165. Une vérité de La Palice. Il résulte de ce qui précède une incapacité systémique des
Antilles françaises à augurer la massification touristique. Cet éventail, somme toute prodromique,
témoignant d’un déséquilibre significatif entre les droits octroyés et les obligations imposées à
l’économique participe de la fragilité du tourisme des Antilles françaises dans un contexte
particulièrement concurrentiel – la Caraïbe – où les lieux de non-droit – lacunes, vides juridiques –
sont le terreau d’un épanouissement du marché touristique. Le sujet de droit, titulaire de l’action
touristique, serait titulaire de davantage d’obligations que de droits. L’exercice des droits et libertés
économiques ne saurait s’entendre de la pleine capacité à en user, à en récolter les fruits, sous la
forme que l’on souhaite et avec l’énergie que l’on souhaite y consacrer, et en abuser. La tradition
française marque la défaite de l’économique face au droit puisqu’on assiste au triomphe d’un intérêt
prudentiel, qui semble disposer de suffisamment de légitimité pour être producteur d’effets
indésirables. Si nous ne saurions pour autant porter la dissolution du système juridique français au
profit d’une vision standardisée de l’économique – bien qu’imparfait le modèle français ne sourd
pas, en toute circonstance, du caprice politique ; il apparaît motivé –, il ressort qu’il dispose d’une
marge considérable dont le comblement, même modeste, achèverait de le rendre plus attractif
1110.
1110 « Pour conduire un politique, pour encourager des comportements, l’Etat a à sa disposition bien d’autres outils que l’édiction d’une règle nouvelle, même s’il y recourt très (trop ?) souvent. Outre la technique des contrats qui s’est largement développée, y compris entre personnes publiques, il peut recourir à des aides et à des incitations financières, à des actions d’information et de communication qui vont bien au-delà de la seule connaissance de la loi » P. ALBERTINI, « Les échelles de l’Etat : permanences et changements (Rapport de synthèse) », in Bottini, F. L’Etat interventionniste. Le rôle de la puissance publique dans l’économie, op. cit., p. 185.
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TITRE II.LES UTILITES DE L’INTERVENTIONNISME
ECONOMIQUE DANS LE TOURISME : UN DIMORPHISME
166. La fonction économique de l’Etat français. On oppose traditionnellement « (...) une
approche britannique utilitariste, libérale, individualiste et monarchique de l’intérêt général à une
approche française volontariste, plus interventionniste et républicaine de l’intérêt général »
1111. On
l’a vu, outre ses fonctions allocative et redistributive – des ressources –, l’Etat français dispose
d’une fonction réglementaire ubiquiste
1112. Cette omniprésence de l’Etat, secondé par ses
démembrements territoriaux, dans la vie économique provient d’une exigence endogène de
protection du plus grand nombre
1113corrélative à une modernisation de l’économie et des risques
susceptibles d’en découler. Il ressort du modèle français une démultiplication des conflits de droits
aboutissant à la défaite ou au triomphe de l’un quelconque de ces droits. La critique est ouverte et
opportune d’autant que cette version de l’Etat n’est pas unanime. Parmi les adversaires de
l’interventionnisme économique – distinct du dirigisme en ce qu’il n’est pas complètement « en
lui-même destructeur de liberté »
1114–, on compte le libéralisme classique qui s’oppose à une
1111 A.DUFFY-MEUNIER,« La Conception britannique de l’intérêt général », in Guglielmi, G. J. (Dir.), L’intérêt général
dans les pays de common law et de droit écrit, Paris, Editions Panthéon-Assas, 2017, pp. 47-65, spéc. 49 p. ZOLLER, E. Introduction au droit public, Paris, Dalloz, 2013, n° 66, p. 71. En France, « loin d’être seulement un outil juridique, l’intérêt général est un point focal extérieur au droit. Il est saisi par les acteurs du système juridique (autorité exécutive ou administrative, législateur, juge) pour fonder un jugement de valeur et une hiérarchie de priorités dans la production d’actes juridiques » G.J.GUGLIELMI, « Introduction : les habits neufs de l’intérêt général », in Guglielmi, G. J. (Dir.), L’intérêt général dans les pays de common law et de droit écrit, id., p. 15. V. CONSEIL D’ETAT, Réflexion sur l’intérêt général, Rapport public, 1999, pp. 247-261.
1112 « (Il) devient présent partout dans la vie économique qu’il conditionne étroitement. Il n’est point de secteur qui échappe au regard des pouvoirs publics : agriculture, industrie, commerce, professions libérales, activités immobilières. Pas d’espaces non plus, importations, exportations, mouvements de capitaux, relations monétaires et financières, tous sont concernés. Personnes physiques ou morales, organismes publics ou privés, marchandises et individus, lui sont soumis » H.CHARLES, « Peut-on parler d’une conception républicaine du droit économique français ? », in Mélanges en l’honneur de Gérard Farjat, Philosophie du droit et droit économique. Quel Dialogue ?, op. cit., p. 113. Italiques ajoutés. « (…) le droit public (est) le droit de la frontière entre deux forces dynamiques : la puissance publique et les droits individuels » FOULQUIER,N.Les droits publics subjectifs des administrés. Emergence d’un concept en droit administratif français du XIXème au XXème siècle, Paris, Dalloz, 2003, p. 416, n° 429. Italiques ajoutés.
1113 G.J.GUGLIELMI, « Introduction : les habits neufs de l’intérêt général », in Guglielmi, G. J. (Dir.), L’intérêt général
dans les pays de common law et de droit écrit, ibid., p. 15. Pour une étude d’ensemble, v. notamment, RANGEON,F.
L’idéologie de l’intérêt général, Paris, Economica, 1986, 246 p. ; TRUCHET,D. Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la
jurisprudence du Conseil d’Etat, Paris, L.G.D.J., 1977, 394 p. ; J.CHEVALLIER, « Réflexions sur l’idéologie de l’intérêt général », in Curapp, Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, Paris, PUF, 1978, pp. 11-45 ; M.-P.DESWARTE, « L’intérêt
général, bien commun », RDP, 1988, n° 5, pp/ 1289-1313 ; J.-M.PONTIER, « L’intérêt général existe-t-il encore ? », D. 1998, p. 327 ; F.SAINT-BONNET, « L’intérêt général dans l’ancien droit constitutionnel », in Mathieu, B. et Verpeaux, M. (Dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2007, pp. 9-21.
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gouvernance étatique du marché. Somme toute, un abstentionnisme étatique économique qui se
traduit par une intervention de l’Etat limitée à ses fonctions essentielles – assurer le respect des lois
par l’intermédiation d’une police, d’une armée notamment. Lorsqu’il s’agit de la satisfaction de son
strict intérêt individuel, l’agent économique doit s’affranchir – ou être affranchi – de considérations
altruistes ou d’intérêt général. C’est la somme de ces intérêts restés individuels qui conduit à la
richesse et au bien commun
1115. Une telle théorie pousse l’Etat, en son sens matériel, à reculer. On
compte également l’ordolibéralisme qui ne s’oppose pas à une gourvernance étatique du marché.
Seulement, cette dernière n’est investie que d’une mission économique : favoriser la liberté
économique en maintenant l’ordre concurrentiel par la réglementation, l’institutionnalisation – soit
un interventionnisme étatique orienté
1116. On compte enfin le néo-libéralisme qui s’oppose à une
gouvernance étatique et au confinement du marché à l’échange de biens et de services. La logique
de marché doit s’étendre à la totalité des comportements humains et domaines d’activité
1117. Pour
autant, l’approche française donne à voir des formes diverses d’expression de l’action de l’Etat
poursuivant aussi la satisfaction de l’économique. Mais, il reste ancré dans la tradition française que
quelle que soit leurs formes on assiste, en toutes circonstances, à la persistance des artifices de la
réglementarité
1118(Chapitre 1) s’accompagnant, parfois, d’effets indésirables (Chapitre 2).
1115SMITH,A. An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Londres, W. Straham & T. Cadell, 1776.
1116 Sur ce point, v. notamment, COMMUN,P.(DIR.), L’ordolibéralisme allemand. Aux sources de l’économie sociale de
marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents sur Cirac, 2003.
1117 L’économie devient « la science qui étudie le comportement humain comme une relation entre des fins alternatives et des moyens rares qui ont des usages alternatifs » L.ROBBINS, « Théories de la maximisation et anthropologie
économique », in Godelier, M. (Dir.), Un domaine contesté : l’anthropologie économique, Paris, Mouton, 1974, p. 104.
1118 « Sans doute, les règles de droit édictées par l’Etat ne sont-elles pas toujours formulées de manière impérative, sous la forme positive d’un ordre ou d’une injonction, ou sous la forme négative d’un interdit ou d’une prohibition ; mais, si elles peuvent être permissives, en autorisant certains comportements, ou habilitatrices, en conférant une capacité d’action, elles ne se réduisent jamais à une simple constatation : elles comportent des prescriptions auxquelles les destinataires sont tenus d’obéir, établissent des modèles de comportement auxquels ils sont tenus de se conformer »
J.CHEVALLIER, « Contractualisation et régulation », in Chassagnard-Pinet, S. et Hiez, D. (Dir.), La contractualisation de la
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Chapitre 1. La forme ordinaire de l’interventionnisme
économique
167. Un « interventionnisme rationalisé »
1119. Les sollicitations étatiques continuent d’être
recrudescentes et aporétiques – la garantie des conditions de concurrence/la réalisation du projet
d’entreprise, la protection de l’environnement/l’accès à l’environnement, la conservation du
patrimoine/l’exercice du droit de propriété, la protection du travail/la flexibilité du travail, la
protection de la consommation/la liberté d’entreprendre. Il en résulte un paradoxe systématique
essentiel – en ce qu’il contraint à l’interrogation permanente – aux transformations des modalités
de prise en compte des intérêts. La sauvegarde ou l’aliénation des droits passe, aujourd’hui, par la
pesée d’intérêts opérée à l’issue soit d’une maîtrise étatique poussée soit d’une maîtrise étatique
modérée (Section 1). Cette capacité au renouvellement des modalités de l’action de l’Etat implique
une évolution du rôle de l’Etat qui va en s’amenuisant ou en s’amplifiant. L’Etat va jusqu’à s’arroger
le pouvoir d’initiative de l’opérateur économique voire se substituer à lui en se constituant en
interface d’imputation des effets économiques (Section 2). L’ordinarité de l’action de l’Etat réside
dans l’équilibre, à première vue trouvé, entre force et faiblesse de l’Etat. Elle sourd d’une
intervention consensuelle dont la perfection reste difficile d’atteinte en présence d’intérêts
essentiellement conflictuels
1120.
Section 1. Un interventionnisme compromissoire.
1119 NICINSKI,S. Droit public des affaires, op. cit., p. 13.
1120 On se souvient que « le changement majeur qu’a enregistré le droit public économique depuis 1985 vient de ce qu’au dirigisme par lequel l’Etat pensait pouvoir se substituer au marché a succédé une approche par laquelle l’Etat cherche à assurer les exigences d’intérêt général sans nuire aux forces de la concurrence » CHEROT,J.-Y. Droit public
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