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Réflexion théorique autour de la notion de discours

Chapitre 2 Vers une Sémantique Discursive cognitive

2.2. Constructions et grammaire de constructions

2.2.1. Construction : une notion de linguistique fonctionnelle-cognitive

2.2.1.1. Construction : naissance et stabilisation d’une notion

Fillmore (1968a, 1968b, 1977a) a, par l’analyse, amené l’idée de construction : il a pu montrer que certaines structures récurrentes de l’anglais américain sont stabilisées non seulement au niveau formel, mais également au niveau sémantique, sans en aucun cas être figées, comme peut l’être un proverbe.

Fillmore et al. (1988) travaillent sur le cas de let alone, qui est un idiome grammatical (Fillmore et al. 1988 : 505) comme l’est le non moins célèbre kick the bucket.127 La première partie de l’étude consiste en la présentation d’une approche sémantique de la grammaire en montrant par de nombreux exemples que les structures langagières sont, à un certain degré d’abstraction, stabilisées, récurrentes et plus ou moins prévisibles. Soit « Je reicher sie wird, desto [X] wird sie », [X] est prototypiquement un adjectif (Fillmore et al. 1988 : 507).

L’exemple suivant sert de point de départ pour la discussion de l’article : « I doubt you could get FRED to eat squid, let alone LOUISE » (Fillmore et al. 1988 : 512 ; emphases dans l’original, MB). La construction « let alone » est relativement mobile au sein de l’énoncé, mais est structurellement figée <let alone + [X]>, où [X] est régulièrement le prénom d’un AGENT. La construction peut également être augmentée : « You couldn’t get JOHN to TOUCH it, let alone LUCILLE to EAT it. » (Fillmore et al. 1988 : 514)128, mais cela requiert que la structure ajoutée soit compatible avec la construction et le reste de l’énoncé (Fillmore et al. 1988 : 515). Alors, et en fonction de l’environnement textuel immédiat, [X] n’est plus uniquement le prénom d’un AGENT, mais peut être un OBJET : « John hardly speaks RUSSIAN let alone BULGARIAN. » (Fillmore et al. 1988 : 517) ou encore une localisation : « He didn’t reach DENVER, let alone CHICAGO. » (Fillmore et al. 1988 : 518).

Fillmore et ses collègues montrent ainsi que le co(n)texte influence par ses dimensions pragmatiques, sémantiques et syntaxiques le développement d’un énoncé (Fillmore et al. 1988 : 511), et que ces dimensions nécessitent parfois la présence d’une entité relativement figée telle que

127 Cf. pour saisir l’évolution épistémologique du propos constructionnel, la récente étude de Goldberg et Herbst

(2021) sur la construction « nice-of-you » qui souligne deux aspects fondamentaux : (i) les constructions sont faîtes de parts variables et de parts immuables (cette hypothèse a plus ou moins été appréciées au fil des années, elle semble être désormais acquise), et (ii) une construction locale est toujours prise dans une construction plus large (ce qui favorise l’idée de degrés d’abstraction des constructions et de leur mise en réseau).

128 On remarquera par ailleurs dans cet exemple, une autre construction classique : <[[get] + X] + [[to] + [VERB] + Y]>, où X est un individu et Y un objet.

« let alone » pour conserver une cohérence globale. « let alone » sert de point de référence au déploiement d’un texte, une « pièce d’un puzzle » (Fillmore et al. 1988 : 520) complexe et multidimensionnel (on retrouve cette argumentation chez von Polenz (2008) a plusieurs endroits), en témoigne ce nouvel exemple : « You’ll never get Gorbachev to denounce communism, let alone Reagan to denounce capitalism. » (Fillmore et al. 1988 : 520) Ce puzzle se construit non pas à un simple niveau concret énonciatif – cela n’en est que la pointe de l’iceberg ; le puzzle trouve son architecture profonde à un niveau plus abstrait et sémantico-syntaxique (Fillmore et al. 1988 : 524– 528).

Si cet article est fondateur dans le développement de la notion de construction (et sera à la base de Kay/Fillmore (1999) pour l’étude de <what’s [X] doing [Y]>), c’est parce qu’il a mis en évidence que la langue reposait sur des structures relativement figées à un degré ou à un autre d’abstraction et que telles des pièces d’un puzzle, elles sont assemblées pour faire émerger le sens global d’un énoncé. De plus, l’article a clairement montré que les structures relativement idiomatiques ne sont pas des exceptions grammaticales et peuvent tout à fait être prises en compte dans une théorie générale de la grammaire d’une langue.129

Cet article pionnier ne doit pas être négligé dans le développement des grammaires de constructions ; néanmoins, il porte davantage sur des structures plutôt idiomatiques comportant une entité figée et une ou des entités variables que sur des structures non idiomatiques. Ce sont

129 Je reproduis ici verbatim le début de la conclusion de l’article : « in the construction of a grammar, more is needed than a system of general grammatical rules and a lexicon of fixed words and phrases. Those linguistic processes that are thought of as irregular cannot be accounted for by constructing lists of exceptions: the realm of idiomaticity in a language includes a great deal that is productive, highly structured, and worthy of serious grammatical investigation. It has come to seem clear to us that certain views of the layering of grammatical operations are wrong. We have in mind that view of the interaction of syntax and semantics by which the semantic composition of a syntactically complex phrase or sentence is always accomplished by the iteration of atomistic local operations, and that view of pragmatics by which semantically interpreted objects are invariably first situated in contexts and then given their contextualized construals. It has seemed to us that a large part of a language user's competence is to be described as a repertory of clusters of information including, simultaneously, morpho syntactic patterns, semantic interpretation principles to which these are dedicated, and, in many cases, specific pragmatic functions in whose service they exist. The notion of literal meaning should perhaps be anchored in what is common to the understanding of expressions whose meaning is under consideration; and that might necessarily bring in information that goes beyond considerations of truth conditions. Further, certain lexical items and constructions, such as let alone, may have literal meanings that determine (in part) truth conditions on the utterances of sentences in which they occur, but not on the sentences themselves. A language can associate semantic information with structures larger than elementary lexical items and can associate semantic interpretation principles with syntactic configurations larger and more complex than those definable by means of single phrase structure rules. It appears to us that the machinery needed for describing the so-called minor or peripheral constructions of the sort which has occupied us here will have to be powerful enough to be generalized to more familiar structures, in particular those represented by individual phrase structure rules. A phrase structure rule characterizes a structure whose external category is identified with the category indicated on the left-hand side of an arrow (in the traditional notation) and whose constituent categories are those indicated on the right-hand side of the arrow; the semantic interpretation of such a construction is the semantic rule associated with that phrase structure rule. (In general, such constructions do not have associated pragmatic rules.) » (Fillmore et al. 1988 : 534)

donc des constructions particulières, « semi-autonomes » (Fillmore et al. 1988 : 511). À partir du travail de Fillmore et al. (1988), Lakoff (1987 : Case Study 3) développe et approfondie l’idée de Fillmore et de ses collègues.

Lakoff (1987 : 463) part du postulat que la grammaire doit être approchée entièrement par son aspect sémantique et que, par conséquent, il convient de concevoir les entités grammaticales comme des catégories prototypiques, qui sont dès lors des couples de forme et de sens (Lakoff 1987 : 482). En étudiant la construction <[[there + [be]] + [X]>, Lakoff remarque la présence de cette structure à la fois comme déclencheur déictique (p. ex. : « There’s Harry with his red hat on. » (Lakoff 1987 : 468)) et comme prédicateur existentiel (p. ex. : « There was a man shot. » (Lakoff 1987 : 469)). Néanmoins de nombreux exemples ont montré que ces deux emplois renvoient, en réalité, à des localisations conceptuelles (Lakoff 1987 : 470 ; cf. aussi les métaphores cognitives Lakoff/Johnson 1999).

Lakoff met d’abord en évidence que ce phénomène n’est pas propre à la construction avec there et que celle-ci n’est en aucun cas une exception (Lakoff 1987 : 471). Et comme Fillmore et ses collègues, Lakoff en arrive à la conclusion que la construction <[[there + [be]] + [X]> dispose d’un paramétrage pragmatique, sémantique et syntaxique qui régit son emploi et son déploiement énonciatif (Lakoff 1987 : 473). Au fond, les configurations syntaxiques sont à mettre au même plan que les contraintes pragmatiques et sémantiques d’une structure (Lakoff 1987 : 474–478) ; ainsi – si l’on généralise –, une analyse grammaticale traditionnelle ne saurait rendre compte des possibilités d’utilisation d’une structure de langue (Lakoff 1987 : 480–481). En effet, les domaines conceptuello-linguistiques de déploiement de la construction avec there sont particulièrement variés (cf. les multiples exemples allant de la narration à l’intentionnalité de déplacement en passant par le discours : Lakoff 1987 : 483–484).

Il y a dès lors la nécessité de saisir les réalisations langagières comme des actualisations de catégories prototypiques, elles-mêmes organisées en des réseaux suivant une architecture prototypique au sein de catégories plus abstraites, qui sont également prises dans des réseaux d’un degré d’abstraction supérieur, etc. (Lakoff 1987 : 487, 505–514).130

Lakoff (1987) apporte deux éléments supplémentaires à la théorie des constructions :

(i) La définition d’une construction est la suivante : « Chaque construction sera une paire forme-sens (F, M), où F est un ensemble de conditions sur la forme syntaxique et

130 C’est précisément cela qui permet à un individu d’acquérir un certain nombre des catégories d’emploi et de saisir le sens réel et en réalisant une abstraction pour l’intégrer aux potentialités sémantiques d’une catégorie (Lakoff 1987 : 490 ; cf. Tomasello 2003 : 63).

phonologique, et M est un ensemble de conditions sur le sens et l’utilisation. »131 (Lakoff 1987 : 467)

(ii) Il convient d’adopter une saisie holistique du sens : « Nous soutiendrons l’idée que les constructions grammaticales sont en général holistiques, c’est-à-dire que la signification de l’ensemble de la construction est motivée par la signification de ses constituants, mais ne peut être établie à partir de celles-ci. »132 (Lakoff 1987 : 465)

Ce qui « motive » (Lakoff 1987 : 487) la sélection d’une réalisation constuctionnelle au profit d’une autre est d’ordre pragmatique, sémantique, syntaxique et cela s’effectue par pressions cognitives via la mobilisation d’ensembles conceptuels encapsulant ces connaissances situationnelles et intentionnelles (Lakoff 1987 : 514–533). En somme, se trouve déjà chez Lakoff la perspective fonctionnelle-cognitive unifiant constructions et frames (cf. Lakoff 1987 : 584–585) exploitée dans le modèle de l’Analyse Cognitive de Discours. Or, précisément, cette routinisation cognitive d’agrégats complexes de connaissances et de paramètres s’acquiert par la conventionnalisation des pratiques au fil de l’exposition individuelle à ces différentes actualisations. Cela permet d’intégrer progressivement les sous-catégories d’une construction et d’établir les intersections entre contexte et paramétrage stabilisé (Lakoff 1987 : 533–540 ; cf. également Boas 2003 : 122). Une construction s’intègre par ces deux principes dans l’environnement cognitif écologique du réseau de constructions (Lakoff 1987 : 556), de l’énoncé (Lakoff 1987 : 464) et de la communication (Tomasello 2003 : 67).

À partir du travail de Lakoff (1987 : Study Case 3), Goldberg (1995) déploie une approche systématique théorique et analytique des constructions dans une perspective cognitive déductive.

C est une CONSTRUCTION ssi C est un couple de forme et de sens <Fi, Si> de telle manière que certains aspects de Fi ou certains aspects de Si n’est pas strictement prédictible depuis les constituants de C ou de de toute autre construction précédemment identifiée.133 (Goldberg 1995 : 4)

Chez Goldberg, l’approche est verbocentrée : le sens d’une construction propositionnelle et le sens d’un verbe interagissent et c’est pour cette raison qu’elle choisit d’approcher les constructions par la structure argumentale associant un verbe à ses arguments (Goldberg 1995 : 24).

131 Each construction will be a form-meaning pair (F, M), where F is a set of conditions on syntactic and phonological form and M is a set of conditions on meaning and use.

132 We will argue that grammatical constructions in general are holistic, that is, that the meaning of the whole construction is motivated by the meaning of the parts, but is not computable from them.

133 C is a CONSTRUCTION iffdef C is a form-meaning pair <Fi, Si> such that some aspects of Fi or some aspects of Si is not strictly predictable from C’s components parts or from other previously established constructions.

Goldberg part également du principe que les entités lexicales sont référentielles et renvoient à des connaissances épistémiques individuelles comme culturelles (Goldberg 1995 : 28) ; cela signifie donc que parmi les éléments syntaxiques seuls ceux qui sont signifiants et permettent d’enrichir le sens d’une structure linguistique sont pris en compte. Autrement dit, ce sont les liens syntaxiques qui sont à retenir lors de l’analyse syntaxique d’une structure. On peut alors décomposer une structure ainsi : <[X] fragt [Y], [Z] zu tun>.

Mais il est dès lors évident que des éléments sémantiques supérieurs sont requis pour construire le sens total d’une structure (Goldberg 1995 : 29) ; Goldberg reconnaît aussi que des paramètres pragmatiques et sémantiques entrent en jeu dans la constitution du sens (Goldberg 1995 : 6 – on ne fera d’ailleurs pas de distinction entre pragmatique et sémantique (Goldberg 1995 : 7)) et en particulier des segments de connaissances épistémiques stockés dans les frames, et injectés dans les constructions (Goldberg 1995 : 26 ; Boas 2003) – j’exploiterai et développerai en particulier cet élément en [3], [13]).

Goldberg propose alors de saisir les éléments sémantiques d’une proposition et de les associer aux éléments syntaxiques par des règles associatives (linking rules ; Goldberg 1995 : 12–13). La reconstruction d’une construction nécessite donc d’isoler le prédicat et les arguments, de mettre en évidence les liens syntaxiques, puis de reconstruire leur sens et les liens sémantiques et de les associer. Et ces associations sont motivées par le sens (et non pas par la syntaxe !) de l’ensemble de la structure. Donc pour le verbe « donner » instancié dans l’énoncé suivant : « Ich gebe _ _ _ _ ein Buch. », ce qui manque est forcément (i) un objet indirect, car la structure nécessite un élément qui ne soit ni un verbe, ni un sujet, ni objet direct, puisqu’ils sont déjà instanciés ; (ii) un élément lexical qui correspond aux contraintes syntaxiques de la chaîne relationnelle <[X] [PRÄDIKAT] [Y] [Z]> ; (iii) une entité sémantique signifiant l’acceptation du transfert d’un objet d’un individu à une autre entité – comme l’acceptation relève d’une volonté, seul un agent vivant (principe de volitionalité de l’agentivité, cf. [4.3.2]) peut correspondre à la position syntaxique d’objet indirect. Après avoir

reconstruit le sens, les rôles syntaxiques et sémantiques de chaque entité, les relations syntaxiques et

sémantiques, on peut affirmer que l’élément manquant dans l’exemple est un agent vivant, disposant du rôle syntaxique d’objet indirect associé à un rôle sémantique de receveur.134 Dans la

134 Cette reconstruction est effectuée à chaque fois qu’un énoncé est produit/reçu (c’est pour cela que l’on peut prédire la fin d’un mot ou d’une phrase avant de l’entendre et donc corriger les enfants ou les apprenants d’une langue étrangère) et c’est également ce phénomène cognitif qui permet aux jeunes enfants de reconnaître les différentes entités d’un énoncé, de les comprendre, de les acquérir puis de savoir comment les employer (cf. Goldberg 1995 : 18–21 ; Tomasello 2003).

perspective située défendue infra l’ordre est inversé : c’est la reconnaissance de la catégorie de l’entité sémantique qui est la première étape du processus d’identification.

Les constructions reposent donc sur des principes de compositionnalité (Goldberg 1995 : 13–14), de motivation et de contraintes sémantiques, le tout étant absolument holistique. On retrouve ici les racines de la sémantique des frames (Fillmore 1977a ; Minsky 1974 ; Ziem 2008a), mais à un niveau plus spécifique. C’est cette focalisation locale qui rend l’approche constructionnelle nécessaire et complémentaire à l’approche par la sémantique des frames.

Reprenons l’exemple « Ich gebe meiner Mutter ein Buch » ; on pourrait également dire : (9) Ich werfe meiner Mutter ein Buch zu

(10) Ich schicke meiner Mutter ein Buch (11) Ich leihe meiner Mutter ein Buch (12) Ich schenke meiner Mutter ein Buch (13) Ich bringe meiner Mutter ein Buch

Ces exemples soulignent la structure constructionnelle tant au niveau de la forme (généralisable en <SUJET VERB:TRANSFER OBJ.IND. OBJ.DIR.>) que du sens (généralisable en <AGENT PRÄDIKAT:TRANSFERT OBJ. RECEVEUR>) de la construction ditransitive déployée et met également en avant l’aspect prototypique de la construction. Or, Goldberg montre que si un verbe fictif est implémenté dans un verbe comme dans l’exemple « Ich topomasiere meiner Mutter ein Buch », les locuteurs natifs inféreront que le verbe « topomasieren » signifie plus ou moins « geben » (Goldberg 1995 : 35) par la force sémantique prototypique de la construction. On peut donc en déduire que les constructions sont des catégories, que les constituants des constructions sont des catégories, que les relations sont des catégories, que le tout est prototypique, que la construction influence le verbe et réciproquement, qu’il existe des réalisations plus prototypiques que d’autres (ici geben est plus prototypique que schicken), et finalement que la notion même de construction signifie bien construire le sens d’une structure et ce par la conventionnalisation de l’emploi de structures fonctionnellement similaires (cf. dans une perspective proche Feilke 1996). Ainsi, l’environnement socioculturel d’un individu a une influence sur la construction de constructions, et cela se reflète sur des structures particulières comme on l’a vu avec Fillmore et al. (1988) et Lakoff (1987), mais également dans toutes les structures de la langue (on le voit avec la construction ditransitive, mais aussi c’est le cas pour un vaste répertoire de constructions analysé

par Goldberg (1995, 1999a)). Ces éléments peuvent encore être affinés avec l’analyse des deux exemples suivants en français :

(14) J’offre un livre à ma mère (15) Je promets un livre à ma mère

En (15), « offrir » n’a pas pour sens premier de signifier le mouvement d’un transfert, ce verbe met en évidence la volonté de céder un objet sans rétribution à un autre agent. Le fait que le sens de TRANSFERT soit ajouté au sens premier du verbe est le fait de la force sémantique constructionnelle sur le potentiel sémantique du verbe ; mais en même temps, le verbe renvoie une spécificité sémantique à la construction en affirmant le caractère spécifique de cession sans rétribution de l’objet. On peut en conclure que la puissance sémantique constructionnelle est plus forte que la puissance sémantique verbale, que l’échange sémantique est bidirectionnel entre le verbe et la construction et que la reconnaissance d’une construction ne signifie pas le figement et l’appauvrissement sémantique de ses réalisations constructionnelles.

En (16), une grille de lecture serait d’estimer la compression de l’information en une structure elliptique où l’on signifierait « Je promets d’offrir un livre à ma mère » puisque promettre ne signifie pas en première instance un transfert ni une cessation d’objet. Mais l’on peut faire l’hypothèse que la séquence <promettre + de + VERBE:TRANSFERT> est hautement fréquente (cf. la définition de promettre du CNRTL135) et que la nécessaire concaténation compositionnelle verbale a progressivement été effacée (pour des raisons d’économie et de routinisation cognitives), ce qui a eu pour conséquence d’élargir le sémantisme de « promettre », ou plus précisément que le sens constructionnel de la clause introduit par promettre a contaminé le verbe jusqu’à ce que ce dernier intègre pleinement le sens et le déploie lorsqu’il est employé dans une construction ditransitive.136

On peut estimer que le sens de la construction ditransitive est majoritairement (i. e. prototypiquement) hérité et dérivé du sens du verbe « donner/geben » (Goldberg 1995 : 35) et cela s’explique par la fréquence particulièrement élevée en corpus de ce verbe pour cette

135 https://cnrtl.fr/definition/promettre (28 juin 2020).

136 Il en va de même pour les constructions allemandes elliptiques du type « ich muss zum Supermarkt », ici ce qu’il manquerait serait le verbe instanciant un déplacement (fahren, (fliegen) gehen, laufen, etc.) ; la construction est suffisamment saillante et stabilisée pour que le sens de la construction ne nécessite pas la présence du verbe (ce qui prouve au passage que le verbe ne doit pas être autant mis en avant dans l’approche constructionnelle, cf. section suivante). Toutefois, le verbe est nécessaire si l’on souhaite spécifier le type de déplacement, si l’on souhaite seulement indiquer le déplacement de l’agent vers une destination, il n’est pas nécessaire d’instancier le verbe, car le sens qu’il apporte est inféré par le sens constructionnel et matérialisé par les autres constituants de la construction, en particulier la préposition zu.

construction (Goldberg 1995 : 36). On en déduit également que la construction est flexible et dynamique dans le temps pour une communauté donnée. Cela a deux conséquences :

Au niveau cognitif les constructions sont générées à partir de situations expérientielles élémentaires (ici donner i. e. une action fondamentale de la vie des humains dans les sociétés (occidentales)) ; donc les constructions reflètent le sens des actions situationnelles qu’elles instancient linguistiquement (Goldberg 1995 : 39, cf. Scene Encoding Hypothesis). Cela implique une catégorisation située et cognitive des situations expérientielles et des constructions (cf. Langacker 1991 : 294–295).137 Au niveau culturel les constructions sont tout à fait intéressantes pour témoigner de

l’évolution diachronique des langues et des pratiques linguistiques au sein d’une communauté (cf. Hilpert 2008, 2011, 2013, 2018 ; Merten