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Dans ces deux premiers chapitres nous souhaitions à la fois revenir sur l’origine des tech-nologies de captage, transport et stockage du CO2 et leur fonctionnement, mais aussi rappeler les premières controverses fondatrices des évolutions techniques qu’a connues ce dispositif. Cette réponse technique à la problématique du réchauffement climatique a émergé à la fin des années 1970. Selon ses promoteurs, capter le CO2 issu des activités industrielles et le stocker dans la colonne d’eau océanique permet de maintenir une stabilité de la concentration atmo-sphérique de CO2, sans pour autant transformer la production économique. Cette alternative technique pour répondre au réchauffement climatique a progressivement suscité un plus grand intérêt dans les communautés scientifiques et politiques internationales. Ainsi dans les années 1990 les recherches relatives à ces technologies ont bénéficié de financements plus importants. En effet, l’urgence d’agir sur le réchauffement climatique était de plus en plus pressante. L’alter-native promise par le captage, transport et stockage du CO2 d’une limitation des émissions de CO2, sans transformations fondamentales du modèle socio-économique est donc devenue « sé-duisante » pour la communauté politique internationale. Réduire le réchauffement climatique sans transformer la société semblait a priori, la réponse la plus appropriée.

Cependant, les premières expérimentations de ce dispositif technique contredirent cet enthou-siasme initial. Le stockage de CO2 a en effet déclenché l’hostilité des populations. La tentative de stockage océanique de CO2 à Hawaï déclencha la sensibilité des populations concernant l’im-pact de ce gaz sur la faune et la flore, mais révéla aussi des dimensions culturelles attachées à l’océan chez les populations hawaïennes. Par la suite, d’autres expériences scientifiques ont montré l’impact du CO2 sur l’acidité des océans. Par ailleurs, un projet de stockage géologique de CO2 dans une zone urbanisée des Pays-Bas engendra également des contestations de ce dispositif technique. Aux craintes associées aux incertitudes vis-à-vis de la sécurité de ce dispo-sitif technique, des revendications relatives au prix de l’immobilier sur la zone de stockage de CO2 envisagée, furent également soulevées par les populations. Ces premières expérimentations transformèrent donc les technologies de CTSC. L’alternative d’un stockage géologique de CO2, initialement envisagée comme alternative marginale devint la principale modalité de stockage du CO2. Stockage géologique qui suite à des contestations serait privilégié sous les fonds marins. Les premières expérimentations ont permis de confronter le monde projeté par les concepteurs des technologies de captage, transport et stockage du CO2 au monde réel (Akrich 1987). Ainsi, la facilité de mise en place de ce dispositif technique imaginée par les concepteurs fut relativisée. Ajoutons qu’à ces transformations dans les modalités de stockage du CO2 retenues, s’ajoutent

d’autres usages de ce dispositif technique que la seule réduction des émissions de CO2. L’attitude de la compagnie pétrolière norvégienne Statoil dans l’utilisation des technologies de captage, transport et stockage du CO2montre que le dispositif est avant tout utilisé comme caution envi-ronnementale pour exploiter de nouveaux gisements d’hydrocarbures en Arctique. Par ailleurs, l’importance donnée aux possibilités de récupération assistée d’hydrocarbures induisent un questionnement sur la finalité initiale de ce dispositif technique. L’objectif des technologies de captage, transport et stockage du CO2 est-il la réduction des émissions à effet de serre ? Ou est-ce une alternative pour maintenir la dépendance aux énergies fossiles ?

Au Royaume-Uni, l’éventualité d’utiliser ce dispositif technique a été perçue comme un instru-ment de développeinstru-ment local et régional. Le gouverneinstru-ment écossais s’est notaminstru-ment beaucoup investi dans la mise en place de ces technologies, espérant à la fois un développement écono-mique local, mais aussi l’obtention d’une position stratégique à l’échelle européenne. En effet, les réservoirs géologiques offshore susceptibles de stocker du CO2 auraient une capacité de plu-sieurs centaines d’années. De fait, l’Écosse souhaiterait devenir un hub de stockage de CO2 à l’échelle européenne.

Ces multiples exemples de développement des technologies de CTSC illustrent ce que Jasa-noff et Kim appellent des imaginaires sociotechniques (JasaJasa-noff et Kim 2009, JasaJasa-noff et Kim 2015). Pour définir ce concept, ces chercheurs font référence aux programmes de déve-loppement technoscientifique de l’énergie nucléaire menés par le gouvernement des Etats-Unis et de la Corée du Sud. Leur analyse de ces programmes de développement du nucléaire sou-ligne que différents imaginaires, c’est-à-dire différentes visions d’un futur collectivement défini et considéré comme désirable, guident l’orientation des programmes de recherche scientifique. Aux Etats-Unis, ces chercheurs observent notamment que le développement de la filière nu-cléaire est guidé par la nécessité de contenir les risques de la radioactivité, mais aussi garantir la paix en réservant l’utilisation du nucléaire à la production d’énergie. A l’inverse, Jasanoff et Kim montrent qu’en Corée du Sud l’énergie nucléaire est perçue comme une opportunité pour le développement national. Les populations sont donc prêtes à accepter certains risques pour atteindre ce futur désirable d’une société Sud-Coréenne développée.

Le développement des technologies de captage, transport et stockage du CO2 illustré dans ces chapitres souligne l’association de plusieurs des imaginaires sociotechniques à ces technologies. En Norvège et au Royaume-Uni la place de leader dans le développement de ces technologies est disputée. En Norvège nous observons cependant que la volonté de concilier activités pétrolières, protection de l’environnement, mais aussi hostilité des populations à l’énergie nucléaire guide le développement de ce dispositif technique. Au Royaume-Uni, l’enjeu principal est de décarboner le mix énergétique. Cependant, comme nous l’avons observé, l’État écossais associe un autre imaginaire aux technologies de CTSC.

De façon similaire à l’exemple du nucléaire en Corée du Sud, le gouvernement écossais sou-haite développer le pays en s’appuyant sur les énergies décarbonées dont les technologies de CTSC font partie. L’Écosse disposant d’une géologie favorable souhaite devenir un Hub eu-ropéen dans le stockage du CO2. L’identification de ces premiers imaginaires sociotechniques associés aux technologies de captage, transport et stockage du CO2 guidera notre exploration des imaginaires sociotechniques potentiellement associé à ces technologies dans l’Axe-Seine.