidence orale de seconde main, rapportée par Descharmes :

"Une personne qui a connu très intimement Mlle Amélie Bosquet, la correspondante de Flaubert, me racontait dernièrement que , Mlle bosquet ayant demandé au romancier d'où il avait tiré le personnage de Madame Bovary, il aurait répondu très nettement et plusieurs fois répété 'Mme Bovary, c'est moi ! - D'après moi." (Descharmes, 1909, p. 103).

Faut-il prendre cette déclaration à la lettre ? Peut-on penser que Flaubert ait voulu se travestir en femme dans ce roman des "Mœurs de province" ? Citée hors de son contexte, amputée de ses derniers mots, la phrase de Flaubert est ambiguë. Elle peut en effet suggérer que Flaubert voulait que l'on découvre sa personnalité sous le masque de cette héroïne que l'on comprenne qu'Emma Bovary était son double. Mais rétablie dans son contexte et dans son intégralité, elle est sans équivoque : "Mme Bovary, c'est moi ! - D'après moi". A la question du modèle de Mme Bovary, Flaubert répond que la source est essentiellement lui-même, qu'il s'est inspiré de ses tourments et de son incapacité à vivre la réalité pour élaborer le caractère de cette héroïne. C'est là établir une filiation entre "le bovarysme" et son propre dégoût de l'existence ; c'est dire qu'il avait mis beaucoup de lui-même dans ce personnage ; mais ce n'est pas s'identifier à Emma Bovary, inviter le lecteur à voir dans ce personnage un autoportrait déguisé.

Tout romancier tire de la multitude des êtres virtuels qu'il y a en lui (comme du réel et des ressources de l'écriture) de quoi nourrir ses personnages. Parfois, il reconnaît ses filiations, cette paternité, dans des déclarations où il se situe par rapport à ses personnages. Mais il ne s'agit pas là d'une identification, de l'établissement d'un protocole nominal d'autofiction. Davantage, il arrive aussi qu'un écrivain désigne dans son œuvre un ou plusieurs porte-parole, un personnage dont il se sent très proche, qui exprime le plus fidèlement sa vision du monde. Ainsi Forster, en réponse à la question d'un journaliste :

"Int. : Certains de vos personnages ne vous représentent-ils pas un peu ? Forster : Rickie plus que tout autre. Philip aussi. Et Cecil (...) a quelque chose de Philip" (Forster, 1967, p. 64).

En évoquant ces personnages de The longest journey, de Were the Angels

Fear to Tread et de A room with view, Forster indique que ceux dont il se sent le

désigne ses représentants implicites, ses portes-paroles dans ses fictions. De telles indications épitextuelles sont toujours utiles pour la critique d'un auteur. Elles permettent de comprendre le sens qu'il donnait à ses œuvres. Mais il n'est pas possible d'en faire le support d'un protocole nominal. De tels personnages ne constituent pas des fictionnalisations de leur auteur.

D'une façon générale, il convient donc d'être très circonspect avec les formules épitextuelles du type "X, c'est moi". Le plus souvent, il ne s'agit que de désigner une source ou / et un porte-parole. Si l’on prenait de telles déclarations à la lettre, une grande partie de la littérature moderne deviendrait autofictive, ce qui serait confondre source subjective, signification et fictionnalisation.