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CONTEXTE LEGAL

5. ANALYSE DES RÉSULTATS

5.1 POLITIQUE MIGRATOIRE ET POLITIQUE D’AIDE SOCIALE SOUS LA LOUPE DE L’INTEGRATION

5.1.2 LA POLITIQUE CANTONALE D’AIDE SOCIALE : ENJEUX EN TERMES D’INTEGRATION

5.1.2.1.2 Aide sociale : du droit aux devoirs

L’aide sociale, comme l’explique un·e interviewé·e est définie comme étant un droit constitutionnel :

« Contrairement, aux assurances sociales, qui découlent de législations fédérales. Le droit à l’aide sociale découle de la Constitution. Mais qui n’est pas précise sur ce sujet- là, charge à chaque canton d’organiser la remise d’une aide sociale, sous conditions de ressources. Donc, si vous voulez bien, quand vous êtes dans les assurances sociales, vous devez avoir cotisé et puis avoir un effet de cause à effet. C’est-à-dire que c’est l’accident qui déclenche l’assurance accident, c’est l’accident militaire, qui déclenche l’assurance militaire, et ainsi de suite… Alors que dans le cadre de l’aide sociale, ce n’est pas une question de cotisation ou de causalité, c’est une question de besoin. Est-ce que les besoins de la personne sont satisfaits ou pas ? »

Le fait que le recours à l’aide sociale soit un droit a aussi été abordé par un·e autre interviewé·e en racontant hors enregistrement qu’elle rassure les usager·ère·s en leur rappelant qu’il·elle·s ne font qu’exercer un « droit » en étant à l’aide sociale.

Ce droit se réfère ainsi directement à l’article 12 de la Constitution suisse qui stipule que « quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine ».

La CSIAS affirme même que l’aide sociale découle d’autres droits constitutionnels : « Il ressort de diverses garanties constitutionnelles (notamment la protection de la dignité humaine, l’interdiction de la discrimination et la liberté personnelle) que les prestations couvrant les besoins de base ne se limitent pas à assurer la survie, mais qu’elles doivent permettre une

participation minimale à la vie sociale, culturelle et politique » (CISIAS 2020 : 4). Nous pouvons également ajouter que le droit à l’aide sociale découlent également du droit international, comme nous avons pu le voir dans la partie historique (TABIN 1999 : 174-175).

L’aide sociale a pour but de garantir « la dignité humaine », qui serait préservée par le couvrement de « besoins de base ». Or, ces besoins de base sont perçus ici comme étant remplis par une forme d’intégration déclinée sous plusieurs angles (social, culturel, politique). Ainsi, la dignité humaine serait donc préservée selon nos interviewé·e·s tant qu’elle permet une forme d’intégration à la société, comme l’explique ce·tte professionnel·le de l’aide sociale :

« On parle de l’aide sociale comme étant un minimum social, qui doit permettre un minimum de vie quand même active et externe. De pouvoir quand-même aller boire un café de temps en temps. »

Ici, le terme intégration est utilisé comme une catégorie de la pratique en tant que résultat escompté de la politique sociale. En lui fournissant selon notre interlocuteur·trice « assez d’argent pour aller boire un café », la société donne à l’individu par l’intermédiaire de l’aide sociale le « droit » de participer à la vie sociale. En ce sens, le recours à l’aide sociale est un moyen donné par l’État de jouir de ce droit.

En permettant une participation minimale à la vie sociale, les institutions de l’aide sociale sont un moyen de réguler les individus afin de leur éviter une situation d’anomie au sens durkheimien. En d’autres termes, l’aide sociale est un instrument de solidarité organique qui participe à la formation d’une cohésion sociale (KELLER 2005). Comme le rappelle Tabin (1999) et Zwick Monney (2015), la formation de la cohésion sociale ou l’intégration de la société est un processus continuel qui peut être remis en question et doit donc toujours être maintenu par différents moyens. Les institutions sociales font partie de ces appareils étatiques qui permettent donc de la renforcer. Durant notre recherche, nous avons pu, à partir de nos données, distinguer deux processus de renforcement de la cohésion par l’aide sociale. D’une part, l’aide sociale va permettre à certains individus d’éviter l’exclusion ou alors leur permettre de sortir de cette exclusion. D’autre part, elle va permettre d’exclure les individus indésirables. En effet, comme nous l’avons vu au sein de notre partie théorique, l’intégration est un processus à la fois d’inclusion et d’exclusion (ACHERMANN 2012).

Pour assurer ce double processus, les institutions de l’aide sociale mettent en place toute une série de prestations principalement composées d’une aide financière et de contre-prestations, à savoir les « mesures d’intégration ». En effet, comme l’explique Keller, un des principes communs aux politiques cantonales est le principe selon lequel « l’aide sociale est conditionnée à une activité visant un emploi » (2005 : 41). Il est ainsi affirmé dans les normes de la CSIAS (11.07.2019 : 9) :

Devoir de diminuer le besoin d’aide

La personne bénéficiaire doit tout faire ce qui est en son pouvoir pour réduire et éliminer le besoin d’aide. Permettent notamment de diminuer le besoin d’aide : la recherche et l’acceptation d’un emploi dit convenable; b. une contribution à l’intégration professionnelle et sociale; c. l’exercice des droits à l’égard de tiers; d. la réduction de coûts fixes excessifs.

appropriées et raisonnablement exigibles, elles constitueront une condition pour obtenir l’aide (obligation de collaborer à Normes CSIAS F.1).

Le point F.1 auquel est renvoyé cette phrase déclare (11.07.2019 : 65) :

Le versement d’une aide financière peut être soumis à des obligations.

Cette contre-partie est d’ailleurs implicitement évoquée lors de nos entretiens :

« C’est le côté financier qui prime beaucoup pour les gens, ils sont toujours en train de demander des choses au niveau financier. Alors… bah moi je demande plutôt au niveau social, insertion, au niveau enfants comment ça se passe… mais… voilà le financier revient à la charge assez facilement donc… dans un entretien mensuel on parle souvent de budget »

Ici, nous pouvons observer que pour l’assistant·e social·e, parler simplement de la partie financière de l’aide sociale est considéré comme insuffisant, voir péjoratif. Il·elle remet donc la contre-prestation, c’est-à-dire l’insertion, au centre des objectifs de l’aide.

Ainsi, même si l’aide sociale est évoqué comme un droit, qui peut être invoqué en fonction des besoins des individus et qui ne dépend ni d’une cotisation ou de la cause qui a mené à ses besoins, il ne peut pas être invoqué sans contrepartie.

Cette contre-partie d’ « insertion » est justement ce qui nous intéresse pour analyser le processus d’intégration en tant que processus d’inclusion et d’exclusion des membres de la société, en particulier des personnes étrangères.