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CONTEXTE LEGAL

5. ANALYSE DES RÉSULTATS

5.1 POLITIQUE MIGRATOIRE ET POLITIQUE D’AIDE SOCIALE SOUS LA LOUPE DE L’INTEGRATION

5.2.1 CONDITIONS GLOBALES DES MARGES DE MANŒUVRE DES AS AU SEIN DE L’AIDE SOCIALE

5.2.1.4 Connaissances sur le droit de la migration et la LE

Enfin, le dernier facteur contextuel relatif au travail des assistant·e·s sociaux·ales concerne l’implication des assistant·e·s sociaux dans l’application de la nouvelle loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) et leur collaboration avec l’institution cantonale en matière de migration. En effet, cette loi concerne particulièrement les institutions de l’aide sociale puisque le recours à leurs prestations, comme nous l’avons abordé précédemment, peut être un motif de renvoi, de rétrogradation ou de non renouvellement des permis de séjour et d’établissement des personnes étrangères. En outre, la politique migratoire a directement un impact sur le traitement des dossiers d’aide sociale, notamment concernant l’établissement des budgets.

Nous nous sommes donc interrogées sur le niveau de connaissances des assistant·e·s sociaux·ales concernant non seulement ce changement de loi en particulier, mais aussi concernant la politique migratoire dans son ensemble. Nous avons tout d’abord pu constater que les assistant·e·s sociaux·ales ne sont pas formé·e·s en tant que tel que sur le droit de la migration mais que leur expérience leur permet toutefois d’en comprendre un peu les rouages. Concernant la LEI, les assistant·e·s sociaux·ales ont été mis au courant de sa mise en vigueur et d’une orientation plus restrictive, sans toutefois être plus informé·e·s des changements majeurs. L’information est passée dans les services mais n’a, d’après ce que nous avons pu constaté, pas ou peu attiré l’attention :

« Non. J’ai appris, alors peut-être que j’en avais entendu parler avant, mais ça m’a pas fait tilt, j’en ai entendu [parlé] au colloque mardi parce que justement cette collègue avait fait cette journée d’informations et elle a dit que… »

En outre, un·e interviewé·e a relevé son intérêt pour en apprendre davantage :

« Après, là aussi je pense que ça vaudrait la peine de… réfléchir attendez parce que je dois *prend des notes* faire des propositions mais bah je sais que par exemple y a le Centre social protestant qui peut répondre aux personnes qui… ont des problèmes de cet ordre-là donc on pourrait peut-être une fois… agiter quelqu’un qui nous parle un peu plus de ça à… à un colloque ou… je sais pas. Et pis comme si j’ai bien compris y a un changement de de loi, je sais absolument pas ce que y a dans ce changement de loi, j’ai une collègue là qui est allée à une journée de formation là-dessus et donc

elle vous nous en reparler prochainement… donc voilà peut-être qu’elle peut sans doute donner plus d’infos sur… sur ça. »

Comme le souligne cet extrait, un·e assistant·e social·e, qui ne fait pas partie de nos interviewé·e·s, a pris l’initiative de suivre une journée d’informations sur la LEI.

Ainsi, nous pouvons souligner que si les assistant·e·s sociaux·ales ont été mis au courant de l’entrée en vigueur de la LEI, il·elle·s n’ont toutefois pas été informé·e·s plus en détails de ses implications pour les institutions de l’aide sociale, si ce n’est qu’elle n’a pas encore été prise en compte dans les pratiques liées à l’aide sociale :

« Bah cette histoire de permis C qui pourrait être rétrogradé, ça j’en ai eu strictement aucune connaissance jusqu’à y a très peu. On en a discuté justement en deux mots au colloque et puis… notre cheffe nous disait que… en fait, de cette nouvelle loi, y a des choses qu’on fait qui sont illégales, qui sont pas compatibles avec cette loi. »

En effet, lorsque nous avons interrogé la personne qui travaille à l’institution cantonale en matière d’aide sociale, celle-ci nous a informé que la loi n’était pas encore appliquée dans les institutions de l’aide sociale mais que cela devait faire l’objet de discussion avec l’institution cantonale en matière de migration. Il·elle nous a par ailleurs expliqué que c’est également le cas au sein des autres cantons romands.

Les implications de LEI sur l’aide sociale que nous avons pu identifier concernent trois éléments. Premièrement, ce qui n’est pas appliqué et qui doit faire l’objet de discussion concerne le refus de l’octroi de l’aide sociale aux ressortissant·e·s ayant un permis B lorsqu’il·elle·s perdent leur travail dans la première année de séjour, ce qu’explique un·e assistant·e social·e :

« L’aide sociale elle est pas censée intervenir au niveau de la loi. Mais au niveau de notre directive cantonale on intervient quand même. Mais après c’est voilà, là typiquement des procédures plus accélérées de la part [de l’institution cantonale en matière de migration]. Parce que légalement, on n’est pas censé aidé. Mais après qui aide ces personnes, c’est un petit peu tout ce qui est en train d’être discuté au canton parce que c‘est un grand questionnement quand même. [...] à eux de se mettre d’accord sur ce qu’on doit appliquer »

Le deuxième point concerne l’aide des personnes en situation d’attente de renouvellement :

« Bah ces situations de permis de séjour elles sont assez compliquées. Comme pour les décisions qui sont prises par [l’institution cantonale en matière de migration], parce que des fois [l’institution] peut dire que le renouvellement est en cours. Mais du coup pour nos considérations, c’est pas forcément… enfin ça va changer. Là on se réfère toujours à [institution cantonale en matière d’aide sociale] et pis en général on leur pose la question. Voilà, on n’a pas… au niveau [de l’institution cantonale en matière de migration] et de [l’institution cantonale en matière d’aide sociale], on n’a pas les mêmes termes et c’est ça qui joue un petit peu… sur les interprétations et pis du coup on peut… on peut se tromper au niveau du budget.

Par exemple ?

Le service des migrations nous donne des décisions que c’est en attente de renouvellement. Nous quand c’est en attente de renouvellement, on pourrait en fait revenir à une aide, une aide matérielle standard, voilà. Mais réellement en fait ça veut dire qu’il a toujours pas d’autorisation de séjour en Suisse donc en fait on doit appliquer l’aide matérielle minimum. Donc c’est tout des petites subtilités que… bah on échange avec [l’institution cantonale en matière d’aide sociale] selon la décision et pis qu’on fait valider auprès de [l’institution]. »

Un autre exemple dans lequel cette situation est abordée :

« après y a toutes les situations où c’est en attente mais du coup l’autorisation de séjour en Suisse elle est… elle est aussi du coup en suspens et pis c’est ça qui nous pose toujours question, c’est de savoir du coup légalement a le droit de séjourner, ou travailler, parce que ça c’est vraiment déterminant pour nous, pour appliquer l’aide sociale

Ça peut durer longtemps cette situation de renouvellement ?

Oui ça peut (rires). Encore une fois c’est vraiment au cas par cas, c’est bah on est, dépend [de l’institution cantonale en matière de migration] à ce moment-là donc on attend vraiment leur retour. Pour une situation où lui, justement on savait pas si son permis C allait passer, ça a bien pris 6 mois en tout cas. Après moi j’ai pas eu la finalité parce que je l’ai plus suivi. »

Enfin, une autre situation qui doit être éclaircie concerne les personnes qui n’ont pas le droit de séjourner en Suisse mais qui y restent. Ces personnes ont droit à une aide minimale dite « d’urgence », comme l’explique ce·tte assistant·e social·e :

« Non, bah le canton émet des directives, et pis bah les directives c’est que… on les aide tant que y a pas un renvoi de Suisse… donc ils ont le droit de faire un recours, quand le recours a abouti à… ils doivent partir bah, à partir de la date du départ, où c’est plus qu’une aide d’urgence. Pour l’instant c’en est là, je sais que le canton réfléchit aussi. Et puis peut-être qu’ils vont déc… y aura même plus d’aide d’urgence mais on sait pas. »

L’enjeu global de ces deux dernières situations concerne en fait l’aide des personnes en situation irrégulière. La personne interviewée qui travaille à l’institution cantonale en matière d’aide sociale nous explique en effet que les deux institutions font face au dilemme suivant : faut-il accorder une aide aux personnes qui n’ont pas d’autorisation de séjour et si oui, quelle aide ? En effet, la personne interrogée suppose que si la personne reçoit une aide, cela va l’inciter à rester en Suisse. Mais si l’aide sociale ne lui octroie rien, aucune autre institution publique ne va l’aider, ce qui est contraire au droit constitutionnel (et international). L’aide d’urgence, qui permet de vivre de façon extrêmement précaire, a été instaurée dans le but d’aider ces personnes jusqu’à ce qu’elles quittent le territoire suisse. Or, le problème qui est relevé par notre

interlocteur·trice est qu’à l’heure actuelle, certaines personnes vivent durant des années dans de telles conditions.

Enfin, le dernier point sur lequel les deux institutions cantonales de l’aide sociale et de la migration doivent s’entendre concerne ici la définition du travail suffisant pour rester en Suisse. Le·la professionnel·le de l’aide sociale au canton nous explique en effet que les deux institutions doivent mettre en place des « définitions communes » sur ce que signifie un emploi qui permet à une personne de subvenir suffisamment à ses besoins. Comment évalue-t-on la situation d’une personne qui recourt à l’aide sociale mais qui travaille sur appel ? A partir de quel taux d’occupation ou de quel revenu considère-t-on qu’un travail est suffisant pour rester en Suisse ? En conclusion, nous avons pu observer que le travail des assistant·e·s sociaux·ales est dépendant et encadré par de nombreux éléments tels que les logiques politiques, économiques et institutionnelles. En effet, en tant que service qui se retrouve en aval de toutes les institutions, ces professionnel·le·s du travail social sont tributaires non seulement de l'institution cantonale qui oriente leurs actions mais également des changements et des décisions mis en place dans les autres administrations de l’action sociale, du marché de l’emploi et enfin de celle de la migration. Il s’agira dans la partie suivante de comprendre comment les assistant·e·s sociaux·ale·s exercent dans ces conditions leur marge de manœuvre dans leurs pratiques quotidiennes, en particulier lorsqu’ils traitent des dossiers des personnes étrangères et ainsi de comprendre quel rôle ces agent·e·s étatiques peuvent jouer dans la politique migratoire.

5.2.2 MARGES DE MANŒUVRE DES AS CONCERNANT LE SEJOUR ET