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CONTEXTE LEGAL

5. ANALYSE DES RÉSULTATS

5.1 POLITIQUE MIGRATOIRE ET POLITIQUE D’AIDE SOCIALE SOUS LA LOUPE DE L’INTEGRATION

5.2.1 CONDITIONS GLOBALES DES MARGES DE MANŒUVRE DES AS AU SEIN DE L’AIDE SOCIALE

5.2.1.1 Autonomie vis-à-vis de la hiérarchie

5.2.1.1.3 Autonomie vis-à-vis de l’institution cantonale de l’aide sociale

Le facteur qui est apparu le plus prégnant au sein de notre terrain est relation entre les services sociaux et l’institution cantonale en matière d’aide sociale. En effet, dans le contexte étudié, le canton joue un rôle très important puisque non seulement il élabore les politiques publiques mais il contrôle également la mise en application de ces normes. Nous pouvons donc mettre en avant plusieurs leviers de contrôle du travail des assistant·e·s sociaux·ales.

5.2.1.1.3.1 L’établissement des normes d’application

En plus d’édicter les lois, le canton, par extension, établit également les normes d’application qui prennent la forme principale de directives. Celles-ci régulent la gestion budgétaire des dossiers mais aussi l’ensemble des prestations sociales et notamment celles qui concernent les mesures d’insertion. Il semblerait que le canton ait augmenté la régulation de la mise en œuvre de l’aide sociale ces dernières années :

« Je dirais qu’on a déjà eu une évolution considérable. Pas uniquement financière hein, enfin principalement je dirais, pas uniquement mais principalement, où c’est que… Bah c’est avéré qu’on a de plus en plus de, de normes, de directives à respecter par rapport au fonctionnement et à l’application de l’aide sociale »

Toutefois, nous pouvons voir que d’une manière générale, la marge de manœuvre des assistant·e·s sociaux·ales reste présente :

« Alors on a toujours une marge de manœuvre. Il faut se dire que voilà, les directives cantonales, elles fixent surtout les montants au niveau… du minimum vital, ou de ce qu’on peut verser… […] Et comme vous disiez avant, par rapport aux directives qui fixent un petit peu ces montants, on a quand même une marge de manœuvre dans le sens où… alors effectivement qu’on doit respecter ces montants, on peut pas… décider à un moment donné de changer ces montants pis de, d’octroyer plus, alors ça certainement pas. Mais on a toujours une marge de manœuvre et de discussion. »

5.2.1.1.3.2 Le processus officiel de contrôle des dossiers

Lors de notre entretien avec un·e collaborateur·trice de l’institution cantonale en matière d’aide sociale, nous avons pu constaté que le canton joue bien un « rôle d’autorité de surveillance » qui se déroule en trois temps. Il faut savoir que l’institution dispose d’un accès complet à l’ensemble des dossiers informatiques au sein de canton. Le service cantonal effectue un premier contrôle quotidien à l’ouverture informatique de chaque dossier afin de « s’assurer que la subsidiarité est respectée » et que l’usager·ère ne dispose pas d’autres sources de financements.

Ensuite, une deuxième forme de contrôle s’effectue de façon aléatoire « durant toute la vie du dossier », ce que notre interlocuteur·rice nomme « contrôles par sondage », encore une fois par accès informatique aux dossiers. Enfin, le service cantonal a récemment mis en place un troisième système de contrôle qui cette fois-ci un est « contrôle sur site ». Les collaborateur·trice·s se rendent une fois par année dans le service social pour vérifier l’ensemble des dossiers du service. Cette fois-ci, l’analyse des dossiers est plus détaillée puisqu’elle consiste à vérifier plus précisément que les dépenses soient bien justifiées ou comme l’explique la

exemple une dépense pour les soins dentaires. Les contrôleur·euse·s vont vérifier qu’il existe bien une facture qui justifie le montant notifié dans le budget.

Du point de vue des services sociaux, un changement de pratique a donc été observé, ce que nous a rapporté l’un·e des assistant·e·s sociaux·ales interviewé·e·s :

« Je crois qu’ils ont changé leur méthode de faire et pis qu’ils vont dans les services sociaux sur place et puis… qu’ils demandent à consulter… les dossiers, donc ils vont se pencher plus précisément sur tout. Avant je pense que c’était plus… je crois que c’était un peu dans l’ordre alphabétique parce qu’on recevait… Ils faisaient la lettre A et pis ils vérifiaient les gros trucs comme les, on recevait justement un message pour ci pour ça, les pensions alimentaires, pour savoir si on a ou pas des gros trucs qui… pourquoi dans tel dossier y a pas de pensions alimentaires alors que les parents sont séparés ou des petites questions, si ça apparait pas, ça on n’a pas clarifié mais… mais maintenant c’est peut-être en train de changer. »

Nous pouvons relever que ce travail de contrôle représente un travail très conséquent, qui dans la pratique peut se confronter à un manque de ressources, comme l’explique ce·tte collaborateur·trice d’un service social :

« Oui ils sont censés [contrôler tous les dossiers] mais ils ont pas, justement ils… je pense qu’ils ciblent un thème et ils vérifient ce thème dans tous les dossiers et pis ils faisaient un peu comme ça, et maintenant ils ont décidé de changer en se disant bah on va dans les services sociaux et pis ils font peut-être quelque chose de plus approfondi mais ils pourront pas toujours plus approfondir… tous les dossiers donc je pense qu’ils choisissent quoi je sais pas comment ils font, ils doivent se mettre des critères. »

5.2.1.1.3.3 Le rôle de conseil

Nous pouvons distinguer un autre outil qui n’est pas affiché comme un processus de contrôle mais qui permet toutefois au canton d’avoir un regard sur certains dossiers. En effet, une autre partie du rôle de l’institution cantonale en matière d’aide sociale est de conseiller les assistant·e·s sociaux·ales pour prendre des décisions dans des situations complexes. En effet, nous avons pu observer que l’établissement d’un budget peut s’avérer être un véritable casse-tête selon la situation des personnes concernées. Comme l’explique cet·te assistant·e social·e, il existe plusieurs forfaits qui peuvent différer non seulement selon le nombre de personnes au sein d’un ménage qui ont recours à l’aide sociale mais d’autres facteurs tels que le droit de présence en Suisse et la mise en place d’une sanction, ainsi que le lieu de vie.

« C’est très compliqué chez nous, on doit faire un peu de l’épicerie »

En effet, au sein d’une même famille, les membres peuvent avoir un droit de séjour différents ou un enfant peut vivre en institution alors le reste de la famille vit en ménage commun. Les cas dans lesquels les membres d’une même famille doivent être traités différemment conformément aux normes d’application du budget peuvent s’accumuler, ce qui peut engendrer

des situations très complexes qui ne sont pas prévues par la loi. C’est dans ce cadre que le canton peut intervenir pour conseiller les assistant·e·s sociaux·ales. En outre, cela permet également de s’assurer que la loi soit appliquée de façon « uniforme » au sein de tous les services et, comme l’explique un·e interviewé·e de l’institution cantonale en matière d’aide sociale, d’assurer « une égalité de traitement ». Cela est également présent dans le discours des assistant·e·s sociaux·ales :

« Alors, il y a eu beaucoup de nouvelles directives. Alors, d’un côté c’est positif parce que ça structure plus, et puis ça cadre plus, et puis on sait plus tout ce qu’on doit faire. Parce qu’on est quand même beaucoup d’assistants sociaux et pis… pour que tout le monde fasse la même chose, selon les mêmes… voilà parce que l’interprétation elle est vite… elle est vite possible hein. Ouais pis les sensibilités sont différentes et tout ça donc, les directives bah c’est quand même utiles pour que chacun puisse faire, enfin que ce soit équitable. »

Nous pouvons déceler ici une tension qui se manifeste entre l’espace octroyée à la marge de manœuvre des assistant·e·s sociaux·ales dans l’interprétation des lois et la volonté de garder un œil sur celle-ci au nom notamment de l’égalité de traitement ou de l’équité. Ces enjeux sont tout à fait caractéristiques des street-level bureaucracies telles que décrites par Lipsky.

5.2.1.1.3.4 L’emprise financière

Enfin, un dernier point sur lequel nous pouvons déceler une forme de mainmise cantonale sur le travail des assistant·e·s sociaux·ales concerne le rapport de pouvoir économique entre le canton et les services sociaux. Cette question est revenue à plusieurs reprises lors de nos entretiens. Nous pouvons citer l’exemple suivant :

« Mais nous, pour nous ça vient du canton qui émet des directives et les communes bah, elles sont obligées de suivre. Enfin, elles pourraient ne pas suivre mais après c’est financièrement que… qu’ils peuvent pas assumer donc… donc ils suivent en général, donc… voilà. Ils suivent les directives du canton.

Parce qu’en fait le budget que vous pouvez avoir dépend directement de l’application ?

Y a le canton, les communes. L’aide sociale en fait c’est canton et communes, c’est [chiffre de répartition] et puis… et puis bah si quand on dit non, ces dépenses on ne les reconnait pas, donc le canton vérifie les comptes de, de l’aide sociale et pis s’ils disent non, là vous donnez trop, et pis si nous on, si la commune non nous on est d’accord de donner trop, le canton dit bah ça vous sortez de vos comptes, c’est à 100% à votre charge et on prend pas le [X]% qu’on vous prend sur la totalité des comptes. Donc les communes n’ont pas intérêt, elles ont pas les moyens, finalement dans leur budget ils ont pas ça. Donc les communes sont un peu… en général elles suivent ce que le canton dit, parce que le canton partage en fait… les frais, sinon c’est à leur charge. »

Comme dans la majorité des cantons romands, le budget de l’aide sociale est réparti entre les communes et le canton (KELLER 2017). La prise en charge d’une partie des frais de l’aide sociale permet en outre d’avoir un regard sur les pratiques des services sociaux.

Enfin, nous avons pu observer que le contrôle du canton sur la pratique quotidienne des assistant·e·s sociaux s’est ressenti lors des entretiens. La crainte de « faire des erreurs », qui a poussé les services à mettre en place des processus de contrôle interne, est revenue plusieurs fois dans les discours :

« Bon, encore une fois on a la chance d’être un petit service, du coup on a une… on a une communication, une collaboration avec les services à l’interne, du secrétariat, de la comptabilité qui est vraiment efficace, pour ce double contrôle aussi, pour éviter les erreurs des assistantes sociales. »

Ou encore :

« Nous on a encore la chance et le temps de les voir tous les mois parce que le budget il est continuellement adapté à la situation.[…] Et pis ça nous évite aussi bah de faire des erreurs parce que… ça nous évite de faire des erreurs parce que ça nous… contraint à analyser aussi la situation de la personne, pis à revoir, à dire ok est-ce que le salaire il est bien juste, est-ce que ça c’est bien juste, enfin… »

De plus, un·e collaborateur·trice de l’institution cantonale en matière d’aide sociale nous a également précisé qu’avant l’ouverture informatique du dossier, le budget est encore validé par le·la chef·fe de service ou par un·e chef·fe de groupe. Ainsi, le système de contrôle paraît relativement lourd si l’on prend en compte l’ensemble des « garde-fous » mis en place au niveau communal et cantonal.

Aussi, dans le vocabulaire utilisé par certain·e·s assistant·e·s sociaux·ales pour décrire l’application de la mise en œuvre de la politique cantonale, le champ lexical de la contrainte ou du moins de la responsabilité cantonale dans l’orientation politique est revenu plusieurs fois :

« Mais… on a globalement, on est obligé de… de commencer à placer dans les entreprises socioprofessionnelles, si la personne elle est employable, mais que y a des petits manques admettons, c’est les entreprises d’abord. »

« Mais après c’est vrai que… bon pour l’instant on fonctionne encore à tâtons hein, y a toute une restructuration. On fonctionne que depuis [date] de cette année donc c’est… trop frais pour dire un petit peu. Mais c’est un petit peu le, ce qui est voulu par le canton, donc… voilà. »

« On n’a pas trop le choix que… que de les appliquer [les directives] et pas trop y déroger donc… »

Toutefois, nous avons également pu constater que malgré la présence accrue du contrôle cantonal, les assistant·e·s sociaux·ales ont toujours l’impression d’avoir une autonomie dans leurs décisions, comme nous le verrons par la suite.

Ainsi, nous avons pu voir que la place du canton structure les pratiques quotidiennes des assistant·e·s car il oriente la politique sociale mais aussi par la mise en place de pratiques régulières de contrôle des bonnes pratiques. Nous avons également pu mettre en avant que le travail quotidien est encadré par un rapport de dépendance économique des services sociaux avec le canton.

5.2.1.2 Augmentation et complexification des dossiers et manque de